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1- L’innovation peut-elle et doit-elle être institutionnalisée ? (suite au CNIRS et les hésitations quant à son existence au cours de l’été 2002) Tout d’abord, il y a différents niveaux d’innovation. Un ministre peut être un innovateur tout comme un enseignant de base. Et lorsque nous parlons d’un ministre innovateur, nous nous trouvons au cœur même de l’institution car il est bien placé pour déclarer son innovation de façon obligatoire. Et c’est à partir de ce moment là que l’innovation disparaît. Pour faire simple, disons qu’il existe, dans le système éducatif français, deux sortes d’innovations : la première est celle qui correspond à des actions sociales qui vont dans le même sens que les orientations officielles. Par exemple, mieux faire apprendre à lire aux élèves avec des méthodes plus performantes. Le ministère et la communauté sociale ne peuvent que saluer une telle initiative voire l’encourager. La seconde sorte d’innovation est plus transgressive car elle remet en cause les valeurs et les objectifs prônés par l’institution. Par exemple, mieux faire apprendre à lire aux élèves mais à partir de textes subversifs dont les contenus conduisent à réfléchir sur et questionner les structures sociales et politiques du pays (cela fait penser à ce que faisait Paulo Freire pour apprendre à lire aux paysans). C’est tout le conflit entre ceux qui veulent innover pour faire mieux sans changer les assises de l’école républicaine et ceux qui, par des actions sous-tendues par des valeurs contestataires, veulent changer le rôle et la fonction de l’école et par conséquent, le type de société actuel. L’institution et l’innovation sont deux entités qui ont besoin de s’épauler pour exister mais qui semblent se craindre voire lutter. L’innovation ne peut vivre sur une durée acceptable sans être plus ou moins reconnue par l’institution (un inspecteur, le chef d’établissement, le recteur, etc.) et l’institution ne peut continuer à fonctionner que si elle se renouvelle et donc s’adosse à certaines innovations. 2- L’introduction des TIC dans le système éducatif peut-elle favoriser l’innovation pédagogique ? Les technologies de l’information et de la communication pénètrent difficilement le tissu scolaire. Cependant, l’osmose progressive se fait, sans que l’on sache bien à quoi cela correspond. On s’est aperçu que les professeurs de technologies, puis de mathématiques, puis de physique, puis de SVT étaient ceux qui faisaient entrer l’ordinateur et Internet dans leur classe. L’abord est scientifique et surtout masculin. 3- Quel est selon vous, l’avenir des TIC dans le système éducatif (école primaire et collège) en regard des autres priorités de l’école (violence, apprentissage, citoyenneté) ? Les TIC ont pénétré à une grande vitesse les manifestations sociales quotidiennes : les achats, les échanges, les rendez-vous, les nouvelles, les envois d’images, les créations de mondes artificiels, les elearning, etc. Donc l’école est plus ou moins affectée par cela. L’avenir des TIC est d’un autre ordre que des priorités éducatives, il s’inscrit dans une manière de vivre et de penser modelée par une intégration dans les apprentissages scolaires. Les didacticiels, par exemple, semblent se répandre mais l’image est toujours en décalage par rapport aux possibilités, et l’omniprésence de celle de l’enseignement programmé plombe l’intérêt actuel des enseignants autres que scientifiques pour les TIC. 4- En tant que chercheur en sciences de l’éducation et acteur du système éducatif, comment analysez-vous le « phénomène » du café pédagogique ? Je ne connais pas assez le Café Pédagogique pour pouvoir juger s’il s’agit vraiment d’une innovation. En tout cas c’est un « phénomène » que je salue car il semble contenir quelques orientations sympathiques. Je me prenais à rêver d’un site où nous pourrions librement donner des informations aux enseignants sans craindre la foudre administrative nous accusant de notre irresponsabilité. Où nous pourrions permettre à des enseignants de faire part de leurs initiatives, d’échanger avec d’autres. Mais je suis restée un peu sur ma faim dans la mesure où le Café Pédagogique est trop orienté vers les TIC ; il y accorde une trop grande importance et les animateurs semblent être des prosélytes des TIC. Sans doute faudrait-il élargir à d’autres domaines, en particulier dans les analyses des parutions livresques. Bref, étendre le Café veut dire avoir plus de moyens et cela n’est pas évident pour une collectivité sans but lucratif. En conclusion, une affaire à suivre. Une étude sur l’apparition du Café Pédagogique, sur son installation, sur ses consultants, ses animateurs, son processus d’évolution, constituerait un magnifique terrain d’analyse pour un chercheur en innovation… Un journal de bord serait un instrument précieux. Seul l’avenir nous dira la portée exacte de cette initiative…. Françoise CROS, Université de Paris V/INRP Entretien : Bruno Devauchelle |
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