individualisation ?
Un double symposium, c'est comme un symposium, mais plus long.
Toute la journée. Un truc pour accros. Celui-ci s'appelle
"Personnalisation et individualisation des parcours des
élèves".
Acte 1. Introduisant la journée, Patrice Bourdon
insiste sur les changements induits dans les métiers de
l’enseignement. « Institutionnaliser des parcours
d’aide personnalisée, par des enseignants
ordinaires ou des maîtres spécialisés,
voire des partenaires extérieures, dans ou hors du temps
scolaire : c’est la prescription grandissante des
institutions. Avec quels effets ? ».
Olivier Maulini
et Cynthia Munier, de l'Université de
Genève, soulignent les tensions de l'Ecole, le conflit entre
l'interne et l'exerne de l'Ecole, la rupture des
continuités. Ils citent une directrice
d'école genevoise qui prend position devant l'empilement des
dispositifs : "Les enseignants s'occupent plus de les orienter vers les
bons casiers que de les garder dans les classes". Les constats de
l'étude qu'ils ont conduite montrent que les
évolutions des plans d'études genevois mettent
les enseignants en situation instable, tant les injonctions sont
multiples et diffuses. Suite à la votation populaire qui
s'est aussi prononcée pour le retour des notes et des
filères, et la fin des cycles, les
élèves identifiés en fin
d'année comme "en difficulté" sont
désignés pour des dispositifs
spécifique l'année suivante. "Mais les
mesures bureaucratiques, si elles rassurent, permettent-elles de ne pas
rendre les enseignants fous, entre l'injonction paradoxale de la
réussite de tous et la reconstruction des
filières..." conclut O. Maulini.
Réagissant aux propos, Christine
Felix invite à préciser davantage
les différents types de difficultés auxquelles
les élèves sont confrontés,
mais aussi celles des enseignants. "Si élèves et
enseignants sont chacun dans la classe, ils ne sont pas
confrontés aux mêmes registres de
problèmes". Elle questionne l'a-priori positif des auteurs
sur "l'efficacité de l'aide inclusive" par rapport
aux aides extérieures.
Valérie Vincent
interroge l'idée-même de la
différenciation, en observant des séances
d'enseignement de l'histoire. Elle s'appuie sur les travaux de Jacques
Bernardin (Comment les élèves entrent dans la
culture écrite) pour comprendre le rapport au
savoir des enseignants. Elle veut mieux comprendre comment il
influence les pratiques de l'enseignement, en cherchant s'il est
possible de "vivre le savoir comme une aventure humaine" pour donner
sens et chair à ce qu'il y a à apprendre, et
faire comprendre aux élèves que les savoirs ont
une histoire. Lorsque elle voit un enseignant qui lit aux
élèves "La Guerre du Feu" en classe, elle observe
qu'il rassemble les élèves autour d'un
récit fondateur. Mais, précise la jeune
chercheuse, "ça ne suffit pas pour opérer chez
les élèves les rutures
épistémologiques nécessaires", surtout
s'il "décide lui-même de répondre aux
questions qu'il pose dans des situations de cours magistral
dialogué". M.-P.
Vannier réagit : "On peut toujours se demander
ce qu'il aurait pu faire de mieux, mais ne faites-vous pas fi des
contraintes et ressources disponibles pour l'enseignant ?"
Pascal Ponté,
Serge Thomazet et Corinne Mérini observent,
eux, les modalités de collaboration entre les enseignants
dans l'organisation de l'aide. Dans le cadre d'une recherche
réalisée pour la FNAME
(fédération des "maîtres E", en
France), ils observent comment la nouvelle circulaire sur l'aide
individualisée réorganise le travail du
maître E qui devient "maître-ressource" en
matière de difficulté, pour ses
colègues "ordinaires". Leur métier est donc
questionné, le temps réorganisé : il
faut articuler les emplois du temps des uns et des autres, les
contraintes des programmes et le temps de l'enfant. Il faut "construire
des histoires communes dans le but de remettre ensemble
l'élève au travail", confronter les approches
epistémiques des uns et des autres. "L'idée que
le maître E doive collaborer avec l'enseignant est au coeur
du métier depuis 1990", précise C. Pierrisnard,
même si la "sédentarisation" va sans doute
renforcer les sollicitations.
