L’événement aurait dû rester quasi secret. Mais voilà, le bruit est arrivé jusqu’au Café. Samedi 8 septembre, le Café suivait de près ce qui se passait à Plougoumelen, une commune de 2400 habitants, située dans le Morbihan, entre Vannes et Lorient. Ce jour là, Jean-Claude Guiziou, le maire, inaugurait la première école Philippe Meirieu.
De l’utilité d’une claque salutaire
C’est que le maire, Jean-Claude Guiziou a un compte personnel à régler avec Philippe Meirieu. « J’étais professeur d’histoire-géographie depuis 20 ans quand P. Meirieu est venu faire une formation », a confié J.-C. Guiziou au Café. » Cela a été une claque salutaire. Je suis ressorti avec des questions sur mes méthodes. Ce qu’il nous a dit m’a secoué. Grâce à lui, je me suis remis en question sur ma façon d’enseigner. J’ai changé ». Une dette que le maire a le sentiment d’acquitter par le baptême de la nouvelle école.
« L’école Meirieu sera ce que ses enseignants en feront. Le nom ne les engage pas » précise le maire. « Mais le conseil d’école, l’inspection académique, le conseil municipal ont accueilli favorablement ma proposition de nommer cette nouvelle école de 4 classes du nom de P. Meirieu ».
La reconnaissance du terrain
Restait à interroger le parrain de l’école de Plougoumelen.
– Quand on a voué sa vie à l’Ecole, Philippe Meirieu, quel effet cela fait-il de voir une école porter son nom ?
– Je n’aurais jamais imaginé cela et, bien sûr, je ne l’ai pas demandé. Le maire de la commune que je ne connaissais pas m’a contacté en m’indiquant que cette proposition était pour lui importante, que c’était un signe qu’il voulait donner pour marquer des solidarités essentielles : « Dans la période inquiétante pour la pédagogie et l’école que nous traversons, je souhaite que ce soit l’occasion d’un affichage clair des options pour l’avenir, pour tous ceux dont l’école doit contribuer à assurer la formation intellectuelle, l’épanouissement, la promotion et la citoyenneté ».
Le maire a ajouté que cette école, pour laquelle la commune avait beaucoup investi, s’inscrivait dans une perspective « démocratique » et « humaniste », d’attention aux enfants et d’exigence envers eux. Il a souligné qu’elle avait été construite en étant attentif aux meilleures conditions de travail des élèves et basée sur les énergies renouvelables. Il m’a indiqué que j’incarnais, à ses yeux, ces perspectives par mes engagements, mes écrits et mes propositions. Et, surtout – ce qui m’a le plus touché -, il m’a indiqué que je « donnais du courage » aux enseignants et les aidais réellement dans leur métier…
J’ai, bien sûr, beaucoup hésité : tant de noms mille fois plus prestigieux et importants auraient pu être utilisés : Korczak, Freinet, Deligny, Makarenko, Cousinet, Bakulé et tant d’autres. Il y a quelque chose d’immodeste à accepter, de son vivant, que l’on donne son nom à une école et j’en suis bien conscient… Mais c’est aussi une reconnaissance infiniment précieuse, surtout pour quelqu’un comme moi qui a quand même beaucoup souffert d’attaques haineuses et d’interprétations injustes et partiales de son travail. D’autant plus précieuse qu’elle émane non des grands circuits médiatiques du show-biz intellectuel et politique, mais d’hommes et de femmes de terrain, d’ « hommes de bonne volonté », pour reprendre l’expression de Jules Romain : le conseil municipal et le conseil d’école. J’ai été touché et, maintenant, je suis impressionné, très impressionné.
– Ne craignez-vous pas d’être critiqué par vos adversaires qui vont y voir une provocation ?
– Je le crains, bien sûr. Mais j’avoue que je préfère cette « consécration » à celle des plateaux de Stéphane Bern ou de Laurent Ruquier. J’ignore si mon travail mérite cet honneur, mais je crois que c’est un vrai travail… Le temps, seul, dira s’il en restera quelque chose.
En attendant, je me suis inquiété des retombées possibles et j’ai même sollicité l’avis de Xavier Darcos. Ce dernier m’a dit, très simplement, qu’il respectait l’avis du conseil municipal et du conseil d’école et qu’il ne voyait là rien de scandaleux. Cela confirme, pour moi, que le ministre, malgré les fortes divergences que nous pouvons avoir, est, contrairement à son prédécesseur, un homme capable de dialogue, conscient qu’il faut s’estimer pour s’affronter sur le plan des idées. Je dois dire que, malgré les très graves désaccords politiques qui nous séparent, il m’a rassuré. Je m’efforce d’être le plus honnête possible dans mes analyses politiques ; la même honnêteté m’oblige à rendre hommage à un ministre qui témoigne de grandes qualités humaines.
– A Plougoumelen on est en plein pays catholique et l’école publique a été en grande difficulté face à l’école Sainte Anne. La nouvelle école est une « reconquête » qui n’a pas été facile… Cette dimension-là, école publique contre école privée, est-elle encore importante pour vous aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas d’être « contre » l’école privée. Il s’agit de travailler à offrir un service public de qualité qui fasse que les parents n’aient pas besoin de chercher ailleurs (dans l’enseignement privé ou hors de leur secteur scolaire), ce que l’école publique va leur apporter. C’est la démarche du maire de Plougoumelen. Ce n’est pas une démarche de guerre scolaire, mais de travail pour être fidèle au quotidien aux promesses de la République. J’admire cette démarche que je voudrais voir généralisée : si, partout, l’enseignement public faisait le même effort et si l’état lui en donnait les moyens, la question de la carte scolaire ne se poserait plus en France.
Travailler à faire une école publique de qualité sans esprit d’agressivité est aujourd’hui, je crois, la seule vraie perspective d’avenir. Je suis content d’y contribuer très modestement. »
Propos recueillis par François Jarraud
Le site de Plougoumelen
Ecole Philippe Meirieu : photo de la ville de Plougoumelen.