Par François Jarraud
L’OCDE demande plus d’équité dans le système éducatif français
Quel est le pays où un jeune de milieu défavorisé a deux fois plus de chances d’échouer en maths qu’en Turquie ? Ce pays qui se classe 25ème sur 29 pour le lien entre catégorie sociale et réussite en maths, c’est la France, selon une étude de l’Ocde, basée sur Pisa 2006. Alors que les Etats-Unis se classent 20èmes, seules l’Allemagne, la Hongrie, la Slovaquie et la Belgique arrivent à être plus inégalitaires que la France. La publication par cette organisation des « Dix mesures pour une éducation équitable » souligne involontairement les inégalités du système éducatif français.
Car l’Ocde plaide pour des systèmes plus égaux et plus inclusifs. L’égalité importe car » les coûts sociaux et financiers à long terme de l’échec scolaire sont conséquents », écrivent les experts de l’Ocde. « Ceux qui n’ont pas les compétences pour prendre leur place dans la société et dans l’économie engendrent des coûts plus élevés en matière de santé, d’aides sociales, de protection de l’enfance et de sécurité. La montée en puissance des migrations pose de nouveaux défis pour la cohésion sociale de certains pays tandis que d’autres sont confrontés à des problèmes déjà anciens d’intégration des minorités. Face à ces défis, une éducation offrant l’égalité des chances et l’inclusion aux migrants et aux minorités est cruciale. L’équité dans l’éducation conforte la cohésion et la confiance sociales ».
Les experts n’hésitent pas à préconiser 10 mesures précises. Les premières concernent l’équité. « La filiarisation et la formation de classes de niveau précoces doivent être justifiées par des bénéfices attestés car elles engendrent très souvent des risques pour l’équité. Les systèmes scolaires qui pratiquent l’orientation précoce en filière devraient envisager de retarder l’âge de la première orientation afin de réduire les inégalités et d’améliorer les résultats. La sélection par les résultats doit être utilisée avec prudence car elle aussi est porteuse de risques pour l’équité ».
L’Ocde, sans recommander la carte scolaire, invite à déreglementer avec prudence. « Le choix de l’école engendre des risques pour l’équité et exige une gestion prudente, en particulier pour éviter qu’il n’accentue les différences de composition sociale des établissements. Si le choix de l’école est donné, les établissements dont la capacité d’accueil ne permet pas d’inscrire tous les candidats doivent pouvoir assurer la mixité sociale – en appliquant par exemple des méthodes de sélection par loterie. Des primes versées aux établissements qui accueillent des élèves défavorisés peuvent aussi contribuer à cet objectif ».
Pour lutter contre le décrochage scolaire, l’Ocde préconise de rendre le second cycle « attrayant, pas seulement pour une élite possédant le goût des études, offrir des parcours de bonne qualité sans impasse et des liens efficaces avec le monde du travail ». Pour lutter contre l’échec scolaire, l’organisation écarte le redoublement et donne en exemple les méthodes finlandaises. » De nombreux pays pourraient utilement s’inspirer de la fructueuse méthode finlandaise de résolution des difficultés d’apprentissage, qui repose sur une série d’interventions d’intensité croissante pour ramener ceux qui prennent du retard au niveau de la classe. Un soutien devrait être apporté aux professionnels de l’enseignement pour développer leurs techniques d’aide en classe à ceux qui prennent du retard ».
Enfin, l’Ocde s’intéresse à l’intégration scolaire des jeunes issus de l’immigration. « Pour soutenir l’apprentissage des élèves défavorisés, les écoles doivent axer leurs efforts sur l’amélioration de la communication avec les parents des foyers les plus défavorisés et sur l’aide à l’instauration, à la maison, d’un cadre favorable à l’apprentissage ».