Serge Thomazet intervient dans la discussion : "Mais on ne
peut décider que le maître E devienne conseiller
pédagogique sans qu'il n'en n'ait ni l'autorité,
ni la formation, ni la reconnaissance. Cette tension ne se
résoud pas dans un compromis, mais dans une difficile
conjugaison : aider un enseignant peut passer par la
visibilité qu'on donne au type d'aide à
l'élève qu'on organise dans et hors la classe".
Comment les enseignants en formation se représentent-ils les
difficultés des élèves ?
Questionnés par Sandrine Breithaupt,
enseignante à l'école des Hautes Etudes
Professionnelle vaudoise, les jeunes enseignants citent d'abord les
problèmes de comportement et de motivation, puis de
"pré-requis" ou d'habilété cognitives
défaillantes. Ils s'intéressent aux
symptômes plus qu'à l'origine des
difficultés, et s'impliquent peu dans le
problème. Les pistes d'action qu'ils proposent dont donc
davantage tournées vers des structures exernes que vers
l'intérieur de la classe. Cela interroge, dit-elle, la
capacité des formateurs à les outiller sur les
types de difficultés rencontrées par les
élèves, sans attendre une "bascule implicite" des
conceptions des formés. Carole
Boudreau retrouve la réalité
québécoise dans ces propos, et se demande ce
qu'il est raisonnable d'attendre des étudiants en formation
initiale. "Qui a besoin d'aide, les élèves ou les
enseignants débutants ? Ne peuvent-ils aussi avoir des
difficultés dans la maîtrise des contenus
disciplinaires ? A force de multiplier les dispositifs
extérieurs ou les intervenants
spécialisés, les enseignants se questionnent-ils
assez sur ce qu'ils pourraient faire dans la classe pour les
élèves ? Font-il le lien avec les
théories qu'on leur enseigne et la pratique de classe"
Devant la tournure prise par la discussion, qui
égrène la longue liste de ce que ne font pas les
enseignants débutants, Patrice Bourdon
réagit : " Au lieu de disserter sur ce qu'il ne font pas, ne
pourrait-on pas passer plus de temps à tenter de comprendre
ce qu'ils font, et pourquoi ils le font, comme ils le peuvent ? Cela ne
pourrait-il pas nous aider à pouvoir mieux les accompagner
?" La salle rebondit : "sans cadre collectif pour le travail des
enseignants sur ces questions, comment voulez-vous que les choses
avancent ? Il ne suffit pas de prescrire !"
Laetitia Progin
met entre parenthèses la discussion avec la
présentation de sa recherche sur l'influence des
directeurs sur le travail des enseignants, et l'émergence du
"leadership" présumé favorable à
l'efficacité de l'enseignement dans les écoles.
Pourtant, on sait que les chefs d'établissements vont peu
dans les classes, qu'ils sont très absorbés par
le travail administratif. Dans l'enquête
réalisée, elle décrypte que
derrière les discours généreux, la
diversité des conceptions est grande : certains valorisent
le changement dans le travail en classe, d'autres les dispositifs
extérieurs. D'ailleurs, si certains redoutent de s'investir
dans le leadership pédagogique, d'autres y voient une
valorisation de leur mission de directeur, même s'ils doivent
pour cela se confronter à des épreuves
relationnelles redoutables, notamment dans la fonction d'interface
entre les injonctions du haut et la complexité du
métier réel. Réagissant, C. Mérini
veut revenir aux enjeux plus globaux du symposium : "il existe une
chaine organisationnelle des différents métiers
(enseignants, réseaux d'aide, directeurs, personnels
municipaux...) qu'il faut prendre en compte pour comprendre ce qui est
en jeu dans l'organisation de l'aide". Il faut donc, pour elle,
s'interroger sur les conditions de mise en collaboration des
différents métiers, sans en rester à
des discours prescriptifs.
Tension, articulation, ajustement, indentification,
évolution, collaboration... Patrice Bourdon reprend les mots
de la matinée comme autant de pointés, de leviers
à manipuler. Pause.
Acte 2. 13h30, ça
reprend. Guillaume Serres
(Clermont) est à la baguette de la seconde ligne droite. Il
revient sur sa vision des discussions du matin : "Ce qui est flagrant,
ce sont les différents niveaux d'analyse des communications
présentées ici, que nous pouvons tenter de
regrouper pour reproblématiser la question des
difficultés. Organisation du travail, pratiques
enseignantes, conceptions des difficultés des
élèves ou des difficultés du
métier d'enseignant peuvent être
inerrogés par les uns ou les autres. La diversité
des approches scientifiques (ergonomie ou didactique notamment) peuvent
être autant de focales pour regarder une part de
l'activité". Il pointe la question de l'activité
de l'élève, dont parfois les travaux de recherche
ne disent pas grand chose. "Comment décrire
précisément l'activité
réelle déployée par les
élèves pour mieux en comprendre les ressorts ?
