Par François Jarraud
« Citadelles assiégées, les salles des profs hier tenues par les anciens sont en train de tomber aux mains des nouveaux. Ici et là, ils commencent même à devenir le noyau central, voire majoritaire. Place donc à ces enseignants tout neufs qui… sont capables, nous en faisons le pari, de changer l’école ». Maryline Baumard fixe l’objectif assez haut : montrer que cette nouvelle génération d’enseignants a la volonté et la possibilité de faire évoluer une Ecole qui semble bien immobile.
Pour tenir ce pari, elle nous propose de partir à la découverte de ces « nouveaux profs », une traque qui sert aussi de prétexte à un vaste tour d’horizon des réalités sociologiques de l’Ecole. Ainsi elle nous montre les origines sociales des profs, leur culture politique, un métier conçu comme un passage, en analysant les études de sociologie de l’éducation les plus récentes et pertinentes.
Très respectueuse de ces enseignants, Maryline Baumard estime que cette « relève » est consciente des attentes qui pèsent sur elle ». C’est ce que nous avons voulu explorer avec elle.
Il y a beaucoup de choses que j’ai apprécié dans votre livre. Mais je veux tout de suite souligner l’estime que vous portez à ces enseignants. C’est devenu rare dans les medias. Ca vient d’où?
De mon histoire personnelle avec l’école sans doute et de ces centaines de reportages dans des classes, les neuf années où j’ai suivi cette rubrique pour le Monde de l’Education. Mais plus profondément, j’estime que dans une société où les parents sont parfois un peu perdus, on demande aux enseignants de pallier tous les manques tout en leur donnant peu en retour. Alors que c’est eux qui chaque jour dans leur classe travaillent à dessiner la France de demain, qui ne tiendra son rang que si elle utilise les cerveaux comme matière première pour développer une économie de la connaissance performante, innovante. Lorsqu’un politique annonce que notre système doit amener un jeune sur deux au niveau licence, ce n’est qu’une annonce, un affichage. S’il n’y a pas derrière des enseignants qui retroussent leurs manches, ce ne sera que du vent.
Le renouvellement démographique du corps enseignant est incontestable. Assiste-on à un renouvellement sociologique ? N’assiste on pas à un embourgeoisement du corps enseignant, accéléré par les masters ? N’est ce pas un problème pour l’Ecole ?
Il est certain qu’un recrutement au niveau master, qu’une suppression de l’année de fonctionnaire-stagiaire payée, comme cela est prévu pour 2010, risquent de décourager les jeunes issus des milieux populaires. Il ne faut pas se voiler la face, les fils d’ouvrier représentent 12% des effectifs en licence et deux fois moins en master ; alors que les fils de cadres passent de 29% des effectifs de licences à 37% en masters… L’Education nationale risque bel et bien de s’embourgeoiser rapidement. Or, il ne faut pas négliger l’impact de l’origine sociologique des enseignants sur leur enseignement. C’est un point très peu étudié par les chercheurs, mais on enseigne beaucoup comme on est, comme on a été éduqué!
Vous évoquez la place des « minorités visibles » dans les Nouveaux profs. Pourquoi est-elle spécifique et importante ?
La nation a besoin d’eux comme modèle de réussite pour toute une frange de jeunes qui se pensent comme laissés pour compte ; qui estiment que c’est « no future ». Il me semble qu’à l’heure où l’intégration est un peu bloquée dans ce pays, le message que le jeune prof issue d’une « minorité visible », comme vous le dites joliment, peut faire passer, est essentiel. Parce qu’il dit que ce pays offre encore des voies d’intégration. Il dit que c’est possible et qu’il est même moins hasardeux de se construire une voie de réussite par l’école que par le sport, qui est devenu le rêve de toute une frange de jeunes garçons. Les jeunes femmes que j’ai rencontrées pour ce livre, m’ont vraiment bleuffée. Au point d’ailleurs que j’ai sorti le portrait de Fatima en début de livre, tant elle m’a semblée emblématique d’une approche du « coup de pouce ». Fatima, c’est une agrégée de sciences économiques et sociales. Elle a tout pour elle et elle donne beaucoup parce qu’elle s’est faite par l’école et qu’elle a bien envie, elle aussi, de donner le goût des savoirs à d’autres. Les élèves que ses collègues trouvent difficiles ne lui font pas peur. Mais sa connivence ne vire jamais à la complaisance ; surtout pas à la compassion. Elle a le ton juste parce que son histoire autorise ce discours.
Vous dites « les nouveaux enseignants arrivent pour leur discipline et restent pour le relationnel ». Il y a t il vraiment une évolution sur ce point ? Quel est le rapport de ces nouveaux enseignants à la pédagogie ? Ce sont des enfants de Meirieu ou de Robien ?
