Un projet alliant du futsal (football en salle) et des actions de solidarité menées avec la Croix-rouge a permis aux élèves de SEGPA de Jérôme Bouchain à Senlis de renouer avec la réussite et les apprentissages. Une très belle histoire collective !
Quelle a été l’origine (la personne, l’évènement, la rencontre…) de votre projet ?
Le projet a débuté en 2007, les élèves voulaient organiser un tournoi de foot interne au collège. J’ai tout de suite vu la possibilité de greffer des apprentissages sur cette demande qui venait d’eux. Profils de mes classes en SEGPA : 70 à 75% de garçons ayant entre 15 et 16 ans pour les élèves de 4ème et de 3ème. D’autre part dans ma SEGPA, 95% des élèves sont issus de familles CSP- alors que dans le collège général, il y a 55% de familles CSP +. Je ressentais que les élèves de la SEGPA ne se mélangeaient pas aux autres élèves et inversement, il y avait un problème de mixité à ce niveau et j’ai pensé que le tournoi de foot était parfait pour justement casser cette séparation. Mon objectif à la base a toujours été que ces élèves se sentent valoriser en recherchant l’excellence et surtout de travailler sur des apprentissages finalisés dans la réalité en travaillant avec l’extérieur du collège de manière à ce qu’ils ne se sentent pas inférieurs aux autres en raison de leur orientation en SEGPA.
Pouvez-vous décrire, du point de vue des activités menées avec les élèves, une situation dans laquelle vous avez vu un impact positif sur les apprentissages scolaires ou de la mobilisation des élèves ?
En 2009, nous nous sommes associés à l’association croix rouge du secteur de SENLIS (Oise 60). Les élèves ont été reçus par les représentants de l’association dans leur local et ils leur ont demandé de l’aide, en raison de la crise économique, ils avaient une baisse des dons (notamment en nature : nourriture, vêtements).
Nous avons réfléchi ensemble aux actions que les élèves pouvaient faire pour aider la croix rouge. A cette occasion, ils ont décidé de lancer la tombola (nourriture contre maillot en marge du tournoi). D’autre part, nous avons décidé de réaliser un blog de manière à communiquer sur les actions de la croix rouge mais aussi pour suivre le tournoi (adresse du blog : blogs.ac-amiens.fr/futsolidaire/index.php). Les élèves ont également réalisé des panneaux qui expliquaient les actions de la croix rouge ainsi que des lettres pour trouver des partenaires de manière à aider la croix rouge.
J’ai remarqué une amélioration de leurs compétences en production d’écrit, ils mettaient un point d’honneur à ce que leurs productions soient bien écrites. Il a été donc plus facile en activité décrochée de revenir sur des points précis d’orthographe ou de grammaire (les élèves voyaient l’intérêt immédiat de maîtriser l’accord des adjectifs par exemple). Les élèves savaient que leur production « allaient être lu par tout le monde ». En effet, le blog connait un certain succès au niveau du collège et surtout l’objectif est atteint car tous les élèves et leur famille connaissent les actions de la croix rouge, leur actualité ainsi que leurs besoins.
Le travail en classe sur le futsolidaire se réalise 1heure par semaine sous forme d’atelier avec un responsable élève par groupe (blog, affiche, lettre…). J’ai remarqué que les élèves gagnaient en autonomie et en sérieux (heure de 4h à 5h le vendredi ) car ils se sentaient investis d’une responsabilité et ils se sentaient libres dans leur travail avec la motivation de faire mieux que les élèves des années précédentes.
Selon vous, quelle est/a été la plus belle réussite de ce que vous avez pu mettre en œuvre ?
L’an dernier en 2011/2012 : les élèves du collège général sont venus demandés aux SEGPA de pouvoir faire des équipes mixtes (SEGPA / collège), en effet les SEGPA ont gagné les 3 derniers tournois (humour) et surtout plusieurs ont demandé à assister à l’heure de cours en classe Futsolidaire ce qui était purement impensable lorsque je suis arrivé au collège en 2007.
Parmi les autres réussites, un élève s’est débloqué au niveau de l’écriture, il ne voulait pas écrire et là il a essayé tout seul dans son coin dans un premier temps avant de rentrer dans les apprentissages car il voulait « écrire un article pour le blog ». Plusieurs élèves ont évité le conseil de discipline et on a vu leur comportement s’amélioré (en raison de la mise en plus d’un permis à points : suspension temporaire de l’activité Futsal ). D’après eux, ils avaient trop à perdre donc ils ont arrêté de se faire remarquer pour la plupart et pour plusieurs d’entre eux, on a vu leurs résultats scolaires s’améliorer. Ce n’est pas uniquement la participation au projet qui a permis cette évolution mais je pense que cela a un peu contribué tout de même. J’apprécie également que les anciens élèves viennent régulièrement au collège pour aider les nouveaux Futsolidaire, ils viennent d’ailleurs aider le jour de la finale du tournoi (aide très précieuse au niveau de l’organisation). Nous les remercions avec le match des anciens (profs avec anciens élèves contre les meilleurs élèves de l’année en cours juste avant la remise officielle des denrées à l’association). Il se crée une sorte de communauté Futsolidaire qui se suit dans le temps.
