Que retenir de la publication des évaluations nationales ? Paul Devin, ancien secrétaire général du SNPI-FSU et président de l’Institut de Recherches de la FSU propose une analyse sur ces évaluations du 1er degré et remet en question l’interprétation positive du ministère pour qui « tout progresse nettement ». Il dénonce la focalisation technique qu’il qualifie d’ « erreur politique majeure ».
Évaluations 2024 : progrès notable ?
La publication des évaluations 2004[1] n’a pas échappé aux habituelles interprétations.
D’un côté, quelques formulations qui forcent le trait des difficultés pour nourrir la vision d’une dégradation générale. Ainsi cette affirmation globale que « les écoliers de CM2 maîtrisent peu ou mal des savoirs essentiels en français[2] », affirmation qui laisse imaginer une compétence homogène et dégradée de l’ensemble des élèves qui ne correspond pas à la réalité des résultats.
D’un autre côté, la communication gouvernementale qui se réjouit des progrès en procédant à la sélection des items témoignant d’une augmentation de la réussite, quitte à en oublier quelques autres ! « Tout progresse nettement, de façon vraiment notable[3] » affirme la ministre Genetet qui prétend constater « des résultats extrêmement encourageants sur les savoirs fondamentaux ». Le communiqué du ministère se félicite que la politique engagée pour le premier degré « porte aujourd’hui ses fruits ».
La réalité du progrès est loin d’être aussi évidente.
Les leurres de la focalisation technique
A insister depuis plusieurs années sur quelques compétences techniques qui sont devenues l’objet d’un entraînement intense des élèves, il est logique de constater qu’elles progressent. Ainsi la capacité à nommer les lettres ou à manipuler les phonèmes. Toute la question reste de savoir à quelles conditions la maîtrise de ces compétences permet réellement un progrès de la capacité de lecture et non, seulement, celui de la réussite d’exercices techniques. Car l’école ne peut se contenter de produire des habiles décodeurs, sa mission est de rendre les citoyennes et les citoyens capables d’un usage social et culturel de l’écrit.
C’est pourquoi le progrès de la fluence (vitesse de lecture) n’a aucune valeur en soi. Que l’automatisation de la lecture soit l’objet d’exercices d’entraînement … soit ! Mais elle ne résout pas les questions de sens d’un énoncé écrit quand il s’agit d’interpréter l’ensemble des unités signifiantes à l’échelle du mot, de la phrase ou du texte. Entraîner les élèves à augmenter leur vitesse de lecture est donc, pour l’essentiel, un leurre organisé pour constater un progrès des résultats du test sans pour autant garantir l’essentiel de l’apprentissage !
Persistance des difficultés
En CM2, les évaluations constatent une difficulté persistante des élèves à comprendre les textes lus[4]. Les évaluations internationales nous incitent depuis longtemps à douter de l’interprétation simpliste de la seule insuffisance de maîtrise du code et nous alertent sur un déficit des activités susceptibles de développer les stratégies de compréhension de l’écrit, déficit lié à faiblesse particulièrement marquée de la formation des enseignantes et enseignants français à ces questions[5]. Cela devrait être le cœur de la volonté politique du ministère. Hélas, on peut douter d’un progrès à venir quand les nouveaux programmes de français, au lieu de définir les enjeux essentiels de la maîtrise de l’écrit, listent des procédures à maîtriser dans la vision étroite d’une acquisition linéaire qui demanderait à ce que la maîtrise du code précède les activités intellectuelles et sociales sur l’écrit.
Une erreur politique majeure
Au lieu de continuer à brandir les menaces fantasmatiques d’un apprentissage « global » pour imposer une conception instrumentale de l’apprentissage de l’écrit, la politique éducative en matière de lecture devrait se centrer sur une affirmation déterminée des enjeux sociaux et culturels de la maîtrise de l’écrit. Les exigences de la démocratie sont liées au développement de l’usage maîtrisé de l’écrit par les citoyennes et les citoyens. C’est la condition essentielle pour comprendre le monde au-delà des croyances simplistes et des préjugés, pour exprimer ses opinions et ses projets, pour développer ses liens avec les autres. En focalisant l’école sur la maîtrise technique du déchiffrage des écrits, les projets ministériels limitent les enjeux, pour une bonne part de nos élèves, à une compréhension élémentaire des énoncés les plus simples…
Par les faits ….
Jean-Michel Blanquer nous assurait faire des choix méthodologiques dictés par l’évidence des faits. Force est de constater aujourd’hui que les élèves de CM2, qui ont fait tout leur apprentissage de la lecture avec ses principes méthodologiques, sont loin de confirmer cette preuve par les faits ! La promesse « d’atteindre 100% de réussite en CP » était une chimère. La seule véritable « réussite » de la politique Blanquer est d’avoir, par la pression des tests, modifié les pratiques enseignantes pour les focaliser sur la maîtrise de procédures techniques qui, désormais considérées comme des finalités d’apprentissage, relèguent les activités nécessaires à la compréhension et à l’usage de l’écrit.
Lire pour « savoir ce qu’est une démocratie libre »
Un tel choix politique est celui du maintien des inégalités et du renoncement à une finalité de l’école dont Jaurès affirmait qu’elle n’était pas seulement de « déchiffrer une lettre et lire une enseigne au coin d’une rue » mais de « savoir ce qu’est une démocratie libre[6] ». Puissions-nous un jour retrouver, pour nos élèves apprenant à lire, l’ambition politique de « leur montrer la grandeur de la pensée » et non de « fabriquer des machines à épeler[7] ».
Paul Devin
[1] https://www.education.gouv.fr/evaluations-nationales-de-septembre-2024-en-cp-ce1-ce2-cm1-et-cm2-415715
[2] Le Parisien, 31 octobre 2024
[3] France Info, 31 octobre 2024
[4] DEPP, Évaluations 2024, Repères CM2, Premiers résultats, p.22
[5] Marc COLMANT, Marion LE CAM, PIRLS 2016 : évaluation internationale des élèves de CM1 en compréhension de l’écrit. Évolution des performances sur quinze ans, DEPP, Note d’information 17.24, p.4
[6] Jean JAURÉS, Lettre aux instituteurs et institutrices, La Dépêche, 15 janvier 1888
[7] Jean JAURÉS, ibidem
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