Première analyse du sondage sur la violence, par bruno Devauchelle
Avant tout nous tenons à remercier les 940 personnes qui ont répondu au sondage que nous avons mis en place il y a une semaine. Ce chiffre, impressionnant, vu la brièveté de l’enquête (moins de 48 heures), est révélateur de votre engagement à nos côtés pour essayer de faire avancer les questions d’éducation. Ce chiffre est aussi révélateur de l’importance que vous accordez à la question de la violence scolaire. Cela prouve qu’il y a au sein de la communauté des enseignants un grand nombre d’entre nous qui souhaitent aborder clairement ces questions et surtout essayer de comprendre. Nous vous livrons ci dessous, au-delà des chiffres, quelques commentaires.
En premier lieu, les réponses sont assez représentatives de la dispersion géographique puisque tous les secteurs sont représentés. 21,2% des réponses nous viennent d’enseignants qui travaillent dans des banlieues dites populaires et 32,7% des centres des villes. La violence concerne tout le monde.
La surreprésentation des collèges dans nos réponses (40,5%) par rapport aux autres est révélatrice de la tension qui règne à ce niveau d’enseignement. Cependant il faudra rapporter ce sondage à la proportion nationale. Les 16,9% de réponse de l’enseignement primaire montrent que cette question concerne tous les niveaux de la scolarisation. Notons enfin pour ce qui concerne la description de la population qui a répondu à ce sondage que la moyenne de 16 années d’ancienneté dans l’enseignement indique l’expérience des personnes qui nous répondent.
La définition de la violence scolaire est un préalable important à un travail sur celle-ci. En l’occurence les coups réellement portés ou échangés, une agression physique sont le premier signe de la violence (coup 91%, bagarre 86%). Ils sont suivis par les injures et menaces verbales (86 % 85 %). La violence scolaire est en premier lieu un acte tangible. Cependant vous avez été 182 à donner aussi d’autres éléments pour qualifier la violence et l’on peut y remarquer l’importance du mot racket, des expressions de la discrimination (sexisme, racisme, antisémitisme), et de la « petite violence » quotidienne (intimidation des « bouffons » etc.) qui semble anodine. La violence de l’institution envers les enfants est également mentionnée.
On parle souvent de l’autorité de l’enseignant comme d’un élément permettant d’endiguer les violences dans la classe. Vous êtes très nombreux (800) à avoir répondu à nos demandes d’éclaircissement. L’omniprésence du terme « respect » montre que la plupart d’entre nous se situe dans une autorité fondée sur une qualité de relation et pas seulement sur une posture de pouvoir. D’ailleurs la notion de cadre posé et rappelé semble importante mais dans la mesurer où c’est à l’intérieur d’un cadre que peuvent se poser les questions essentielles. Calme, écoute et respect sont les trois indicateurs principaux de l’autorité. On retrouve dans une moindre mesure le travail et l’obéissance d’un coté, mais aussi le charisme, souvent cité en clair ou en filigrane des réponses. L’autorité est une notion difficile et il faut prendre garde à ne pas aller trop vite dans l’analyse de nos réponses. On peut cependant noter que notre enquête montre que l’autorité est aujourd’hui considérée comme un élément négocié et non pas un élément imposé de la relation maître élève.
L’arrivée au pouvoir d’un gouvernement qui a axé sa politique sur le sécuritaire n’a semble-t-il pas permis une diminution significative des violences scolaires : » Depuis la rentrée scolaire de Septembre dernier avez vous le sentiment que la violence dans votre établissement scolaire ( 894 réponses a cette question )
- augmente 23.2% (soit 207 votes)
- est identique 69.2% (soit 619 votes)
- diminue 7.6% (soit 68 votes)
L’action du gouvernement en matière de lutte contre la violence scolaire ne semble pas être perceptible au sein des établissements scolaires (sauf pour 5% des personnes ayant répondu), elle semble même avoir eu un effet négatif pour 18% des personnes.
Ce sentiment d’augmentation de la violence scolaire peut apparaître inquiétant et ce d’autant plus que la violence est souvent au centre des échanges entre enseignants (près de 70%). Cependant, et il faudrait y voir de plus près. On remarque que 16,5% des établissements sont considérés comme ayant à vivre beaucoup de violences. Il semblerait que la violence se concentre sur certains établissements, et que la grande majorité aient à vivre des violences mais de façon plus occasionnelle.
