Lors de cette quatrième grande manifestation et de la trente-sixième journée de grève chez les agents de la RATP et les cheminots, des centaines de milliers d’enseignants étaient dans les rues jeudi 9 janvier. Mécontents mais déterminés, ils ne semblent pas vouloir lâcher malgré les promesses du gouvernement qui semblent loin d’être à la hauteur de leurs attentes. Les principales organisations syndicales d’enseignants, le Snes, le Snuipp, le Snuep Fsu, la Cgt Education, le Snalc, Sud Education, le Snfolc et le Sncl appellent d’ores et déjà à poursuivre la mobilisation les 10 et 11 janvier.
« On est là pour dire non à la réforme des retraites mais aussi parce qu’il y a un sentiment de mal-être »
Il est 13 heures, dans quelques heures débute le rassemblement parisien, les bistros sont pleins de manifestants venus se réchauffer avant de commencer à battre le pavé. Parmi eux, sept profs du collège Marie Curie dans le dix-huitième arrondissement parisien sont attablés et se concertent sur la rédaction d’un courrier à l’attention des parents de leurs élèves. Ils souhaitent leur expliquer les raisons de leur mobilisation et de l’annulation des cours. « Le quartier dans lequel est situé notre établissement est vraiment mixte socialement, on a donc des parents qui jouent le jeu et qui nous comprennent, d’autres un peu plus défiants et qui nous ont fait part de leur mécontentement. Alors on a décidé de se réunir et de leur écrire ». Dans leur établissement, vingt-deux enseignants sur vingt-sept prévus aujourd’hui sont en grève ainsi que tout le personnel de la vie scolaire. Les AED (ndlr : assistants d’éducation) ainsi que le personnel ATOS (ndlr : administratifs, techniques, ouvriers et services) sont aussi très mobilisés. « Tous les appels nationaux ont été majoritairement suivis. Certains d’entre nous ont même reconduit la grève sur plusieurs jours consécutifs ».
S’ils sont dans la rue, c’est majoritairement pour combattre la réforme des retraites et pour défendre une vision de la société basée sur de la justice sociale. Mais pas que. Ils dénoncent aussi leurs conditions de travail qui se détériorent. « On est là pour dire non à la réforme des retraites mais aussi parce qu’il y a une forme de sentiment de mal-être général nourri par le manque de reconnaissance, qu’elle soit salariale ou symbolique, par le manque de moyens alloués à l’École, par une successions de réformes mais aussi par les derniers discours du ministre qui laissent imaginer que notre statut risque de bouger avec à la clé une possible augmentation de nos obligations réglementaires de service (ndlr : nombre d’heures de cours devant élèves) ». Plus largement, ils sont tous d’accord pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de vie. « On a des collègues qui n’ont jamais fait grève jusqu’à présent qui sont dans la rue aujourd’hui, on sent que tout le monde se sent plus concerné que lors de la réforme du collège ou encore du lycée par exemple ».
Samedi 11, ils seront encore dans la rue pour défendre les retraites mais aussi pour ne pas laisser les cheminots ou les agents de la RATP porter seuls le mouvement. « Lors de notre dernière assemblée générale, un cheminot de la gare de l’est est venu nous mobiliser et a expliqué sa crainte, ainsi que celle de ses collègues, de voir le mouvement s’essouffler. On doit donc continuer, tout se joue maintenant. Cette réforme nous concerne tous ».
« Depuis que je suis jeune on m’assure que de toute façon on n’aura pas de retraite. C’est une sorte de conditionnement »
Myriam est professeure des écoles dans le Val de Marne, c’est sa deuxième journée de grève. « Je suis une toute jeune enseignante, encore stagiaire, alors au début lorsque l’on m’a parlé des retraites, je ne me sentais pas vraiment concernée. Depuis que je suis jeune on m’assure que de toute façon on n’aura pas de retraite. C’est une sorte de conditionnement. Au bout de la deuxième grève, j’ai commencé à me renseigner, à écouter plus attentivement ce qui se disait dans la salle des maîtres. J’ai compris que c’était grave, qu’avec le régime d’aujourd’hui je pouvais avoir le droit à une pension malgré tout ce que j’avais entendu jusqu’alors. Maintenant, je suis décidée, j’ai suivi les appels à mobilisations, je suis même allée manifester le 28 décembre et je compte revenir samedi prochain ».
« Aujourd’hui, nous sommes dans un système juste et solidaire, demain ce sera l’individualisme et rien que cela »
Nadia est professeure d’économie-gestion en BTS. Pour elle, au-delà de la réforme des retraites c’est toute une vision de la société qui est menacée. « Aujourd’hui, nous sommes dans un système juste et solidaire, demain ce sera l’individualisme et rien que cela ». C’est la première fois qu’elle manifeste depuis le début du mouvement, même si elle a fait toutes les autres grèves. « Je n’ai pas pu participer aux autres manifestations car c’était compliqué avec les transports puisque je vis en grande banlieue. Aujourd’hui, j’ai pu bénéficier d’un départ en car organisé par la CGT dans une ville voisine ». Première mais pas la dernière selon la jeune femme, qui décrit un quotidien loin d’être évident. « Je ne lâcherai rien, je serai en grève demain, après-demain et plus encore si besoin. Je n’ai pas grand-chose à perdre même si cela devient compliqué financièrement. Je suis professeure certifiée depuis dix-sept ans, maman solo avec deux enfants et à moins de 2000 euros par mois ».
« La misère, ce n’est pas normal »
Aurélien est professeur d’histoire-géographie dans le Loir et Cher, « Cela fait un an que je bats le pavé. Avant, c’était avec un gilet jaune, aujourd’hui en tant que prof. Mais finalement c’est pour les mêmes raisons. La misère, ce n’est pas normal. J’ai deux enfants, je sais ce que sont des travailleurs pauvres, j’en ai vu de près et je ne veux pas de ça pour eux ». Impossible pour lui de venir manifester samedi, « avec un bac plus cinq, quinze ans d’ancienneté, je touche 1880 euros par mois. On vit à quatre sur mon salaire et je ne peux pas faire grève demain aussi et repayer le train pour manifester samedi mais si je peux bloquer quelque chose, je le ferai ».
La colère des professeurs, bien loin de se calmer, semble perdurer. La balle est du côté de Matignon qui semble prompt à négocier des aménagements pour certaines catégories professionnelles telle que celle des policiers ou encore des pilotes.
Nadia Habassi