Reportage de Martine Lemoine
DEI France en prise avec l’actualité nous a offert le 16 novembre 2002 une journée d’étude riche d’éléments susceptibles d’alimenter notre réflexion sur la réalité du problème de la délinquance juvénile et sur la pertinence des différentes réponses proposées par les pouvoirs publics.
Nous proposons ici un compte rendu de certains temps forts de cette journée, complété par des textes issus des entretiens que nous ont offerts certains intervenants.
La journée d’étude a été animée par Jean-Pierre Rosenczveig ( http://www.rosenczveig.com ), magistrat, Président du Tribunal pour Enfants de Bobigny et président de DEI France, qui a insisté sur l’importance de présenter aux jeunes des hommes et des femmes de dialogue crédibles, qui puissent les accompagner sur le chemin difficile qui les mènera à l’âge adulte. Il a exprimé son inquiétude face aux nouvelles dispositions législatives susceptibles de provoquer un recul de notre société dans l’application de la convention internationale des droits de l’enfant. La France ne semble pas être la seule à opter pour un retour au pénal, d’autres pays européens, l’Australie aussi, s’orientent vers plus de répression là où l’éducatif devrait être premier.
Laurent Muchhielli, sociologue spécialisé en sociologie de la déviance, ( http://laurent.mucchielli.free.fr/index.html ), a présenté un tableau de la délinquance juvénile en France, mettant à bas certaines de nos représentations, tableau où il apparaît que les vols et cambriolages sont en terme statistique loin devant les autres types d’actes violents, où les chiffres des agressions interpersonnelles les plus graves sont en diminution depuis 7 ans. Les problèmes en augmentation concernent en fait surtout les bagarres entre jeunes. Il nous invite à rapprocher les problèmes concernant le trafic de drogue de sa consommation (6 à 8 millions de consommateurs de cannabis en France) afin d’ouvrir un véritable débat sur la place des drogues dans la société, comme l’ont fait la plupart des autres pays européens.
Pour lui, la prévention de la délinquance doit s’organiser autour d’actions globales menées dans trois dimensions :
- la dimension économique, sur l’axe de l’insertion économique des jeunes des quartiers populaires ;
- la dimension politique autour de la discrimination que supporte une partie de la population ( » eux/nous « , soupçon de dangerosité, doute sur l’ » assimilabilité » de certains d’entre nous), très tôt intériorisée par ceux qu’elle fragilise ;
- et la dimension morale posant question sur les valeurs à partir desquelles est construite l’éducation que nous donnons à nos enfants, très colorée de consumérisme.
La prévention ciblée est bien sûr nécessaire. Laurent Mucchielli a rappelé à ce sujet que s’il ne semblait pas y avoir de lien entre la violence exprimée par les jeunes et la forme de la famille, il y en a un est très clair entre la présence de conflit intra familial et comportement agressif des mineurs ( voir Etudes et données pénales n°96, 2000, CESDIP, Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Ministère de la justice et CNRS : » Familles et Délinquances : Un bilan pluridisciplinaire des recherches francophones et anglophones « , http://www.cesdip.msh-paris.fr/edp86.htm ).
La prévention ciblée est aussi du ressort de l’école, nous n’en doutions pas. Massification de l’école qui n’a pas réussi sa démocratisation, carte scolaire qui reproduit les inégalités, palmarès des établissements qui stigmatise les écoles les plus en souffrance et participe à la perception négative qu’ont les jeunes de certaines banlieues de l’offre éducative qui leur est faite, quelque soit la qualité réelle des équipes enseignantes, gestion des ressources humaines qui amène des jeunes enseignants à commencer leur vie professionnelle dans des quartiers dont ils n’ont pas les codes,… il y aurait beaucoup à faire pour lutter contre ces processus générateurs d’exclusion, violents par nature, et qui participent au basculement d’une partie des jeunes vers la délinquance.