Comme je le dis au fil de ces pages, les nouveaux enseignants sont pragmatiques. Ils veulent faire passer. Alors évidemment, ils arrivent au concours parce qu’ils aiment une discipline, mais très très vite, la réalité les rattrape et là ils vont déployer des trésors de pédagogies pour intéresser leurs élèves ; pour forcer la porte de leur attention. Ils mesurent que la richesse du métier tient moins dans la discipline qu’ils ont étudié à l’université que dans la relation à l’élève qu’ils sont en train d’inventer. Je caricature un peu ; mais à peine ! Ce qui me gêne lorsque vous me demandez s’ils sont des petits Meirieu ou des petits Robien c’est qu’en définitive ils n’abordent pas la question comme ça parce que leur entrée n’est pas idéologique mais pratique.
Est ce la même chose pour les instits ?
J’ai interrogé un certain nombre de jeunes enseignants qui ont vraiment hésité entre le premier degré et le secondaire. Certains commencent par le premier degré avec l’envie ensuite de passer dans le secondaire parce qu’ils -ou plutôt qu’elles- n’ont pas envie de se retrouver à 24 ou 25 ans face à des adolescents contestataires. Même si au quotidien le métier diffère toujours, même si la pluridisciplinarité est constitutive dans le premier degré, les cultures des professeurs des lycées et collèges et des professeurs des écoles se sont largement rapprochées depuis la création des IUFM.
Ne risque t-on pas de voir disparaître une idée de la transmission des gestes, des attitudes, des usages du métier ? N’y-a-t-il pas un risque, un danger de voir disparaître une culture enseignante qui a aussi une valeur ?
Ce métier a la chance de disposer d’un espace absolument unique : la salle des profs, ou la salle des maîtres. C’est un lieu d’acculturation très fort où se transmettent ces savoir-faire, ces savoir-être qu’on n’enseigne pas à l’IUFM. Ces salles sont en train d’être colonisées par les nouveaux venus, mais il reste encore des enseignants chevronnés pour briffer les arrivants. Toutefois, la limite de cette transmission des anciens aux plus jeunes tient au fait que pour les plus âgés, la pédagogie est de l’ordre de l’intime, alors que pour les néos, c’est une boîte à outils qu’on peut ouvrir et passer aux confrères.
Justement parlons valeurs. Les « vieux profs » ont eu une formation militante, plus ou moins poussée. Ils l’intègrent dans leur enseignement. Est-ce la même chose pour les nouveaux profs ?
Il est toujours difficile de parler globalement d’une génération sans tomber dans la caricature; je me suis évidemment heurtée à ce problème en rédigeant ce livre, mais je ne vous surprendrai pas en vous disant que la relève est moins politisée et moins militante que la génération précédente. Comme c’est le cas pour toute la société, d’ailleurs. Ce constat de départ n’empêche pourtant pas les nouveaux enseignants d’avoir une éthique du métier, une déontologie très forte. On le voit bien en ce moment avec les désobéisseurs. Ces enseignants qui refusent d’appliquer les circulaires et programmes Darcos au nom de leur conception de l’école. Il y a de nombreux jeunes dans la liste des signataires de pétitions.
L’Ecole est soumise à de nouvelles pressions d’efficacité, à travers des évaluations. C’est vécu par certains « vieux profs » comme une perte de pouvoir. Qu’en est il des nouveaux ? Sont ils plus à même de rendre compte, de se plier aux objectifs de rendement, de faire évoluer l’Ecole vers un service
Les nouveaux venus perçoivent sans doute moins leur métier comme une profession libérale. Ils arrivent dans des classes difficiles, dans des établissements que les enseignants chevronnés ont boudé et l’inspecteur ou le conseiller pédagogique ne sont pas toujours très disponibles. A partir de là, tout ce qui va pouvoir les aider, leur renvoyer une image de leur enseignement peut être perçus par nombre d’entre eux comme une aide. Evidemment il y a les collègues ; mais eux aussi ont leurs soucis. Alors, les évaluations peuvent leur offrir un retour sur leur travail doublé d’une mise en perspective. Ce qui ne veut pas dire qu’on est dans une compétition entre établissement ! Vous savez mieux que moi qu’il est difficile lorsqu’on est seul dans la classe de s’auto-évaluer ; que les élèves ne renvoient pas toujours beaucoup à l’enseignant et que même lorsqu’on enseigne dans une classe à examen on ne sait pas trop la part qu’on tient dans une réussite… Les évaluations peuvent aussi servir de miroir et apporter des bribes de réponses.
Maryline Baumard
Maryline Baumard, Les nouveaux profs, Arte éditions, 2008, 182 pages.