Par Caroline d’Atabekian, professeur au collège République
Le collège République de Bobigny est situé dans une zone de HLM, en banlieue parisienne : les mille deux cents élèves qui y sont scolarisés y affluent depuis quatre cités différentes et « rivales ». Il comporte SEGPA et classes spécialisées (6e non francophone, 4eAS, 3e d’insertion) et s’est vu attribuer petit à petit tous les labels : ZEP, « zone sensible », « zone de prévention violence » et tout dernièrement « PEP4 ». Dans ce cadre, il a le privilège d’avoir trois conseillers principaux d’éducation. Comme dans la plupart des établissements du 93 (Seine-Saint-Denis), il y a parmi les enseignants une moyenne d’âge assez jeune et un important mouvement chaque année. Les élèves sont d’origines très variées (70 « ethnies » différentes, d’après le CPE).
Pour gérer la violence quotidienne, l’équipe éducative a mis en place un système qui permet de réagir rapidement et efficacement aux problèmes qui émergent, mais aussi d’anticiper sur les périodes les plus tendues de l’année, ou encore de prévenir la violence par des actions communes avec les partenaires sociaux.
Par sa taille, l’importance des labels qu’il arbore à sa boutonnière, ainsi que par sa situation géographique de banlieue qui en fait la proie des journalistes en le rendant idéal car correspondant à tous les canons attendus d’un établissement difficile et non loin de Paris, le collège a souvent fait l’objet de reportages-télé. Il faut voir alors dans la cour les élèves se bousculer devant la caméra dont le champ ouvre un véritable ring où les coups fusent, pour prouver aux journalistes et au monde qu’ils sont bien les caïds sanguinaires, les sauvageons redoutables, dont on ne parle partout qu’avec un pincement au ventre. Bref, le jeu est d’aller jouer les épouvantails devant les caméras pour correspondre à un discours ambiant, peut-être perçu comme valorisant parce qu’on parle d’eux « a la télé », et de combler les journalistes qui pourront annoncer fièrement à 20 heures : « Voyez l’ambiance dans les cours de récré, tout le monde se bagarre sans arrêt ! »
Est-ce qu’on vous fait peur ?
Lors de la dernière visite d’un cameraman, deux de mes élèves de troisième, tout à fait sympathiques par ailleurs, sont venus me trouver pour me demander, en souriant, très impressionnés par la réputation du collège incarnée par la présence des journalistes : « Dites madame, est-ce que vous avez peur de nous ? ».
S’il est souhaitable que les médias témoignent des difficultés de certains établissements soumis à la violence scolaire, il est en revanche tout à fait regrettable que ce ne soit que pour les stigmatiser et pour renforcer un discours déjà très largement assimilé, qui se plaît à faire de ces établissements des sanctuaires de la violence dans lesquels rien d’autre n’a plus lieu d’être et où de toutes façons aucun enseignement n’est possible. Les premières victimes de ces reportages agrémentés de détails croustillants, ce sont nos élèves, qui s’identifient à ce discours porté sur eux. Ils s’identifient d’autant plus volontiers que la violence devient ce qui fait leur importance, ce qui fait que le monde dirige ses regards vers eux. Et ils se sentent investis de la mission de maintenir cette violence apparente, qui leur donne le sentiment d’avoir un rôle pour le reste du monde, un sentiment de puissance bien sûr puisqu’ils inspirent la peur, sans voir toujours que cette violence, si elle est ce qui les relie au monde « normal », est aussi ce qui les en sépare le plus vivement, puisqu’ils sont montrés du doigt pour mieux renforcer la barrière imaginaire qu’il y a entre eux et le reste du monde, et derrière laquelle un consensus rassurant s’emploie à les enfermer davantage.
Le neuf trois, c’est sympa
Il est sans doute regrettable également que de jeunes enseignants soient envoyés sur ces postes difficiles. Néanmoins la jeunesse des équipes pédagogiques est souvent à l’origine d’un dynamisme qui permet de monter de nombreux projets et de lutter efficacement contre les débordements. Ce que l’on ne voit pas assez dans la presse, que l’on entend pas assez à la télévision, c’est la spectaculaire créativité des enseignants qui se développe ici. Chacun y va de son projet, son club, ses sorties, ses ingéniosités pédagogiques, qui font de ce collège, et d’autres collèges du département, des lieux vivants où se passent aussi beaucoup de choses positives et valorisantes pour les élèves. Si la Seine-Saint-Denis est au coeur de l’innovation pédagogique, c’est grâce à nos « sauvageons », et au dynamisme de ses enseignants, qui, loin de baisser les bras, cherchent et trouvent quotidiennement des solutions pour lutter contre la violence et l’échec scolaires. Et les élèves savent être reconnaissants.
Si les actes de violence et d’incivilité sont fréquents et usants, il faut aussi reconnaître que les actes graves (relevant du pénal) restent extrêmement rares, et que la plupart des actes violents relèvent d’une minorité d’élèves. Il y a aussi, au collège République, beaucoup d’élèves calmes, sympathiques, souriants, et même de bons élèves !