Comment engager les élèves en EPS et surtout comment maintenir cet engagement dans le temps ? Véritable problématique professionnelle et enjeu pour la discipline, l’engagement reste à la fois une fin et un moyen pour l’enseignant d’EPS. Le dossier EPS 85 aux éditions Revue EPS propose une multitude de perspectives professionnelles d’une grande qualité et à travers plusieurs approches. Maxime Travert, agrégé d’EPS, maître de conférence et membre de l’Institut des Sciences du Mouvement à l’université d’Aix Marseille, à l’origine de l’ouvrage avec Olivier Rey, répond à nos questions.
Comment est né cet ouvrage ?
Ce sont les enseignants d’EPS qui nous ont interpellés sur cette incapacité qu’ont de nombreux adolescents à mobiliser, dans la durée, l’énergie nécessaire afin d’envisager d’éventuelles transformations. De ce constat, qui nous est apparu comme largement partagé, nous en avons fait, avec mon ami Olivier Rey, un projet éditorial qui rassemble 21 contributions et 38 auteurs. Cet ouvrage puise ses origines dans les multiples réalités concrètes (motivation, obésité, handicap, interactions entre élèves, relation au travail, rapport avec la culture sportive, mixité, prise de risque, etc.) que vivent, au quotidien, les enseignants de notre discipline.
Le désengagement est-ce une fatalité ?
Romain Rolland disait que « la fatalité, c’est l’excuse des âmes sans volonté ». En prenant à bras le corps cette problématique, nous témoignons de notre ambition d’éviter la passivité et la résignation en valorisant la compréhension et l’action. Nous espérons que les multiples perspectives professionnelles envisagées par les auteurs soient dorénavant expérimentées par les enseignants. C’est parce que les professeurs s’engagent que le désengagement des élèves n’est plus une fatalité.
Plus qu’une fatalité, l’engagement s’inscrit à la fois comme fin et moyen. Il est une fin dans le sens où tout enseignant recherche et guette l’engagement des jeunes dont il a la responsabilité. Il est également un moyen car déployer de l’énergie est une exigence pour quiconque souhaite s’approprier une culture. L’engagement est surtout la condition de l’émancipation.
L’ouvrage s’organise à travers différents apports théoriques associés à des perspectives professionnelles, pourquoi ce choix d’associer théoriciens et praticiens ?
Il s’est imposé. Ça fait partie de notre culture disciplinaire. De nombreux ouvrages concernant l’enseignement de l’EPS jouent sur cette relation subtile entre la théorie et la pratique. Le lecteur pourra constater que la construction des textes repose sur le principe du ruissellement : de la théorie vers la pratique. Il peut également, par la dynamique de sa propre lecture, partir des perspectives professionnelles et remonter jusqu’aux soubassements théoriques qui leur donnent vie. A chacun de choisir son itinéraire compte tenu de sa sensibilité. Dans tous les textes proposés, il trouvera des résumés concernant les apports scientifiques les plus actuels et les perspectives professionnelles proposées.
Ce corpus de savoirs et de propositions professionnelles doit être discuté au sein des équipes pédagogiques d’établissement et également entre formateurs de cadres et étudiants dans le contexte des préparations au concours de recrutement du métier d’enseignant.
Vous proposez une « resportivisation » de l’EPS n’est-ce pas justement l’inverse ?
Quand, avec Colin Gatouillat, nous parlons de « resportivisation » de la discipline nous l’entendons de deux manières.
Tout d’abord nous voulons rappeler que dans un contexte scolaire marqué par la présence du socle commun de connaissances et de compétences, il serait regrettable que notre discipline soit envisagée comme un simple faire-valoir. Nous pensons qu’une culture commune authentique n’a de sens que si elle s’appuie sur des cultures disciplinaires fortes. En conséquence, l’EPS, comme toutes les autres disciplines, doit revendiquer l’originalité de sa propre contribution : former un « corps sportivement cultivé ». Il serait paradoxal, alors que la pratique du sport régulièrement évoquée par les pouvoirs publics au nom de sa contribution à la santé et à la citoyenneté de nos jeunes, que l’EPS prenne ses distances avec le projet de permettre à tous, dans la prise en compte et le respect des différences, de se réaliser à partir de cette forme particulière d’engagement.
Ensuite, nous voulons sensibiliser les enseignants sur la nécessité de prendre en compte les transformations que connait aujourd’hui la culture sportive. Nous avons plus particulièrement retenu trois aspects qui nous semblent significatifs : l’attrait pour des pratiques « hybrides » qui permettent à chacun de s’engager suivant un chemin sportif qui lui convient ; la mise en forme à l’extérieur de tout cadre institué de cultures sportives singulières à distance du modèle sportif le plus conventionnel ; la montée en puissance du désengagement sportif chez les adolescents. Dans un cas, nous proposons de revoir nos formes de pratiques scolaires afin de les rendre plus « ouvertes » et ainsi permettre aux élèves des perspectives d’engagement variées. Dans l’autre, nous envisageons les conditions d’« un troc culturel » qui associe le respect des cultures sportives des jeunes et l’appropriation de celle transmise par l’institution scolaire. Pour finir nous appelons à une « écoute de la désportivisation de l’élève » afin qu’elle ne soit pas considérée comme la seule alternative. Une EPS qui se « resportivise » est une EPS qui assume, au sein du contexte scolaire actuel, la transmission d’une culture sportive vivante.
L’engagement à long terme ne vient-il pas de la capacité de l’enseignant, de l’équipe EPS de transformer les élèves dont nous avons la responsabilité ?
Il n’y a pas de transformation de l’élève sans engagement. Il n’y a pas d’engagement de l’élève sans engagement réfléchi de l’enseignant. Le but visé est que l’engagement doit être perçu par l’élève comme la seule voie par laquelle il peut se transformer. La responsabilité de l’enseignant et de l’équipe d’EPS est d’envisager, à terme, que l’engagement de l’élève s’émancipe de celui de l’enseignant. Lorsque l’élève poursuit son engagement sportif au sein de l’AS, dans le cadre des manifestations organisées au sein de l’établissement, voire en dehors de l’enceinte scolaire, il est possible d’envisager que le but poursuivi par les enseignants est atteint. Il s’abandonne au plaisir de la culture sportive sans abandonner.
Propos recueillis par Antoine Maurice