Ces propositions résonnent particulièrement en France puisque les faibles performances du système éducatif sont justement dues à un fort pourcentage d’élèves très faibles, c’est-à-dire à une forte inégalité scolaire, fortement corrélée à la difficulté d’intégrer les jeunes issus de l’immigration. Xavier Darcos, qui a représenté la France auprès de l’Ocde, devrait plus qu’un autre être à même de les entendre.
L’étude de l’Ocde (en pdf)
http://213.253.134.43/oecd/pdfs/browseit/9107042E.PDF
Dans le Café, en 2006 entretien avec A. Schleicher de l’Ocde
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/80Schleicher.aspx
Dans le Café : septembre 2006, l’Ocde dénonce les inégalités de l’école française
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2006/09/index130906[…]
Dans le Café : N. Mons : La France fait-elle les bons choix ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2007/r2007_Edu[…]
Le dossier Pisa du Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2007/Pisa_Pirls_[…]
La ségrégation ethnique, premier cancer de l’Ecole française ?
La question des inégalités ethniques à l’école est étalée au grand jour par le dernier rapport de l’Ocde. Il établit que la France, avec l’Allemagne, l’Autriche et le Portugal, se distingue par l’écart entre autochtones et descendants de l’immigration pour le niveau scolaire. Il atteint en France 20 points entre ces deux catégories.
Une étude plus fine, comme celle que G. Felouzis a mené dans l’académie de Bordeaux , aurait sans doute révélé que ces inégalités s’accompagnent d’une ségrégation marquée pour certaines communautés. A Bordeaux, il a mis en évidence la ségrégation montante entre les établissements de l’agglomération. 10% des établissements scolarisaient 40% des enfants d’origine maghrébine. « Certains collèges sont de vrais ghettos scolaires comme leur quartiers d’implantation ». Les établissements les plus ségrégués scolarisent entre 3 et 5 fois plus d’élèves allochtones que la moyenne et entre 2 et 3 fois plus d’élèves socialement défavorisés. Ce qui amène Felouzis et Joëlle Perroton à affirmer , dans « Améliorer l’école, PUF 2006, que « le critère le plus déterminant dans la mise à l’écart de certains élèves est le critère ethnique » et à parler de « véritables ghettos scolaires ».
Or certains pays de l’OCDE ne produisent aucune différence de niveau entre les jeunes autochtones et allochtones (comme l’Australie ou le Canada). Ajoutons que ce dernier pays affiche également des résultats bien meilleurs pour l’ensemble des élèves que les notres. Ce qui montre que le lien entre immigration et baisse de niveau n’est pas une fatalité.
C’est dire que l’Education nationale a aussi sa part de responsabilité dans cette situation, même si la ségrégation urbaine joue un rôle essentiel. Parmi les facteurs identifiés, il y a d’abord le processus de nomination des enseignants qui poussent les moins expérimentés à intervenir dans ces établissements. Les politiques d’établissement jouent aussi un rôle. « Elles construisent souvent des filières d’excellence qui sont centrées sur des critères scolaires mais qui de fait renforcent la ségrégation » expliquait G Felouzis dans un article donné au Café. Au-delà c’est toute la politique de soutien scolaire qui est à adapter à ces élèves,particulièrement la place faite à leur langue dans l’Ecole.
Avoir de réelles équipes, affirmer l’éducabilité et chercher l’hétérogénéité, prendre en compte les cultures locales, voilà trois défis que les collèges actuels peuvent difficilement résoudre. C’est aussi pour sortir de cette impasse qu’il importe que le projet de collèges expérimentaux soit mené à terme.
Regards sur l’éducation 2007
http://www.oecd.org/document/43/0,3343,fr_2649_201185_39251563_1_1[…]
Article de G. Felouzis dans le Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2004/[…]
Inégalités : Il faut soutenir la recherche
Comment lutter contre les inégalités scolaires ? En dépit de toutes les déclarations politiques sur l’égalité des chances et la volonté d’établir l’égalité, force est de constater que les inégalités perdurent quand, localement, elles ne s’accentuent pas. L’ouvrage « Un enseignement démocratique de masse. Une réalité qui reste à inventer » publié par des chercheurs belges de l’université de Louvain apporte des éclairages nouveaux sur cette problématique.