Et a contrario, une difficulté persistante, un écueil que vous n’aviez pas mesuré complètement ?
Ce projet m’a demandé un temps de travail très important au début en tout cas, entre l’aide à l’organisation du tournoi, la correction du travail de groupe, la gestion des groupes. La recherche de partenaires et surtout la justification qui m’est demandée à chaque fois (pourquoi faire ça avec les SEGPA ?, pourquoi as-tu besoin de ça ?, es-tu sûr que cela va marcher et que les SEGPA ne vont pas poser de problèmes ?). Finalement le plus difficile est de casser l’image négative qui leur colle à la peau et de faire changer les mentalités ce qui prend beaucoup de temps et d’énergie. L’autre difficulté est de trouver des partenaires permettant de financer le projet dans le privé ou dans le cadre de l’éducation nationale. Il devrait un fond d’aide spécifique interne à l’éducation nationale permettant de financer des projets comme celui-ci.
Pouvez-vous nous faire partager une anecdote significative d’un comportement, d’une réaction d’élève(s) au cours d’une des phases de votre travail ?
Il y a plusieurs anecdotes que j’aimerai raconter. Lors du jour de la finale du tournoi, les professeurs du collège assistent avec leur classe aux matchs. Un professeur de mathématiques a dit lorsqu’elle a vu qu’un élève de la SEGPA répondait aux questions du journaliste du Parisien qui faisait un article sur le projet. Ses parents seront contents pour une fois que leur enfant passera dans le journal pour une raison positive. Le regard sur cet élève a évolué en positif.
Lorsque nous visitions le local de la croix rouge en 2010, une famille a frappé à la porte du local et c’était la famille d’un des mes élèves présent ce jour- là. Il était gêné, je pensais que les autres élèves allaient le chambrer comme il est de coutume dans ce type de moment. Cependant, un meneur dans la classe a levé le doigt et a dit « va falloir bosser encore plus car un jour si je venais avec ma famille, j’aimerai bien qu’on puisse m’aider ». J’ai été scotché par cette phrase. Avec l’expérience, j’ai remarqué que les personnes qui connaissent des difficultés sont souvent les plus motivés pour aider les autres qui eux aussi sont en difficulté.
Ce moment se passe à la fin d’une heure Futsolidaire en classe, les élèves avaient travaillé en autonomie et me demandaient de l’aide si besoin « comment je dois tourner cette phrase… ». Je n’ai pas vu l’heure passée comme souvent sur l’heure Futsolidaire. Normalement les élèves essayent de se préparer de manière à sortir dès que la sonnerie retentit (à 17H05) mais là le groupe de trois élèves entend la sonnerie alors ils se regardent et disent « ah non, déjà » puis me regardent et demandent « est-ce qu’on ne peut pas rester 5min en plus pour finir, on aimerait bien, ça vous dérange pas… ». Bien sûr que non.
Si c’était à refaire, pouvez vous citer une phase du projet que vous pourriez modifier pour le rendre plus « efficace » pour les élèves ?
On peut imaginer que les élèves réalisent l’étape finale de tout le travail mis en œuvre, c’est-à-dire réaliser la distribution des denrées alimentaires récoltées de manière à « voir » en pratique le fruit de leur travail. D’ailleurs, une ancienne élève a franchi le pas en devenant bénévole à la croix rouge. Ce qui est un des buts du projet car je ne cesse de leur répéter de trouver une cause qui leur tient à cœur et de s’y engager.
Un point de vue, une remarque que vous souhaiteriez partager avec les lecteurs du Café Pédagogique ?
Il n’est pas évident de se lancer dans des projets car cela fait peur de se lancer dans l’inconnu mais lorsque j’ai débuté le projet, j’avais un directeur de SEGPA formidable qui m’a toujours soutenu et m’a dit « si on ne fait rien, on n’a pas de regrets mais on a une vie morne, les échecs cela fait grandir et de toute façon les échecs, les élèves de la SEGPA connaissent par contre toi un peu moins de quoi as-tu peur ? De froisser ton égo, faut savoir se mettre en danger ». A partir de ce moment là, je me suis décidé à tenter de changer les choses. Je voulais absolument lutter contre la première phrase que j’ai entendue en salle des profs alors que je montrais mon incompréhension devant un cas d’élève. Je venais de débuter ma carrière professionnelle depuis une semaine et un professeur agrégé m’a dit « dans ta vie de professeur, tu auras toujours les élèves que tu mérites ». Parfois, même les phrases les plus difficiles à entendre vous servent à vous construire en tant qu’enseignant.
Propos recueillis par Isabelle Lardon
Le blog des SEGPA
Sur le site du Café
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