Par François Jarraud
Pédopsychiatre, Nicole Catheline lève la tabou et informe le grand public sur les ravages du harcèlement. Parents et profs n’ont plus le droit d’ignorer.
De Créteil à Berlaimont, l’actualité est pleine de violence scolaire. Pourtant le thème que vous traitez dans votre livre, celui du harcèlement entre élèves (le bullying), est rarement évoqué en France. Si l’on prend les derniers textes officiels sur ce sujet, ceux de G. de Robien, ils sont focalisés sur la violence des jeunes vers les adultes. Est-ce parce que ce harcèlement est négligeable ? Comment l’expliquer ?
Le harcèlement n’est pas reconnu par les adultes parce qu’ils pensent parfois qu’il est normal entre enfants de se mesurer, de se bagarrer parfois, de se faire des farces. Ils pensent qu’il faut s’aguerrir, les romans mettant en scène ces situations sont d’ailleurs intitulés romans d’apprentissage. Dans d’autres situations les adultes refusent de croire que les enfants puissent être aussi « sauvages ». Beaucoup d’adultes aujourd’hui (ceux qui ont entre 40 et 50 ans ) ont été élevés avec des méthodes où le respect d’autrui passait par le fait de ne pas se moquer des autres. Actuellement la dérision fait partie de l’univers des jeunes : on filme les chutes, les bonnes blagues, des émissions comme les guignols de l’info ridiculisent les politiques ou les people. Cela permet de sortir d’un système très paternaliste du pouvoir, mais il a pour conséquence que les enfants eux n’y voient qu’une légitimation de ces pratiques. Par ailleurs à force de dire qu’il faut autonomiser les enfants on les laisse bien trop seuls et tout groupe d’enfants ou d’adolescents non régulé par un adulte se donne ses propres règles comme le montre le dur roman de W. Golding « sa majesté des mouches ».
Est ce lié au fait qu’en France éducation et instruction relèvent de deux métiers différents (profs et CPE) ?
Quand je dis qu’on laisse les enfants bien trop seuls c’est que les adultes ne s’intéressent pas suffisamment aux temps autres que le seul enseignement. Ils ne considèrent pas que l’école constitue aussi un lieu de vie. Il ne me parait pas souhaitable de distinguer l’intervention du CPE de celle des enseignants. Un enfant, un adolescent voient d’abord l’adulte avant de voir la fonction. Tous les adultes quelle que soit leur fonction doivent remplir ce rôle auprès des enfants. Il ne faut pas seulement les laisser libres de courir dans la cour encore faut-il s’être assuré qu’ils ont les moyens de s’occuper de se détendre.
Ceci devient de plus en plus nécessaire car les enfants ont peu l’habitude de la collectivité « physique ». Ils ont beaucoup de relations virtuelles mais ne savent pas toujours comment se comporter dans un groupe « réellement constitué » par des personnes physiques. Ils ne savent pas toujours comment occuper ce corps. Les jeux ancestraux ont disparu pour la plupart. Ils permettaient pourtant de s’exercer à beaucoup de situations : habileté, évaluation de sa popularité, etc. Il est par ailleurs regrettable en terme de formation que les CPE soient mieux formés par exemple en matière de psychologie de l’enfant que les autres enseignants (même si cette formation est notoirement insuffisante). Tout ce qui tourne autour de la dynamique de groupe par exemple n’est pas abordé.
Quels sont ses effets du harcèlement sur les élèves ?
Les effets sur les élèves ? Sur les enfants plutôt. Cela fragilise durablement l’estime de soi parce que le harcèlement dure et qu’il est incompréhensible pour celui qui le subit. Il finit par se demander pourquoi cela lui arrive qu’est-ce qu’il a de moins bien que les autres. Ensuite cela peut conduire d’abord à l’anxiété puis à la dépression voire aux tentatives de suicide ou aux troubles des comportements alimentaires quand la persécution porte sur le physique.
Est-ce un phénomène français ou est-il universel ?
Le phénomène est universel. Depuis 20 ans de nombreuses enquêtes internationales le montre le chiffre de 15% est un chiffre moyen. Vous pouvez à cet égard lire l’ouvrage qui vient de sortir d’Eric Debarbieux sur les dix commandements contre la violence chez Odile Jacob (fin septembre 2008).
Peut-on chiffrer ces effets en terme de réussite scolaire par exemple ?
