Vous connaissez beaucoup de corps d’enseignants qui décident collectivement de s’affranchir des programmes officiels ? C’est ce qu’a fait la benjamine des disciplines de l’enseignement général. Les Sciences économiques et sociales ont tout juste 50 ans et ne comptent guère que 5 364 enseignants. Pourtant elles occupent une place bien à part dans le système éducatif. Celle d’une discipline contestée, menacée mais rebelle. Portrait.
Réunis à Paris par l’Apses, l’association des professeurs de sciences économiques et sociales, une centaine d’enseignants participent à un stage national consacré aux médias. Le stage est ouvert par Gérald Bronner un spécialiste des rumeurs et des complots, des sujets qui interpellent les enseignants. Erwan Le Nader, président de l’Apses, fait le point sur l’identité des SES.
Les SES ont connu depuis 2010 des épisodes difficiles. La discipline est-elle toujours menacée ?
On a toujours l’impression d’être en position précaire, particulièrement en seconde où on intervient dans les enseignements d’exploration. On est bien installé dans la série ES mais on n’existe dans aucune autre. En seconde 85% des élèves du lycée général suivent l’enseignement d’exploration de SES. C’est énorme mais ils ne bénéficient que d’une heure 30 par semaine ce qui est très peu, et c’est rarement dédoublé. Dans certains lycées, les notes de cet enseignement ne sont pas prises en compte et les avis d’orientation non plus. On sait que le ministère réfléchit au bilan de la réforme du lycée et particulièrement aux enseignements d’exploration. Alors nous revendiquons une place de discipline obligatoire du tronc commun au regard de ce que nous apportons pour la formation du citoyen.
On a bien noté aussi le rapport de la Cour des Comptes qui réclame une baisse du coût du lycée. Nous craignons que cela ne frappe en premier les disciplines les moins implantées institutionnellement comme les SES.
Les SES ont aussi été très critiquées par le patronat. Est-ce toujours le cas ?
Il y a eu des velléités de normaliser les SES et ces critiques perdurent. Elles prennent malheureusement la forme de partenariats avec l’Éducation nationale. Ainsi le plan national de formation du ministère est réalisé avec l’Institut de l’entreprise, une structure proche du Medef. Ca nous gène. Pour nous c’est inquiétant que ce lobby patronal ait cette place dans l’institution scolaire.
Le Medef a aussi pesé sur les programmes avec l’Institut de l’entreprise. Il est arrivé à faire séparer dans les programmes la sociologie et l’économie. Pour nous, pour une bonne formation citoyenne il faut au contraire faire dialoguer l’économique et le social.
C’est ce qui fait l’identité des professeurs de SES ?
Notre discipline fait dialoguer ces deux éclairages sur des thèmes comme la mondialisation, l’égalité des sexes, l’immigration : les SES sont une discipline ouverte sur le monde contemporain.
Votre stage national porte sur les médias. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Il est vrai que ce n’est pas un point au programme. Mais c’est bien un objet d’enseignement car il captive les élèves et on sait l’importance qu’ont prises les théories du complot chez les jeunes. Cela nous intéresse donc comme enseignants au delà du programme de SES.
C’est une position d’éducateur ?
Le sujet est au croisement de la transmission disciplinaire et de l’éducation. On éduque à la citoyenneté mais avec un éclairage disciplinaire apporté par les intervenants au stage. Enfin le sujet fonctionne bien pédagogiquement auprès des jeunes.
On est là bien sûr pour enrichir nos contenus et nos pratiques. Mais le stage est aussi un lieu de socialisation nécessaire car nous sommes peu nombreux et dispersés.
L’Apses a créé en 2010 quelque chose d’unique : un manuel numérique gratuit qui détourne les programmes officiels pour assurer un enseignement conforme aux vues de la profession. Où en est-il ?
En 2010 on portait un regard très critique sur les nouveaux programmes de première. Particulièrement on a dénoncé leur encyclopédisme et leur manque de pluralisme. On a décidé de ne pas se laisser faire et on a proposé quelque chose d’autre en classe. Le manuel numérique Sésame recompose totalement le programme officiel en associant les sciences sociales que le programme cloisonnait. Sésame a été une grande aventure collective , un objet de débats entre professeurs pour chaque chapitre , un énorme travail réalisé en lien avec des universitaires. Il a été mis en ligne en 2011. Depuis on l’actualise . On produit caque semaine une revue de presse qui alimente le manuel. Sésame est aussi un succès avec 2000 connexions par jour.
Vous allez continuer à vous passer du ministère ?
Sésame a été quelque chose de conjoncturel. Aujourd’hui nous avons accueilli très positivement le Conseil supérieur des programmes avec qui nous avons de bonnes relations. Nous gardons l’objectif de faire changer les programmes de 2010. On espère que le bilan de la réforme du lycée annoncé par la ministre ira en ce sens. On a aussi demandé l’allégement des programmes de seconde .
Propos recueillis par François Jarraud
C’est sa première année en responsabilité. Néo titulaire, Camille Aymard enseigne les SES au lycée Senghor d’Evreux. Un premier contact avec le métier réel qui confirme le choix de devenir enseignante. Mais Camille envisage déjà de ne pas le rester toute sa vie…
Pour les autres professeurs il y a un lien direct entre une discipline universitaire et le métier d’enseignant. Pour les SES c’est différent. Quel a été votre parcours ?
J’ai adoré ma terminale ES , un moment où j’ai compris beaucoup de choses. Je viens d’une famille enseignante et militante et les cours de SES apportaient des éléments de débat à la maison. Après le bac j’ai fait deux années de classe prépa. J’ai hésité entre économie et sciences politiques. Je trouvais dans les deux disciplines la possibilité de développer une vision critique du monde. C’est finalement ce que j’aime dans ces deux disciplines.
On devient professeur de SES davantage pour porter des valeurs que des savoirs disciplinaires ?
J’aime beaucoup la sociologie et l’économie. Mais en même temps je trouve très important de transmettre des lectures du monde, l’esprit critique, c’est à dire des valeurs. Pouvoir se penser socialement est une source de liberté.
Comment se passe cette première année en poste ?
Je suis dans un lycée à dominante scientifique où la série ES est très minoritaire et dominée. La filière S est perçue comme la filière d’excellence par les élèves, leurs parents et même les collègues. Je souhaite revenir en Seine Saint Denis pour trouver un établissement où les SES sont plus légitimes. J’enseigne en seconde où on passe peu de temps avec chaque classe. Finalement cette premier année me conforte dans mon choix de faire un métier au contact avec les élèves. Mais les conditions d’exercice sont difficiles et je suis pessimiste sur l’évolution de l’éducation nationale. Aussi cette première année me conforte aussi dans ma décision de ne pas enseigner toute ma vie.
C’est une crainte pour les SES ou plus générale ?
Je ne crains pas le recadrage des SES car on a une grande autonomie en classe. Par contre, de façon général je crains que la façon dont on enseigne, dont on pense les élèves et l’école ne me convienne pas à l’avenir.
C’est quoi les bons moments dans la vie d’une enseignante ?
C’est l’ouverture que permet la discipline vers des associations ou des intervenants extérieurs. C’est aussi quand les élèves se rendent compte que la réussite scolaire est corrélée à la position sociale. Quand ils découvrent les injustices sociales et qu’ils réagissent. Ces moments qui mènent à l’engagement.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur le site du Café
|