Par Patrick Picard
Avec « Faits d’Ecole », François Dubet livre une synthèse remarquable de son point de vue de sociologue, qui permettra à chacun de mieux comprendre sa désormais célèbre expression « Malheur aux vaincus » : parce que la démocratisation de l’Ecole n’arrive pas à se faire réellement, « L’Egalité des Chances » risque de faire porter sur les individus perdants le poids de la responsabilité de leur échec.
Peu de discours moral ni pédagogique chez Dubet : « je me sens républicain ». Mais pas de ces « républicains » qui réclament le retour de l’élitisme ou la fin du collège unique. L’homme veut analyser au scalpel les insuffisances de l’Ecole sans renier ses idéaux démocratiques. Oui, donc, au socle commun (« si le SMIC est trop faible, faut-il pour autant demander la suppression du SMIC ? ») ; oui au collège pour tous (le modèle du « collège unique » des années 70 ayant trop souvent été la propédeutique du lycée général). Derrière ses constats de recherche, le chercheur veut que son « indignation » et sa « véhémence » soient comprises comme autant de marque de confiance en l’Ecole pour rendre le monde « moins inquiétant ».
Reprenant un certain nombre de thèses de publications antérieures. F. Dubet appelle surtout le politique à se réapproprier les enjeux de l’Ecole, et à faire les arbitrages nécessaires malgré les risques démagogiques. « Toute école a une fonction de transmission, de mémoire, de tradition, en même temps qu’elle doit préparer de futurs adultes à vivre dans un monde en évolution de plus en plus rapide. La tradition de l’Ecole Républicaine française était si forte qu’elle ne l’a pas aidé à répondre aussi vite que d’autres des questions nouvelles. »
En tout état de cause, pense-t-il, ce n’est pas en interne du système qu’on pourra dépasser les intérêts contradictoires entre les différents groupes. On notera au passage le rappel (très à l’opposé des discours actuels…) du constat de la sous-administration de l’Education Nationale : 0,3% du personnel seulement, renforcé par la « balkanisation » des directions technocratiques du ministère. Une armée de fantassins livrés à eux-mêmes chaque jour au front, et bien peu de cadres pour les aider, les sécuriser, leur donner le souffle nécessaire.
« On comprend que les vainqueurs d’une compétition n’aient pas envie de modifier une règle qui les fait réussir » écrit Dubet en parlant de l’Ecole. Son chapitre sur « Pourquoi ne croit-on pas les sociologues » est percutant : fort de l’expérience de ses nombreuses conférences devant des enseignants, il compile les commentaires entendus sur la baisse de niveau, les élèves en échec aussi nombreux dans les centre-ville que les ZEP les plus difficiles, les présumées vertus du redoublement, la difficulté à entendre que de minuscules différences de traitement fréquemment répétées se traduisent par des inégalités considérables en fin de cursus…
Mais il ne jette pas la pierre aux enseignants, considérant même que ces réticences leur sont souvent nécessaires pour « tenir » dans le travail quotidien, leur permettre de continuer à croire en leur action sans trop désenchanter leur monde, trop souvent coincés entre les deux fonctions contradictoires de l’Ecole : assurer l’Egalité tout en promouvant le mérite individuel… Quitte à considérer alors les chercheurs comme des « donneurs de leçons » de morale. Dubet remarque d’ailleurs que les « groupes constitués » (syndicats, mouvements, inspecteurs…) n’hésitent pas à ne retenir des travaux de recherche que la part qui valorise leurs thèses, même s’il faut pour cela faire comme si on avait omis certaines pages plus contradictoires.
On espère seulement que l’auteur nous fera l’économie de ce genre de reproche…
F. Dubet, Faits d’école, EHESS, 2008.