» Les sociétés futures vont devoir apprendre à ne plus raisonner en termes de monographie, avec une orthographe officielle valant pour toutes les situations. Ce faisant, l’écrit exploite un potentiel qui l’apparente aux divers registres de l’oralité : la forme d’un message peut varier avec les situations. Plus que d’un déclin orthographique, finalement très relatif, nous avons plutôt affaire à une mutation orthographique qui retrouve les vertus de la variation, sinon dans un même texte, comme ce fut le cas jadis, du moins dans des textes dont le but et le statut social sont distincts ». Linguiste, chercheur au CNRS, Jean-Pierre Jaffré livre sa lecture du livre de D. Manesse et Danièle Cogis, « Orthographe : à qui la faute ? » et lui apporte un éclairage brillant.
« L’idée selon laquelle il existerait un déclin orthographique, les hommes d’aujourd’hui étant des usagers plus médiocres de l’orthographe, me semble très exagérée… Chez les élèves, cette idée de déclin me semble aussi ancienne que l’orthographe elle-même. Elle tient d’ailleurs, en partie au moins, aux présupposés des travaux sur la question. Difficile en effet de comparer des situations scolaires éloignées dans le temps et qui appartiennent à des sociétés dans lesquelles la demande orthographique, et toutes les représentations qui vont avec, a changé. À mon avis, c’est là une des causes majeures du déclin indiqué par les chiffres. Difficile en effet de l’imputer à la seule intelligence des enfants, ou à un déficit éducatif – c’était mieux avant, avant on savait, etc. Mais il existe une autre cause, à mes yeux tout aussi importante, c’est l’orthographe elle-même et sa supposée permanence. Comme si elle avait toujours été la même, comme si elle avait toujours joué le même rôle dans toutes les sociétés. Je ne trouve personnellement pas aberrant de considérer que toute époque doit disposer des outils les mieux adaptés à ses modes de vie et plus généralement aux besoins qui sont les siens. Or l’orthographe du français, sous la forme que lui ont donné les grammairiens, les imprimeurs, les Académiciens, etc., n’est pas adaptée aux besoins d’une communication de masse ».