Le pourcentage d’établissements ayant mis en place des actions collectives sur la violence est, d’après les réponses reçues de 30% environ. Ce chiffre qui peut paraître relativement faible est en réalité élevé et vient renforcer l’idée d’une concentration de la violence et de son traitement dans certains établissements (une étude de corrélation sera menée par la suite). La variété des actions menées est impressionnante. Elle fera l’objet d’une analyse spécifique. On notera simplement que les établissements sont engagés dans un certain volontarisme qui mérite d’être signalé, car il montre la volonté des enseignants de s’impliquer dans le traitement de ces questions, mais en lien avec un encadrement « fiable ». Généralement, ces actions visent à donner la parole aux élèves, à les associer aux décisions.
La suite des questions qui concernent l’action interne en matière de traitement de la violence, de la parole des élèves et de règlement montre une forte cohérence. La plupart des établissements (70% environ) fonctionnent de façon satisfaisante (dans la mesure où les instances sont mises en place et fonctionnent). Presque un lycée sur deux (41%) dispose d’un Conseil de la vie lycéenne qui fonctionne. Un chiffre important pour un dispositif aussi récent et qui illustre cette volonté de dialogue.
Les causes de la violence seraient surtout liées au contexte économique et à l’éducation familiale. On remarque que les médias sont moins cités que la vie quotidienne et l’environnement proche. C’est la responsabilité des adultes, et en particulier celle des parents qui est ici mise en cause. La variété des réponses laissées libres permet cependant de percevoir que le rôle de la famille est perçu comme un élément principal, associé à la responsabilité globale des adultes qui dirigent, choisissent, proposent aux jeunes un univers pour se développer. Cet univers est parfois considéré comme une incitation à la violence, celle-ci n’étant autre qu’une expression « en retour ».
Concernant la façon de répondre à la violence, 83,3% pensent que l’école peut apporter des éléments de réponse. Mais il y a divergence sur les priorités. Le règlement intérieur reste la première réponse pour la moitié des enseignants (45% des réponses favorables) et la pédagogie pour 55%. Une question plus ouverte (et bien renseigné : 565 réponses) montre cependant qu’entre l’école, le contexte économique et les familles, les avis sont partagés. La difficulté de la réponse à la question des causes tient au fait qu’elles ne peuvent être considérées isolément. Cependant, il nous a semblé important d’essayer d’identifier les leviers sur lesquels certains souhaiteraient agir afin de mieux comprendre la perception que chacun a de la violence scolaire. D’ailleurs la dernière question de notre questionnaire concernant les actions prioritaire apporte des réponses sans appel, mais assez complémentaires.
En premier il convient de permettre des projets (65,1%) et de la parole (62%), mais en second cela doit s’appuyer sur un cadre ferme, a base de surveillance (48,4%) et de sanction (20,6%). On retrouve dans ces réponses, comme dans les commentaires qui ont été rédigés, le même souhait d’un équilibre entre l’encadrement réglementaire et l’implication collective dans un projet pédagogique.
Il semble bien que l’on puisse apporter comme premier regard sur notre enquête celle d’un équilibre fragile entre la nécessité de règles précises appliquées et l’implication collective dans l’école mais aussi au delà. Certes l’école ne peut résoudre seule les problèmes, mais elle apporte un élément central dans la mesure où elle reste un lieu de référence pour tous les jeunes et aussi pour les familles.
Les enseignants qui ont répondu à notre sondage ne baissent pas les bras, loin de là. Au contraire, ils sont conscients de l’importance de l’enjeu. Une note désagréable doit être faite, il semble qu’il y ait des établissements qui souffrent particulièrement. Ils sont assez nombreux (entre 20 et 30%). Certes il existe les ZEP et les REP, mais ceux-là sont-ils dans cette catégorie ? N’y a-t-il pas une marginalisation progressive de la violence scolaire dans des zones délimitées et identifiées ? On pourrait penser que notre cadre de vie est porteur de ce genre de tendance communautariste et excluante. Il faut y regarder de plus près si l’évolution que l’on peut lire ici est celle de l’exclusion progressive de certaines zones qui seraient abandonnées à la fatalité économique.