Pour cela, il est sans doute aussi nécessaire d'interroger
dans le détail les conceptions sur les apprentissages qui
sous-tendent nos analyses"...
Christine Perrisnard
et Marie-Paule Vannier
s'intéressent aux pratiques "ordinaires" et aux
pratiques "spécialisées" des maîtres E
dans l'aide aux élèves. Elles ont construit une
équipe de recherche pluricatégorielle, incluant
même des inspecteurs. Grâce à des textes
produits par les membres du groupe, les chercheurs estiment
pouvoir mesurer l'état de conceptualisation des membres, et
dégager des spécificités de l'aide
spécialisée, telles que la pensent les
maîtres E : "prendre le temps de la préparation
à l'activité, prendre le temps des interactions
en petits groupes, laisser le temps pour la réflexion de
chacun à son rythme...". Toutes choses qui, selon eux, n'est
que peu accessible aux enseignants ordinaires. CQFD.
Evidemment, la circulaire de 2009 invite le groupe à se
pencher sur l'articulation du travail avec les enseignants
chargés de classe ou l'aide aux devoirs, notamment les PPRE.
L'occasion d'y confronter les discours et les
représentations des uns et des autres ?
Isabelle
Nédélec poursuit sur cette
thématique de la collaboration. Elle
décortique un dispositif d’aide
dispensé par un maître
spécialisé en coopération avec un
maître ordinaire, en mathématiques, dans une
classe de CE2, deux heures par semaine, pendant douze semaines.
Les enseignants cherchent ainsi à
éviter la "fragmentation du temps des apprentissages", en
co-élaborant et en co-animant les séances. Le
maître E qui intervient dans la classe travaille soit
à reprendre des notions vues en classe, soit à de
nouveaux apprentissages en bénéficiant d'un
accompagnement particulier. Pour elle, cette "migration
spécifique dans la classe de nouvelles manières
de faire par l'enseignant spécialisé profite non
seulement aux élèves, mais aussi à
l'enseignant chargé de la classe qui peut ainsi percevoir de
nouvelles manières de travailler les difficultés
scolaires.
Serge Thomazet
réagit : "une question qui me semble cruciale (et ancienne)
est ce que fait l'enseignant pendant que certains de ces
élèves ne sont pas dans la classe". Il souligne
que la situation de l'école observée peut
être atypique par rapport à ce qu'est l'ordinaire
des écoles : le contenu des aides proposées dans
les regroupement d'adaptation par le maître E peut souvent
être discuté, notamment lorsqu'il entend
travailler des savoirs en réduisant tellement la
complexité de la situation qu'il prend le risque de ne pas
être très opératoire..." Mais il
retient l'idée que les connaissances issues des
connaissances professionnelles du maître E puissent
"diffuser" sur les enseignants.