Concernant les chiffres en terme de réussite je n’ai aucun chiffre à vous donner mais je sais aussi que certains enfants et adolescents en proie à des harcèlements se sont cramponnés à leurs études, y réussissant bien mais incapables d’avoir une vie sociale et affective. La réussite scolaire contrairement à ce que l’on pourrait croire n’est pas toujours le signe d’un équilibre. Nous voyons beaucoup d’investissement « défensifs » qui servent à donner le change socialement mais qui sont des impasses au plan personnel.
Dans ce harcèlement les « bons » élèves sont plus souvent victimes que les autres. Ce harcèlement est-il une réaction à l’Ecole, une forme de violence contre l’institution ?
Oui cela peut être le cas de certains mais il ne faut pas généraliser. Lorsque de bons élèves sont pris pour cible par de plus mauvais c’est le cas. Mais il y a beaucoup d’autres situations où ce sont des enfants fragiles ou simplement différents et là ce n’est pas du tout une réaction contre l’école. Il ne faut pas faire du harcèlement un problème « sociétal ». Le harcèlement a toujours existé quelle que soit la place de l’école dans la société
Vous pensez que le harcèlement relève uniquement de la psychologie personnelle ? N’est -il pas aussi en rapport avec le fonctionnement de l’Ecole, avec les conflits de classe (sociales) ?
Je suis pédopsychiatre, pas sociologue, je ne parle que de ma clinique, des dégâts que je constate et j’essaie de voir en terme individuel comment on peut comprendre d’abord aider ensuite les personnes. Le harcèlement n’existe pas seulement à l’école mais au travail entre collègues sans qu’il y ait de conflits de classe. Il ne faudrait pas utiliser cet éclairage pour charger l’école.
Les profs ne savent souvent pas quoi faire face à cette forme de violence. Par exemple, en cours de maths, Pierre prend systématiquement la trousse de Pierre, bon élève, et lui vole jusqu’a ce que vous interveniez. Ca garde l’apparence d’un jeu. Que peut faire le prof ?
Il faut faire en trois temps : 1° interdire sans commentaire, éventuellement sanctionner mais comme pour d’autres infractions au règlement. 2° après l’heure de classe, il faut se faire aider par les collègues et parler un peu de Pierre, connaître son caractère pour mieux cibler l’intervention du professeur. Ce n’est pas aux actes qu’il faut réagir sur le plan individuel mais à la personnalité de l’élève sinon cela ne portera pas. Par ailleurs il a peut-être déjà fait cela avec un autre prof et celui-ci aurait trouvé une réponse qui aura marché. Il faut donc que les professeurs se parlent.. Cela aussi leur permettra d’avoir Pierre à l’oeil et d’intervenir plus précocement ou d’avoir des informations sur la manière dont il réagit avec les bons élèves Ensuite, une fois la question individuelle réglée il faut traiter le problème de fond et organiser des débats, des exposés généraux sur le respect de l’autre, de la différence, la non violence et parler de la limite de la plaisanterie. Il ne s’agit pas forcément de parler de la situation qui vient d’avoir lieu mais il faut tenter de généraliser.
Dans les pays anglo-saxons il y a des programmes de lutte contre le lobbying. Sont-ils efficaces ? Dans la culture pédagogique française, certaines méthodes affrontent-elles mieux ce défi ?
Ces programmes sont intéressants mais comme toujours ils ne doivent pas être systématiques. Il faut réfléchir à leur implantation. Des enseignants qui ne voudraient pas le mettre en oeuvre ne doivent surtout pas se le voir mis d’office. Ils n’habiteraient pas cette action et la rendraient ridicule voir nocive car plaquée et vidée de tous son sens. A cet égard Eric Debarbieux témoigne longuement des missions qu’il a faites dans le monde. Il vient d’être nommé à la tête d’une mission par l’observatoire national de la délinquance en France. Il faut déjà penser au harcèlement , considérer que ces enfants et adolescents ne sont pas des monstres, juste des jeunes que les adultes ne regardent pas assez et dont ils ne s’occupent pas vraiment du moins au niveau de leur morale et la relation à autrui. Il convient de trouver des solutions pour y remédier. Cela peut passer par des jeux de rôles, des visites, des voyages, des discussions, bref beaucoup de choses qui permettent aux jeunes d’utiliser intelligemment leur envie de comprendre de monde et d’y trouver leur place.
Nicole CATHELINE
Entretien François Jarraud
Dernier ouvrage de Nicole Catheline : Harcèlements à l’école, Albin Michel, 2008, 224 pages.