A plusieurs reprises, au cours des derniers mois, le ministère de l’éducation a, à propos des TIC, dévoilé un visage auquel nous étions peu habitués. En effet il se transforme progressivement en agence de soutien aux entreprises du secteur informatique, éducatif ou périphérique. Citons quelques exemples comme le portable à 1 euro, la promotion de l’éducation citoyenne par « Le tour de France des collèges » avec la société Calysto ou encore, et c’est plus ancien, la promotion des entreprises qui vendent des » biens éducatifs « .
Quand on lit les articles publiés à propos de ces opérations, on s’aperçoit que le ministère se fait régulièrement le promoteur d’entreprises dont il a retenu les produits. On peut comprendre le souhait de voir les entreprises tenir une juste place dans le domaine de l’éducation. Mais on peut s’étonner d’observer un mélange des genres, voire le contournement de la mission éducative même des enseignants. C’est le cas pour « Le tour de France des collèges » par exemple. Parmi les derniers faits observés, citons les tapis de souris qui alertent les enfants sur les dangers de l’Internet sponsorisés par des marques, l’analyse de l’évolution de l’édition de contenu sur le web qui amène le ministère à déclarer qu’il faut avant tout soutenir l’édition, mais pas les associations d’enseignants qui oeuvrent dans le domaine, et enfin plutôt symptomatique, l’abandon de l’université d’été de Hourtin pourtant référence dans plusieurs milieux professionnels (directeurs de la communication des entreprises, journalistes professionnels etc…) par manque de financement.
S’il est clair qu’un ministère ne peut ignorer les acteurs économiques, doit-il pour autant se charger de faire leur promotion allant même jusqu’à les substituer aux enseignants comme le montre le contrat passé avec cette société appelée Calysto : « Montée par l’agence de conseil Internet Calysto, cette opération résulte d’un partenariat entre le ministère de l’éducation nationale et des acteurs privés visant, selon les mots de l’ex-ministre François Fillon dans l’édito du guide distribué aux élèves, à « construire les règles de prudence et de civilité qui s’imposent pour un usage confiant et responsable de l’Internet ». (le Monde, 7 avril 2005) ?
La définition d’un partenariat est d’associer deux personnes ou entités qui chacune par leur compétence tendent à travailler sur un objet commun. Or on n’est pas dans le partenariat lorsque l’un des deux partenaires se substitue à l’autre. Ainsi comment le ministère peut-il se féliciter de la réussite de « l’ordinateur à 1 euro » alors qu’il n’a rien fait d’autre que de faire payer des entreprises pour leur faire de la publicité (cf les pages de publicité dans divers journaux). Il se met à la place de l’entreprise dont le rôle est de vendre des machines. Par contre lorsque les entreprises (cf Calysto) se substituent aux enseignants et à leurs formateurs, on n’est plus du tout dans le partenariat.
La dérive que nous observons est celle d’une logique qui tente de s’imposer, celle du résultat à court terme. Or en éducation, on peut toujours faire du médiatique sur le court terme, mais pour les résultat, seul le long terme est efficace. La logique du court terme est celle que des politiques tentent d’imposer à tous les secteurs de la société. L’éducation est actuellement en point de mire. Elle doit passer à une logique de résultat, alors qu’elle était pilotée par une logique de moyens.
Ce changement de « paradigme » est l’explication essentielle, selon moi, de cette évolution qui se traduit par l’introduction des logiques industrielles et commerciales dans le secteur des services.
On ne reprochera pas à une institution de déployer les logiques pour lesquelles ses responsables ont été élus. On reprochera simplement une erreur d’analyse de ces élus et de leurs « bras agissants ». Une analyse des échecs de certaines formes de privatisation (écoles aux Etats-Unis…) devrait être un signal d’alarme suffisant. Malheureusement on en reste encore au court terme. En déployant actuellement cette activité en direction des entreprises, le ministère semble oublier que les enjeux sont d’une autre nature qu’une surface médiatique et la satisfaction de quelques entreprises.
Certaines d’entre elles développent des logiques et des philosophies qui sont, apparemment, en opposition avec celles qui prévalent en éducation depuis de nombreuses années. Les débordements éthiques de certains responsables de ces » grandes » entreprises (par exemple le patron de TF1 à propos de la mise à disposition du cerveau des téléspectateurs pour les annonceurs) ne sont pas sans effets. Que peut penser un jeune de tels propos ? N’est-il pas amené à penser que la réussite se réduit à une compétition qu’il faut gagner le plus vite possible et sans scrupules ? L’école trouve de moins en moins sa place dans un tel contexte, elle n’est jamais rentable à court terme.
Effort, travail, voilà deux valeurs que certains élus voulaient remettre au goût du jour. Or ils provoquent exactement l’inverse en développant de telles stratégies (concurrence, rentabilité à court terme) dans le monde éducatif. Moins d’argent pour l’éducation, promotion des entreprises du secteur, comme s’il suffisait, en éducation, de penser en terme de rentabilité pour obtenir des résultats. Substituer à la logique de moyens la logique de résultats ne se résume pas à une question de flux d’argent dans le domaine de l’éducation. Encore faut-il piloter réellement le potentiel humain que représentent tous les personnels qui oeuvrent auprès des élèves chaque jour.
L’éducation nationale ne peut devenir un lieu pour rendre le cerveau de nos enfants disponibles aux marchands de notre société.
Bruno Devauchelle