Constatons d’abord que la Belgique est une terre de fortes inégalités de résultats scolaires. Par exemple l’accès au supérieur long concerne 14% seulement des enfants de pauvres (quartile le plus bas) contre 38 des enfants de familles aisées (quartile le plus élevé). D’autres indicateurs, relevés par V. Dupriez et M. Verhoeven, montrent que les inégalités scolaires sont plus fortes en Belgique que chez les autres états européens ou même de l’Ocde.
Est-ce pour autant que les inégalités de revenu soient particulièrement fortes en Belgique. Et bien non? V. Vandenberghe montre que la Belgique peut avoir de fortes inégalités scolaires avec de faibles inégalités sociales. « Il est incorrect de penser que l’on peut facilement corriger le caractère inéquitable du supérieur belge en majorant l’aide financière aux familles » écrit-il. Pour lui l’extension de l’allocation de rentrée scolaire aux étudiants serait sans effet.
C’est donc qu’il y a d’autres facteurs tel le culturel. « Les traits hérités telle niveau de diplôme des parents, singulièrement celui de la mère, continuent d’affecter très fortement la probabilité de décrocher ce fameux sésame » notent . Verhoeven, V Dupriez,et JF Orianne.
Mais l’ouvrage a aussi l’avantage de ne pas renvoyer la faute aux seuls parents et élèves. Nos auteurs et finalement J Draelants introduisent l’établissement comme fondateur d’inégalité. Autant le discours sur l’égalité est accepté par tous les acteurs de l’Ecile, autant les enseignants sont parfois convaincus de l’inégale valeur des élèves et des vertus des inégalités. Les auteurs montrent aussi le poids des positionnements d’établissement dans la création des inégalités. Pire la réforme pédagogique pleine de bonnes intentions, peut se convertir « en marqueur négatif d’un établissement.
On retiendra de cette lecture la complexité des facteurs d’inégalités scolaires en Belgique. Et en France ? Quelle peut être la part des inégalités culturelles ? Et bien on est pas prêt de le savoir puisque les enquêtes conçues par la Depp (ministère) pour distinguer facteurs sociaux et culturels ont été annulées du fait de la crainte de certains parents de voir ces résultats utilisés par la police. Or sans statistiques sociales adieu les politiques sociales.
Mariane Frenay et Xavier Dumay, Un enseignement démocratique de masse. Une réalité qui reste à inventer, Presses universitaires Louvain 2008. »
A lire : Quelle école pour quelle société ?
« Pour beaucoup d’adultes, les jeunes font peur. Et, au lieu d’interroger nos responsabilités collectives, au lieu de réfléchir – dans la tradition de l’Éducation populaire – en termes éducatifs, au lieu de se demander comment on pourrait aider les enfants et les adolescents à métaboliser leur violence, à s’investir dans des projets constructifs, à se mobiliser sur des tâches intellectuellement exigeantes… on répond par la contention, le dressage mécanique et l’exaltation nostalgique. On cherche aussi des boucs émissaires et, forcément, on en trouve : ce sont les « pédagogistes », ceux qui ne cessent de reposer la question qu’il faut taire : « Mais que fait-on des élèves qui ne veulent pas apprendre ? »… Tout cela relève d’une « psychologie de masse » : exploiter l’inquiétude et la canaliser de manière politicienne ». Dans Le Café mensuel n°93, Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak reviennent sur leur nouvel ouvrage » L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ? »
Un échange dense qui témoigne de la construction d’une pensée commune capable de donner un avenir à l’Ecole.
Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak, L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?, éd. De l’Aube, Paris 2008, 108 pages.
Entretien dans Le Café mensuel 93
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lesysteme/Pages/2008/93_[…]
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