Laurent Ott, ancien éducateur spécialisé, instituteur et directeur d’école a commencé son intervention en exprimant son refus de mettre l’éducation sous la coupe d’un dogme moderne dit de « prévention » » le souci de prévenir fait partie du problème du vide éducatif et du harcèlement éducatif que subissent les enfants « . Il regrette que de la maternelle au lycée, nous soyons si soucieux du rappel de la règle quand l’éducatif doit être d’abord attentif à l’épanouissement de l’enfant.
Laurent a poursuivi son exposé par la présentation des projets qu’il a développés à Longjumeau avec l’association Intermèdes http://assoc.intermedes.free.fr dans l’objectif de lutter contre la solitude enfantine :
» La Maison Robinson est un lieu d’accueil de proximité chargé de mettre en oeuvre le projet de l’association Intermèdes :
- soutien de la fonction éducative,
- lutte contre la solitude enfantine
- et promotion de l’approche éducative en milieu ouvert.
Cet espace d’animation et de veille éducative, se voulant résolument une structure de voisinage, a la forme d’un appartement similaire à ceux du public contacté. Il est situé au premier étage d’un des HLM de la Villa Saint-Martin à Longjumeau (Essonne).
Son fonctionnement est basé sur les principes du milieu ouvert : hétérogénéité des âges permettant entre autre l’accueil des fratries, gratuité de l’accès – ce qui permet de contractualiser l’accueil non pas autour d’une prestation de service mais autour du sens du lieu, liberté d’aller et de venir – ce qui permet que la rencontre soit volontaire. Ce principe s’applique aussi bien pour le public que pour les adhérents de l’association. » (voir la présentation du projet sur le site Intermèdes).
L’espace publique, les institutions appartiennent aux jeunes, aux parents, c’est à eux de les faire vivre au travers de projets qu’ils vont déterminer et porter. A Intermèdes, tout projet est reçu pour peu que le bénéfice attendu s’étende au delà du groupe. De l’éducation citoyenne mise en acte !
Bernard Bobillot, éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, a souhaité nous aider à réfléchir sur la responsabilité parentale, dont nous parlons beaucoup particulièrement quand la société se l’est appropriée alors qu’il s’agirait de la reconnaître, de la soutenir et non d’en dessaisir les parents.
Bernard Defrance, professeur de philosophie, http://www.bernard-defrance.net a posé le problème du fonctionnement institutionnel de l’école dans laquelle l’enfant rencontre la menace pénale bien plus tôt que nous ne le pensons à travers les sanctions (suppression de récréation, colles) décidées par l’enseignant sans contre-pouvoir.
Se battre, être agressif, est, dit-il, chez l’enfant un signe de bonne santé : cela prouve sa capacité à lutter contre le stress et à se maintenir en bonne santé physique… La violence est plaisir aussi, plaisir du mal imposé à autrui. Mais alors comment gérer cette violence ?
Eduquer, nous dit Bernard Defrance, c’est aider le jeune, qu’il soit délinquant ou non, à découvrir ses propres libertés et sa capacité à transformer ses pulsions, et le plaisir, normal, qu’il trouve dans la violence en jeu, en théâtre, en création. Il ne s’agit pas de chercher à nier cette violence, il s’agit de l’utiliser dans un projet choisi par le jeune, en apprentissage de sa propre liberté. Cet apprentissage doit se faire progressivement, par expérimentation. Il s’agit aussi d’apprendre la loi, c’est à dire d’apprendre à obéir aux objectifs de construction de la loi et non de s’y soumettre passivement.
La loi ne doit pas arriver avant le lien : le lien doit introduire la relation au corps social de manière à permettre ensuite au jeune d’accepter la loi et d’en devenir acteur.
On grandit en apprenant à donner.
L. Ott et B. Defrance, sur leur position d’enseignant, ont tous deux, à leur manière, insisté sur cette dimension de l’éducation : articuler les libertés (la mienne, la tienne…) pour dépasser le plaisir, réel, de la violence imposée à autrui en y substituant celle du don et du partage.
Éduquer, ce n’est pas nier la violence et ce qu’elle peut apporter de plaisir et d’affirmation de soi, c’est accompagner le jeune dans le dépassement de lui même pour lui permettre d’accéder à d’autres espaces d’expression, à d’autres plaisirs que ceux qu’il peut trouver dans la violence.