Professeur des écoles à Paris, Daniel Gostain a une double vie. Régulièrement il devient Schlémil, un des 4 clowns de la Compagnie Tape l’incruste. Mais c’est pour offrir un autre visage de l’instit. Celui qui sait toucher l’élève et le faire réfléchir par le détour artistique. C’est ce patient travail sur les empêchements d’apprendre que vient de reconnaître le Grand prix du jury du Forum des enseignants innovants.
Pour devenir un prof pas commun mieux vaut commencer par un parcours pas ordinaire. Daniel Gostain n’est pas tombé tout petit dans la marmite enseignante. Il a commencé sa vie professionnelle par une école de commerce prestigieuse et un travail de commercial. « J’ai appris des choses, par exemple écouter, me décentrer pour suivre mon interlocuteur », nous dit-il. « Mais j’avais l’impression de faire des choses sans sens ». En vendant ses livres, il perdait son temps et ne retrouvait du punch qu’en encadrant des colonies de vacances. Alors la balance a vite été faite. Adieu la paye, bonjour les valeurs ! A 33 ans, le jeune commercial réussit le concours des écoles. Daniel Gostain se retrouve enfin à sa vraie place : devant des élèves, à Paris, au primaire. Aujourd’hui il enseigne en CP/CE1 dans un quartier populaire du nord est parisien.
L’empêchement d’apprendre on le retrouve dans Pisa. Plus que les autres élèves, les jeunes français se paralysent devant la feuille blanche et refusent de répondre. Mais ces empêchements peuvent venir de loin et pas forcément de l’école.
C’est quoi un empêchement d’apprendre ?
C’est quelque chose qui ne se voit pas et qui fait que l’élève bien que présent n’est plus là. Il y a quelque chose qui peut venir des enfants, des enseignants, des parents ou des savoirs qui fait que l’élève ne rentre pas dans les apprentissages. Ca peut être un souci aussi. Ca peut être un savoir dont on ne voit pas le sens.
Comment l’enseignant s’en rend compte ?
Si le professeur est totalement axé sur son programme ou la transmission, il ne le verra même pas. Sinon il le voit quand il s’autorise des petits pas de coté, de la distance. Quand on regarde els élèves on voit ces empêchements. Par exemple « j’ai besoin de bouger » est un des 30 empêchements que l’on a travaillé.
Le problème est chez l’élève ou chez l’enseignant ?
On fait attention dans notre travail sur les empêchements de montrer qu’il peut venir de l’enseignant. C’est le cas par exemple d’un empêchement fréquent : l’élève qui se dit « il ne s’intéresse pas à moi ». Dans ma classe on a établi un rituel, le moment « je partage » où les élèves racontent quelque chose qu’ils ont fait hors de l’école. Voilà une façon de lutter contr ec type d’empêchement.
Un empêchement lié au savoir ?
C’est le cas de tout savoir qui arrive dans le cours sans nécessité. Par exemple travailler l’imparfait sans expliquer à quoi il sert. Pour l’enfant ça peut devenir « ça ne sert à rien » ou « j’ai pas le niveau ». Ou encore « je vais être traité d’intello », encore un bel empêchement d’apprendre.
Pour lutter contre ces empêchements vous prenez le costume du clown. Pourquoi ?
Le clown est une loupe. Il dit des choses qui sont au fond de moi mais que je n’ose pas dire. Il joue un peu le même rôle que les textes mythologiques qu’évoque S Boimare. C’est une façon de parler des élèves et aux élèves sans jamais parler d’eux. Le clown ne stigmatise pas. Il aborde les sujets avec distance.
Comment utilisez vous les vidéos de clown dans votre classe ?
Je choisi une scène en rapport avec un problème de la classe. Et je l’inclus dans « le temps du penseur » : un moment rituel d’éveil philosophique où on pense les apprentissages. On regarde la scène puis on échange. On regarde les émotions du clown. Après les élèves rejouent la scène et trouvent des solutions à l’empêchement d’apprendre. Et c’est repris en atelier philo.
N Vallaud Belkacem a été très intéressée par votre démarche lors du Forum des enseignants innovants. Ca fait quel effet ?
Je suis étonné et reconnaissant. Mon rêve c’est que ces empêchements se diffusent.
Propos recueillis par François Jarraud