Par François Jarraud
Alors que le plan de relance numérique du gouvernement prévoit de consacrer 30 millions aux serious games, mardi 26 mai 2009, le Centre d’analyses stratégique organisait un séminaire pour évaluer l’intérêt de cette mesure et évaluer la place du e-learning et des serious games et leur impact sur la productivité. Une question qui intéresse malgré tout l’Ecole : les jeux sérieux, les techniques de formation utilisées sont appelées à passer de l’enseignement supérieur, où elles arrivent, à l’enseignement scolaire.
Devant un public de responsables de firmes, clientes de services informatiques et d’éditeurs de cours en ligne et de jeux sérieux, le CAS avait fait venir un représentant de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) pour dévoiler les résultats du baromètre du e-learning, un éditeur de serious games accompagné d’un de ses clients ainsi qu’un consultant.
Le e-learning en pleine maturité. Si seulement une entreprise sur neuf utilise le e-learning (12%), révèle Raphaël Gnanou, CCIP, le Baromètre du e-learning de la CCIP montre qu’une réelle appropriation est en cours. Si le e-learning reste limité à certaines formations (langues, bureautique essentiellement), les entreprises qui y font appel (automobile, secteur financier, électronique) multiplient les domaines et développent souvent en interne. Pour la CCIP, le e-learning a passé « le fossé des désillusions » , selon la courbe de Gartner, et progresse en pleine « montée des Lumières ». « Les responsables de formation sentent que ça favorise l’apprentissage et la réactivité des salariés », explique Raphaël Gnanou. Mais « 80% des entreprises n’ont pas encore de stratégie de formation définie ».
Quelle place pour le web 2 dans la formation ? S’il revenait à Marc de Fonchécour de peindre en rose les particularités du web 2, « à la fois imprévisible et levier de création de valeur », R. Gnanou revenait sur le terrain des entreprises. Second Life est investi par de nombreuses entreprises qui l’utilisent pour la communication et le recrutement, mais, pour lui, s’approche du « fossé des illusions ». Ce sont dans les réseaux sociaux qu’il se passe des choses nouvelles. Ainsi des entreprises développent des applications Facebook pour leurs salariés pour favoriser le recrutement et mobiliser leurs salariés.
Les serious games sont de vrais vecteurs de formation. C’est un couple inattendu qui a impressionné le plus le public. Damian Nolan est un des fondateurs de Daesign, une entreprise qui fabrique et vend des jeux sérieux. José Milano, directeur de l’emploi et du développement social chez Axa, est son client. La présentation des jeux réalisés par Daesign pour AXA est saisissante. Un outil de simulation d’entretien permet de piloter réellement l’entretien, en choisissant des stratégies. Il s’adapte aux réactions et propose un bilan pédagogique final. Dans le cas d’une formation à la vente de produits financiers, l’apprenant peut évaluer sa capacité à établir une relation avec le client, à comprendre ses attentes, à proposer les bons produits. Il dispose d’une bibliothèque de cours théoriques et du jeu de simulation. Dans le déroulement du jeu, chaque avatar (le client, le vendeur) réagissent aux choix qui sont faits par l’apprenant d’une façon à la fois réaliste mais aussi avec la distance d’une évaluation finale. Ainsi l’apprenant peut travailler sur un objectif précis, revenir sur ses erreurs, choisir lucidement des stratégies.
Tout cela est-il efficace ? José Milano le prouve en expliquant qu’Axa a vendu sur une seule région 17 000 contrats de plus après que ses salariés aient suivi la formation de vente de produits financiers. Axa pense développer le e-learning pour le faire passer à 30% du budget formation, en partie en libre accès aux salariés (par exemple pour les langues), en partie en complément de formations. Dans l’entreprise, le e-learning et les jeux sérieux permettent de résister au « choc démographique », d’individualiser les formations.
Pour autant, Etienne Armand Amato (Observatoire des mondes numériques, Paris 8) conteste l’efficacité de la mesure gouvernementale de soutien aux jeux sérieux. Pour lui elle arrive trop tôt, sur un marché encore composé de petites entreprises. « C’est verser de l’essence sur un feu de paille » estime-t-il. La mesure risque de conduire aux désillusions et détruire le marché.
Qu’en tirer pour l’éducation ? La remarque d’E A Amato attire l’attention sur la prévalence des illusions dès qu’il s’agit des TIC, un certain « évangélisme » très présent sur un secteur émergent. Mais Nicolas Catzaras (Sciences Po) pouvait témoigner de l’impact du e-learbing auprès des étudiants. Depuis un an, les cours du premier cycle de Sciences Po ont été mis en ligne avec des accompagnements pédagogiques : ouvrages,animations vidéo etc. Cela a amené les enseignants à revoir leurs cours et à les concevoir moins sur le modèle de la connaissance descendante. Mais ça n’a pas supprimé le présentiel. Les étudiants viennent aux cours, continuent à y prendre des notes. Il est encore trop tôt pour connaître l’impact sur le niveau des étudiants.
Bien des questions, intéressant davantage l’Ecole, sont restées pendantes à l’issue du séminaire. Celle de l’efficacité du serious games : quelles techniques, empruntées au jeu vidéo, permettent de faire suivre avec succès une formation à presque tous les apprenants, alors que l’Ecole n’arrive pas à faire réussir tous ses élèves. Celle de son éthique. Si les jeux sérieux sont appelés à se multiplier, ils entreront inévitablement dans l’univers culturel des élèves,même s’ils peinent à pousser la porte des écoles. C’est d’ailleurs déjà le cas de certains et, dans la salle, on annonçait la sortie prochaine de nouveaux jeux (par exemple un jeu d’initiation à la santé oculaire distribué gratuitement par un lunetier connu). Quelles valeurs seront portées par ces jeux ? Seront-elles compatibles avec celles de l’Ecole ? L’Ecole peut-elle s’en désintéresser ?
François Jarraud
Le programme du séminaire
http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=985
Présentation des serious games de Daesign
http://www.strategie.gouv.fr/IMG/pdf/Presentation_DAESIGN.pdf
Le baromètre e-learning de la CCIP
http://www.preau.ccip.fr/barometre_elearning/video/
Les cours en ligne de Sciences Po
http://supportscoursenligne.sciences-po.fr/
Sur le Café :
Dossier enseigner avec le jeu