La médiatisation de la fermeture du collège Surcouf de Saint-Malo nous donne l’occasion, en ce mois de mars 2017, de revenir sur les pouvoirs de l’administration en matière d’ouverture et de fermeture d’établissement, de classes ou de postes.
Rappelons tout d’abord que la loi peut être très précise dans les conditions d’appréciation d’une situation, et ainsi enfermer la décision que l’Administration prendra dans un cadre très strict ou, au contraire, se limiter à prévoir un cadre général laissant, de la sorte, une marge d’appréciation sur la décision à prendre.
L’Administration voit donc sa compétence liée quand elle est tenue d’agir dans un certain sens sans possibilité de choix alors qu’elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire quand la loi ou le règlement lui laisse toute liberté d’agir dans un sens ou un autre.
C’est pourquoi, elle a obligation d’accomplir un acte lorsque le demandeur remplie les conditions posées par la loi alors que rien ne l’y oblige lorsque cette dernière lui laisse tout loisir d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire.
A l’évidence, l’ouverture ou la fermeture d’un établissement, d’une classe ou d’un poste d’enseignant répond au deuxième critère, aucun texte n’encadrant de manière stricte ce type de décision administrative.
Or, les critères qui régissent ces ouvertures ou fermetures sont multiples.
On peut ainsi considérer, et la liste est non exhaustive, :
– la variation à la hausse ou à la baisse de la population scolaire locale, même si la corrélation entre cette dernière et les ouvertures et fermetures n’est pas toujours évidente ;
– la concurrence de l’enseignement privé et le subtil et discret équilibre que l’administration tente de maintenir dans les académies et départements les plus concernés (Principalement les académies de Rennes et Nantes) ;
– l’offre de formation locale tant générale que technique ou professionnelle et les besoins à venir des entreprises locales ;
– les pressions politiques locales (mairies, départements, région) dont les motivations ne sont pas toujours d’un grand intérêt public.
– les coûts d’entretien ou, pire encore, de rénovation des établissements concernés ;
– l’offre de transport en commun locale qui, selon la qualité du réseau, permet de répartir les élèves, et les profs, concernés sur d’autres sites ;
– Etc.
Ainsi que vous pouvez le constater, les motifs d’ouverture ou de fermeture d’établissement, de classe ou de poste ne manquent pas et sont souvent difficile à contrecarrer.
Et c’est bien là que réside, pour ceux qui entendent contester la décision de l’administration, la difficulté d’un recours en annulation d’une telle décision.
Il serait dès lors aisé d’en déduire que l’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire dont elle pourrait user et abuser à sa guise.
Mais, ce serait oublier que l’Administration ne peut prendre un acte sans respecter les principes de droit que sont la poursuite de l’intérêt public, la compétence de celui qui prend cet acte et l’exactitude des considérants matériels et juridiques qui fondent la décision.
C’est pourquoi, même si l’action du Juge administratif, se limite, en principe, à vérifier que l’Administration a bien fait comme elle devait faire au regard du droit, il sera en mesure d’annuler cet acte au motif de son illégalité si l’Administration a ignoré un ou plusieurs de ces principes de droit.
Par ailleurs, il nous faut relever que, au fur et à mesure du temps, le Juge administratif s’est chargé de contenir ce pouvoir discrétionnaire dans des limites raisonnables en créant, là où elles n’existent pas, des règles de droit parfois très contraignantes et en s’accordant, sous couvert du contrôle de légalité, un contrôle de l’opportunité par le biais du contrôle de proportionnalité et de l’erreur manifeste.
Ainsi dans le cas d’une suppression de poste, un recours devant le Juge administratif sera vraisemblablement couronné de succès si le processus décisionnel n’a pas été respecté, c’est-à-dire si, par exemple, le conseil d’administration de l’Etablissement n’a pas été consulté.
