Mise à mal dans plusieurs rapports, la scolarisation des enfants de deux à trois ans était remise ouvertement en question jusqu’à ce qu’au 18 décembre. L’accord signé ce jour entre l’Ageem et le ministère a-t-il tourné une page ? Alain Houchot, inspecteur général, a bien voulu éclairer le débat.
Ces derniers mois ont vu plusieurs attaques contre l’école maternelle. Puis il y a eu l’accord de partenariat signé par l’Ageem et le ministre. Il y a quelques jours des déclarations de Nadine Morano qui annonce la fin de l’école maternelle à deux ans… Aujourd’hui l’avenir de la scolarisation à deux ans, vous le voyez comment ?
Ce qui est vraiment important c’est qu’on peut enfin reparler de l’accueil des enfants de moins de trois ans tranquillement dans l’ensemble des dispositifs dont dispose notre pays.
Mais peut-on vraiment en parler tranquillement ? Les critiques ont été très sévères à la fois sous l’angle psychologique et celui de la qualification des enseignants…
Les critiques sont sévères depuis 30 ans et surtout non étayées. Ca ressemble davantage à du positionnement idéologique que de la réflexion. Et cela sans qu’on puisse donner des avis définitifs. En réalité la qualité de l’accueil des jeunes enfants dépend autant de l’implication et de la qualification locale des adultes que de la structure qui accueille. Ca vaut pour toutes les structures. Il y a des structures pour la petite enfance qui ne sont pas satisfaisantes tout comme il y a des classes qui sont très satisfaisantes. On peut trouver des groupes d’enfants dans une halte garderie, une crèche qui ne fonctionnent pas correctement. Il ne suffit pas d’être dans un type de structure pour y être bien ou mal.
Ce qui est déterminant c’est certes le cadre mais aussi la façon dont les gens se l’approprient. Par exemple l’évolution actuelle des conditions de travail dans les lieux d’accueil de la petite enfance fait que les conditions de la prise en charge se sont dégradées. A l’évidence il ne suffit pas d’échapper à l’école maternelle pour être bien.
Ce que je vois dans l’évolution récente c’est qu’on va pouvoir reprendre la réflexion sur le mode d’accueil le plus satisfaisant. Quels sont les besoins des enfants ? Quels sont ceux de la famille ? Qui peut les satisfaire au mieux ? Quelle est la structure qui peut prendre en charge au mieux l’enfant. C’est cette réflexion que l’on n’aurait jamais du quitter. A certains endroits c’est l’école maternelle qui est la meilleure. Donc l’écarter à priori pour l’accueil des très jeunes enfants ce n’est ni réaliste ni opérationnel. Aujourd’hui voir qu’on ne l’écarte plus me semble positif. Mais il faut continuer la réflexion.
Si on doit améliorer l’accueil en maternelle, a-t-on des pistes sur ce qui doit être fait ?
Il y a toute une expérience accumulée dans certains quartiers, de classes spécialement montées pour les tout petits qui sont très positives. Dans ces structures on a été original dans l’organisation de l’espace, du temps, dans la répartition des adultes. On a là des savoirs à partir desquels on peut organiser des formations.
Qui peut le mieux accompagner le changement des structures en place ?
Un point important de l’accord signé avec l’Ageem me semble être la création d’un référent départemental pour l’école maternelle. Il pourra être le coordinateur départemental de la réflexion. Par exemple l’accueil des tout petits ne peut pas être le même si on est dans un département rural avec de petites écoles isolées ou si on est dans une zone urbaine avec de grandes écoles et des réseaux plus complexes. C’est au niveau du département que l’école doit trouver des partenaires. Par exemple on sait que certaines villes ont développé des postes de coordinateurs qui installent une bonne coopération entre l’école et les autres structures pour offrir aux familles la solution la plus adaptée.
Quand on regarde aujourd’hui la carte de la scolarisation à deux ans on voit qu’elle a rarement lieu là où, d’après les études, ce serait le plus pertinent, par exemple dans les quartiers urbains défavorisés. Comment expliquez-vous cela ?
Cela tient à plusieurs effets. Il y a un effet démographique : le développement de l’accueil des plus jeunes s’est fait là où il y a eu une chute démographique, ce qui est le cas de beaucoup de centres ville. Dans les quartiers défavorisés on a souvent une croissance démographique.
Il y a un effet social. Ce sont plutôt les familles favorisées ou moyennes qui sollicitent l’école pour accueillir les enfants de moins de trois ans. Les familles modestes le font moins. C’est lié au travail des mamans. Au fait que leur connaissance de l’école et de son intérêt est moins bonne.
Il y a un troisième facteur qui tient à l’école. Il y eu une période où les enseignants n’ont pas été totalement volontaires pour accueillir des enfants très jeunes et ont favorisé plutôt la baisse du nombre d’élèves dans leur classe.
C’est donc une question qui concerne toute la société ?
Tout à fait. Et c’est ce qu’on n’a jamais voulu voir. On est dans un débat qui ne sort pas de l’idéologie alors que la réflexion devrait être globale autour des besoins des enfants et des familles. Ce qui est surprenant c’est que ce débat idéologique on le trouve dans tous les milieux. Chez des pédopsychiatres mais aussi chez des gens qui n’ont de connaissances que comme usagers… Il faut sortir du débat idéologique.
En quoi l’accord avec l’Ageem fait-il avancer ce débat ?
Il réinstalle la question de l’accueil des enfants de moins de trois ans. C’est l’occasion de dépassionner le débat. Aucune étude, aucune évaluation ne montre le caractère nocif de l’école pour ces enfants. Les études qui ont été faites, par exemple celles d’Agnès Florin, montrent plutôt des effets positifs.
La question sociale est importante aussi. Notre pays est confronté à une croissance de la population pauvre. Un rapport de J. Delors en 2004 montrait cette évolution. Dans un pays où de plus en plus d’enfants sont confrontés à la pauvreté pendant longtemps, la question de la prise en charge de ces enfants très jeunes devient déterminante. C’est pourquoi le débat doit avoir lieu.
Pourquoi est-il si passionnel ?
Je ne sais pas. Quand on regarde l’histoire de l’accueil de ces enfants, quand la scolarisation à deux ans est montée, à la fin des années 1980, le débat portait sur l’utilisation des qualifications des enseignants. Les familles étaient favorables. Puis le débat a évolué vers le thème : l’école respecte-elle les besoins de l’enfant en terme de bien-être ? Les tout-petits ne sont-ils pas trop précocement mis face à des contraintes ? C’est une interrogation légitime. Mais ensuite on est sorti du débat.
Certains pensent que le débat est devenu si passionnel à cause du développement de nouveaux services aux familles. Selon eux, la petite enfance deviendrait une nouvelle industrie et certains prestataires de service seraient tentés par un nouveau marché…
Quoiqu’il en soit, ce n’est qu’en France que le débat se mue en procès d’intention et où tout le monde donne son avis. Au niveau européen, par exemple dans le réseau Enfants d’Europe, les discussions sont sereines. La France est un pays surprenant…
Propos recueillis par François Jarraud
Faut-il scolariser à deux ans ? le dossier du Café
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L’accord Ageem – Ministère
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Agnès Florin
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Alain Houchot dans le Café
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