La nouvelle procédure « d’orientation active » mise en place par le gouvernement semble satisfaire tout le monde. Un nombre croissant d’universités l’utilise et, en ce moment même, les professeurs de terminale hésitent d’autant moins à donner un avis d’orientation qu’ils ont le sentiment d’aider leurs élèves. Toutefois elle introduit une rupture dans l’histoire éducative du pays et constitue une régression sociale sans précédent.
Pourtant, l’origine de cette réforme se trouve dans des préoccupations unanimement partagées. Le conseil européen de Lisbonne a souhaité voir les états européens augmenter leur taux de diplômés du supérieur à 50 % d’une génération. Cela implique de diminuer un taux d’échec en université qui reste très important. Chaque année 80 000 étudiants quittent le supérieur sans diplôme. Un étudiant sur trois est réorienté. Seulement 39 % des bacheliers technologiques obtiennent le Deug. Un taux qui descend à 17 % pour les bacheliers professionnels. Quel gâchis !
En octobre 2006, pour lutter contre cela, le rapport du recteur Hetzel a recommandé l’instauration d’une procédure d’orientation qui est devenue officielle en janvier 2007. Le conseil de classe du second trimestre de terminale émet un avis d’orientation qui est communiqué à l’établissement d’enseignement supérieur. Celui-ci conseille l’étudiant et prend une décision de maintien ou non de l’étudiant à la fin du premier semestre universitaire. Comme le proclame le ministre : il y a orientation et non sélection. Le vilain mot est en effet dangereux pour un gouvernement. Et actuellement la procédure semble satisfaire tout le monde. Les jeunes ont le sentiment qu’ils bénéficient d’une aide réelle. Les parents pensent qu’on va s’occuper de leur enfant. Les universitaires pensent qu’ils vont avoir moins d’étudiants et qu’ils seront mieux adaptés aux études universitaires.
Et pourtant nous devons attirer l’attention des parents, mais aussi des enseignants, sur les conséquences néfastes d’une « orientation active » qui n’apporte pas de solution réelle aux lycéens.
La première tromperie concerne la personnalisation de l’orientation. Si le conseil de classe du lycée va émettre un avis réellement personnel, les universités, à de rares exceptions près, n’ont pas les moyens humains qui leur permettraient un réel suivi des étudiants. Dès octobre, le ministre de l’enseignement supérieur avait reconnu que les universités n’embaucheraient pas de personnel pour suivre cette orientation. On a donc toutes les raisons de penser qu’elle se fera de façon mécanique et que l’entretien prévu avec l’étudiant sera simplement une information de la décision administrative.
La logique qui sous-tend la procédure est tout de toute façon celle de la sélection. A l’étudiant qui a du mal à suivre, il n’est pas prévu d’apporter une aide spécifique. Selon la morale officielle de la responsabilisation, il doit ou réussir dès les premiers mois ou dégager. A la fin du premier semestre universitaire, l’établissement prendra une décision qui s’imposera à l’étudiant à qui on fera valoir que « le conseil de classe puis l’université l’avaient prévenu ». L’université aura le droit d’exclure, c’est-à-dire de sélectionner ses étudiants, en cours de première année selon les critères qu’elle se fixera elle-même. On laisse imaginer si les lycées appliquaient la même règle…
La procédure, qui se limite à l’éjection automatique, ne constitue évidemment pas une réponse digne d’un état démocratique aux difficultés d’une partie de sa jeunesse. Elle a aussi la particularité de méconnaître les causes d’échec des bacheliers technologiques et professionnels dans le supérieur. Elle ignore qu’un étudiant sur dix arrête ses études pour des raisons économiques. Un taux moyen qui doit être trois ou quatre fois supérieur pour ces bacheliers largement issus des milieux défavorisés.
Reste quand même 30 ou 40 % d’échec nous dira-t-on. Le ministre feint de croire que ces étudiants viennent en université parce qu’ils sont mal informés et que l’information qui leur sera donnée dans le cadre de la procédure Hetzel les aidera. C’est peut-être vrai pour une partie d’entre eux. Mais la plupart arrivent en université parce qu’ils n’ont pas trouvé place en BTS ou en IUT. C’est tellement vrai que le rapport Hetzel lui –même demande la création de 50 000 places en BTS. Une demande qui est restée lettre morte. Par conséquent le nombre de bacheliers technologiques et professionnels demandant à aller en université va rester le même. La différence c’est qu’ils seront exclus au bout de quelques mois.
La procédure n’apporte donc aucune réponse à la formation supérieure de ces jeunes des milieux populaires. C’est pourquoi on peut douter qu’elle s’inscrive réellement dans le cadre l’optique européenne de 50% de diplômés du supérieur. Une perspective qui est d’ailleurs officiellement remise en question par les experts gouvernementaux du Conseil d’analyse stratégique qui dénoncent « l’inflation scolaire ».
Quelle est alors la motivation du gouvernement ? Je crains qu’elle ne soit que budgétaire. Les universités françaises manquent effectivement de moyens. En diminuant le nombre de bacheliers inscrits en université, le gouvernement croit avoir touché trois objectifs. Dégager des moyens dont les universités ont bien besoin. Éviter toute remise en cause de l’enseignement secondaire et supérieur dans la préparation intellectuelle des jeunes. Faire jouer la sélection sociale en réservant les filières universitaires aux milieux sociaux favorisés.
Alors que les conseils de classe des lycées préparent les décisions d’orientation, il faut qu’ils en envisagent dès maintenant toutes les conséquences. La procédure d’orientation active respecte-elle le droit de tous les jeunes à l’éducation ?