Par François Jarraud
Le 11 octobre, l’association Réussir aujourd’hui avec le soutien de Polytechnique, l’Essec, l’ENA, l’ENSM de Saint-Etienne, organisait un colloque sur « les études d’excellence, un droit pour tous ». Le colloque met en avant les programmes de soutien aux élèves défavorisés développés par Réussir aujourd’hui et globalement Les cordées de la réussite. Avec l’objectif de demander un engagement financier plus important de l’Etat dans ce programme et l’ouverture de CPGE intégrées aux grandes écoles dans des lycées de banlieue. Mais qu’en est -il sur le terrain ?
L’ouverture sociale des grandes écoles est-elle encore un tabou ? Certaines, comme Sciences Po, ont mis en place un dispositif d’intégration dont on sait qu’il arrive effectivement à hisser des lycéens de banlieue jusqu’à l’excellence. Les grandes écoles présentes le 11 octobre sont réticentes. Pour Polytechnique, Denys Robert nous confiait que « ce n’est pas adapté à Polytechnique qui a besoin de jeunes d’un haut niveau académique ». Dans son école, il reconnaît que l’ouverture sociale est « forcément très lente ». Chantal Dardelet (Essec) estime que la moitié des 47 500 lycéens impliqués dans les Cordées de la réussite viennent d’établissements de quartiers défavorisés, ce qui laisse entendre que les cordées aident majoritairement des lycéens plutôt favorisés…
Où en est-on de l’ouverture sociale ? On entre là dans un terrain où le vocabulaire est piégé. En 2010, Luc Chatel s’était déclaré « choqué » par les inégalités d’accès aux grandes écoles et avait souhaité « un quota de boursiers en classe préparatoire ». Plusieurs circulaires ont rappelé ce voeu ministériel. Mais la notion de boursier a été revue pour concerner également des enfants venus des classes moyennes (les boursiers taux zéro), vidant la mesure d’une grande partie de son efficacité. Selon les données du ministère de l’éducation nationale, les CPGE compteraient 16% d’enfants d’employés et d’ouvriers, les « grands établissements » seulement 11%, alors que ces deux catégories représentent 29% de la population française. Inversement le taux d’enfants ayant des parents cadre supérieur ou profession libérale atteint 51% en CPGE et dans ces établissements (contre 9% dans la population française). Les ENS atteignent même le taux record de 57% !
Comment assurer plus de mixité sociale ? Les grandes écoles affirment que cet objectif leur tient à coeur pour « ne pas perdre de talents face à la compétition internationale » ou « pour assurer la paix sociale ». A l’évidence leurs efforts sont insuffisants même si des programmes comme le tutorat mis en place par Réussir aujourd’hui ont l’avantage d’apporter un éclairage saisissant sur les inégalités entre établissements scolaires et sur les dimensions culturelles et territoriales des inégalités d’accès aux grandes écoles. C’est que les inégalités se creusent bien en amont. Pour démocratiser l’accès aux grandes écoles il faut déjà démocratiser l’accès au lycée. Or on sait que 150 000 jeunes sortent du système éducatif sans diplôme, quelque soit leur talent. La particularité de cette rentrée c’est aussi que le gouvernement assume le tri social en multipliant les filières de relégation qui, dès le collège, éloignent du lycée une partie des jeunes.
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