Aide personnalisée
et aide ordinaire : quel degré de parenté
? C'est une des questions de recherche de Corinne Marlot et Marie
Toullec-Thery, cherchant à évaluer
l'efficacité des pratiques d'aide et la
compréhension des choix des enseignants. Ainsi, selon elles,
l'aide en classe repose souvent sur une simplification des objets et
des situations didactiques, cherchant plus à
répondre à la question posée
qu'à comprendre ce qui est en jeu. De même, les
professeurs sont surtout concentrés sur
"l'avancée collective du temps didactique"
(l'avancée des objets de savoir sur l'axe du temps). Elles
présentent deux situations contrastées : certains
enseignants aménagent le milieu ou focalisent sur les
progrès des élèves, d'autres
simplifient la tâche ou se concentrent sur son
exécution, en éclatant les tâches par
rapport à la complexité des problèmes
à régler. Dans ce cas, elles concluent que la
"reconnexion" avec les objets de savoir ne se fait pas. C'est sans
doute le signe que les représentations de ces enseignants
placent l'origine de la difficulté sur le plan du
comportement. Sans vouloir caractériser les "bonnes" et les
"mauvaises" pratiques, elles considèrent que la
centration de la tâche sur des "procédures de bas
niveau" nuit à l'efficacité. La "posture
surplombante" est pour elles trop guidantes, trop verticales. "C'est
l'effet Jourdain, on fait comme s'il y avait du savoir produit, mais on
reste sur des leurres". Frédéric
Saujat
confronte cette approche à son propre cadre
théorique : "l'activité réelle" de
l'enseignant ne peut pas se réduire à son action
didactique. Les pratiques sont toujours multi-finalisées,
avec des micro-décisions et compromis à faire en
tension. "Nous avons tout intérêt
à travailler ces questions sans concession entre nous, et
à confronter les conceptions (l'epistémologie
pratique, diriez-vous) des chercheurs sur les apprentissages, comme
l'indique ce que vous dites sur la place des procédures de
bas niveau dans les apprentissages. Le travail technique, la place de
la répétition ou de l'enseignement explicite
méritent pour le moins discussion. Les chercheurs ne sont
pas moins que d'autres porteurs de valeurs et de conceptions que les
enseignants." Les oratrices acquièscent sur l'importance des
automatisations dans les apprentisages, mais souligne l'importance de
ne pas faire disparaitre, dans les situations d'aide, les enjeux
d'apprentissage derrière les tâches scolaires. "Il
ne suffit pas de mettre les élèves en petit
groupe pour qu'ils apprennent !"
Pier Carlo Bocchi présente
son travail sur les "formes de régulation de
l'activité des élèves", qu'elles
soient en régulation courte (sur les règles
d'action pour réussir la tâche) ou longue (sur le
fond de ce qu'il y a à comprendre), selon la
théorie des schèmes Vergnaud. Lorsque des
élèves cherchent à comprendre des mots
dans un texte, l'enseignant peut donner des aides aux deux
niveaux, qui orientent l'activité de
l'élève soit vers le "réussir" soit
vers le "comprendre". Il constate d'importants écarts dans
la répartition des différentes aides, selon les
enseignants qu'il observe, sans que les enseignants en aient
conscience. "Cette dynamique échappe à la
volonté, et peut avoir des conséquences sur les
discriminations et accroitre les inégalités de
départ entre élèves", en rendant plus
difficile leur lecture du "contrat didactique" proposé par
l'enseignant, et plus difficile le chemin pour comprendre ce qu'il y a
à apprendre, et pas seulement ce que demandent leurs
enseignants.
Christine Felix conclut
les présentations. Présentant le "mille-feuille"
des dispositifs d'aide et de prise en charge de la
difficulté, elle souligne
l'hétérogénéité
des temps, des contenus et des lieux. Quelle lisibilité,
tant pour les concepteurs que pour les usagers que sont les
élèves en difficulté, passant d'un
milieu à l'autre au risque de diluer le coeur du travail.
Pour les enseignants aussi, quel travail produire dans ces
différentes situations, et quand ils
"récupèrent" le travail
réalisé dans d'autres dispositifs ? Quels
légitimités pour les savoirs construits avec un
aide-éducateur ou un animateur que quartier ? Etudier
comment ces prescriptions sont mises en oeuvre dans les
différents lieux sont en soi un objet d'étude !
Son propos se centre sur l'enseignement comme un travail : "ce que
ça demande de faire, de faire ce qu'on nous demande de
faire, dans les conditions où on doit le faire...". Pour
accéder à l'activité des enseignants,
elle s'appuie sur une co-construction : le professionnel n'est pas
l'observé, mais le co-observateur de sa propre
activité.
Pour ce faire, on filme le travail et on organise avec les
professionnels eux-mêmes l'analyse de leur
activité. Concernant l'aide, ce croisement de
différents "milieux" peut "développer de
nouvelles formes d'activité" à la condition que
les collectifs permettent d'organiser les controverses
nécessaires sur les différentes
"manières de faire" pour permettre à chacun de
trouver des nouvelels ressources professionnelles inscrites dans le
métier.
Olivier Maulini voit
dans l'empilement des dispositifs la preuve que les ministres
successifs cherchent plus à "marquer l'opinion" par des
affichages qu'à donner aux enseignants et aux formateurs la
responsabilité de trouver les meilleures voies pour
résoudre les problèmes professionnels auxquels
ils doivent s'attaquer. Le risque de l'isolement des enseignants dans
la jungle des prescriptions lui semble au moins aussi signifiante que
l'inquiétude des élèves devant celle
des dispositifs... "