Ce qui nous donne l’occasion de rappeler ce que sont le processus décisionnel, les actes préparatoires et les décisions, rappel ô combien important puisqu’il vous évitera de contester trop tôt la décision et évitera ainsi des recours inutiles.
Le processus décisionnel est l’ensemble des actes qui vont lui permettre à l’Administration de prendre une décision dans le respect d’une procédure.
Dans certains cas, le processus décisionnel est très codifié et s’il n’est pas correctement exécuté, l’acte final sera annulable par le Juge pour ce motif.
Ainsi, dans le cas d’une suppression de poste, plusieurs instances délibératives sont à consulter dont le Conseil d’administration de l‘établissement et la CAP.
L’acte préparatoire, est un acte de l’Administration qui ne revêt pas le caractère d’une décision mais qui fait partie du processus décisionnel.
C’est, par exemple, une demande d’information, une convocation à un conseil de discipline, la réunion d’une instance, etc.
Il n’est, en principe, pas possible de contester un acte préparatoire avant que la décision soit rendue. En effet si l’omission ou l’irrégularité d’un acte préparatoire est une cause d’annulation de la décision, il faut attendre que cette dernière soit rendue pour la faire annuler.
La décision est l’acte final par lequel l’autorité administrative prend position sur une question particulière en créant, modifiant ou supprimant une situation. La décision est réglementaire lorsqu’elle pose la règle générale, et individuelle lorsqu’elle concerne une personne nommément désignée.
Une fois encore, attention : même si une décision prise dans le cas d’un acte collectif, tel un tableau d’avancement à la hors classe, reste une décision individuelle, c’est l’ensemble de la décision qu’il faut contester (dans le cas présent le tableau d’avancement).
Toute décision de l’Administration bénéficie d’une présomption de conformité au droit, c’est-à-dire qu’elle est considérée comme légale jusqu’à jugement du contraire. C’est un peu le même principe que l’autorité de la chose jugée, mais appliquée à l’Administration.
Une décision est dite explicite quand elle est signifiée par écrit au destinataire et c’est alors la date de réception par l’administré de cette décision qui ouvre le délai de deux mois du recours hiérarchique ou contentieux.
Une décision est dite implicite quand elle résulte du silence de l’Administration ou de l’absence de réponse à une demande. Dans ce cas, le délai de recours hiérarchique ou contentieux commence deux mois après la date de réception de la demande par l’administration.
A l’évidence, la décision implicite à la même valeur juridique que la décision explicite et peut donc être contestée devant le Juge.
Lorsque la décision individuelle est défavorable, ou qu’elle déroge à la règle générale, elle doit être motivée et faire apparaître les considérants de droit et de faits qui en constituent le fondement.
Si cette condition n’est pas remplie, ce sera bien évidement un motif d’annulation.
La décision est immédiatement exécutoire à la condition d’avoir été portée à la connaissance des particuliers quand elle est d’ordre général (publication au Journal Officiel ou au Bulletin Officiel) ou du particulier quand est individuelle (remise en main propre ou par lettre recommandée).
Si une décision met une obligation à la charge d’un administré, ce dernier est tenu de l’exécuter. S’il s’y refuse, il pourra se voir infliger des sanctions administratives ou pénales ou être contraint par la voie de l’exécution forcée.
Le recours devant le Juge par la voie normale n’étant pas suspensif, il faut passer par la procédure du référé-suspension pour faire suspendre l’exécution d’une décision.
Pour cela, il faut démontrer au Juge administratif l’urgence qu’il y a à suspendre la décision et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Malheureusement, cette procédure de référé est rarement couronnée de succès, le caractère d’urgence étant rarement retenu.
Il faut alors attendre que la juridiction administrative étudie le dossier sur le fond ce qui peut prendre plusieurs années.
A l’évidence, dans le cas du collège Surcouf, l’éventuelle annulation de la décision sur le fond qui interviendra sera, malheureusement, rendue trop tardivement…
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
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