Régulièrement, nous avons croisé, sur les listes de discussion disciplinaires, d’histoire ou de documentation par exemple, des débats entre enseignants sur l’utilisation des sites négationnistes. Au nom de la liberté d’expression ou d’un souci de formation critique, des enseignants emmènent leurs élèves sur ces sites.
Nous avons demandé à Gilles Kamarsyn, responsable d’un important site de lutte contre le négationnisme, et à Dominique Natanson, auteur de « J’enseigne avec Internet la Shoah et les crimes nazis », leur position sur ce sujet.
Nous espérons ainsi alimenter la réflexion pédagogique et citoyenne des enseignants.
Le négationnisme est le discours de contestation de la réalité, de l’ampleur et des modalités du génocide des Juifs par les Nazis et leurs complices pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit en fait d’un discours violemment antisémite, qui cherche à réhabiliter les idéologies qui sont à la source du type même d’événement qu’il nie.
Mais la violence antisémite du discours négationniste peut-être assez bien dissimulée derrière l’apparence d’un discours » savant » posant à un scepticisme de bon aloi. Cela en rend le traitement extrêmement délicat.
Le fait qu’une quantité énorme de matériel négationniste soit disponible sur l’internet est une réalité avec laquelle les enseignants doivent désormais compter. Mais la volonté de protéger ses élèves contre ces falsifications doit-elle conduire un enseignant à présenter, dans un esprit de » vaccination « , du matériel négationniste à des élèves, voire à montrer des sites web négationnistes ?
La réponse est absolument négative, surtout concernant l’utilisation de l’Internet.
La durée d’un cours sur la Shoah ne permet qu’à peine d’aborder les points principaux de son histoire. Faire connaître à des élèves, quand bien même pour les dénoncer, le moyen d’accéder à un discours extrêmement pervers peut être parfaitement contre-productif. L’enseignant peut-il être sûr que parmi ses élèves, aucun ne sera malgré tout ébranlé par le matériel visualisé ? S’il choisit un cas caricatural, le risque est grand qu’un élève placé face à une autre falsification plus subtile considère que la présentation qu’on lui a faite du négationnisme ne correspondait pas à sa » réalité « . La curiosité peut en pousser certains autres à aller voir un peu plus » de quoi il s’agit « . Ils tomberont nécessairement sur du matériel dont ils seront incapables de détecter les manipulations frauduleuses. L’analyse et la réfutation du discours négationniste nécessitent une très bonne connaissance de l’histoire, de l’historiographie et du discours négationniste. Un tel bagage, sur ce sujet précis, est rarement, et cela est naturel, maîtrisé par l’enseignant. Il ne l’est pratiquement jamais par l’élève.
Nous considérons en fait que la question du négationnisme ne doit être traitée par l’enseignant que si un élève la soulève explicitement et qu’elle ne doit absolument pas l’être en ayant recours à l’Internet. Dès lors que l’on traite du négationnisme, on entre dans une logique » technique » (que ce soit la technique du discours historien ou la technique des modalités d’assassinat) qui participe d’un refus de la dimension fondamentale qui doit être traitée lorsque la question de la Shoah est abordée : la dimension humaine. Les élèves seront mieux protégés par un enseignement effectif de l’histoire du génocide qui allie rigueur sans concession et humanité que par une tentative, forcément très délicate avec des adolescents, de présenter un discours qui agît sur le doute en prétendant flatter l’esprit critique.
La question de ce qu’il faut faire si l’on est contraint d’aborder le sujet du négationnisme, par exemple si un élève mentionne qu’il a trouvé du matériel négationniste sur l’Internet, reste à traiter.
Gilles Karmasyn est responsable du site de lutte contre le négationnisme, PHDN http://www.phdn.org et co-signataire de l’article » Le Négationnisme sur Internet « , Revue d’histoire de la Shoah, no 170, sept-déc. 2000.
D. Natanson : Une démarche irrecevable
Travailler sur le négationnisme conduit-il à visiter les sites négationnistes ? Certains collègues, au nom du refus de la censure et du « prêt-à-penser », proposaient de communiquer des adresses de sites négationnistes à des lycéens dûment avertis. Outre que cette proposition peut poser des problèmes légaux – certains des sites incriminés contreviennent aux lois françaises – une telle démarche ne semble pas recevable.
Car quelle est la finalité d’une étude du négationnisme ? Il s’agit bien d’éduquer et de prévenir, de démonter la démarche des négationnistes et non de leur répondre terme à terme. La question que l’on doit poser aux négationnistes n’est pas « quelle est la valeur de tel ou tel de vos arguments ? » c’est bien plutôt « où voulez-vous en venir ? ». L’étude du négationnisme par des lycéens vise à leur faire connaître l’existence de ce phénomène marginal, d’en faire la génèse et d’en démonter les finalités, de montrer les liens qui existent avec les mouvements d’extrême-droite, d’en mesurer les dangers pour l’avenir.
Dominique Natanson