« Seule une réelle revalorisation de la profession… ainsi que des conditions de travail… sera à même de répondre à cette situation problématique ». Alors que le ministère prépare une réforme de la formation des professeurs des écoles, dans l’ouvrage collectif « En quête d’enseignants » (PUR), cinq universitaires se penchent sur les courbes déclinantes des candidats aux concours de recrutement des professeurs des écoles. La situation est bien connue: c’est la perte d’attractivité du métier de professeurs des écoles. Un diagnostic s’impose. Ce n’est pas seulement la masterisation qui a fait perdre de l’attractivité au métier et il ne servira à rien d’abaisser le niveau de recrutement. C’est toute une évolution de la société qui met maintenant en concurrence ce qui était un des rares métiers offerts aux femmes avec une large gamme de filières professionnelles. Si l’Education nationale ne s’aligne pas sur la réalité du marché du travail il est vain d’abaisser les conditions d’entrée dans le métier.
Des crises cycliques…
Depuis 2004, alors que le nombre de postes proposés aux concours est resté globalement le même, le nombre de candidats a été divisé par deux, passant de 61 000 à 29 000 en 2016. F. Charles et S Katz (UPJV), M. Cocouault (Gresco), F Legendre et A Rigaudière (Univ. de Reims) et PY Connan (Unistra) analysent un demi-siècle de données statistiques des concours de recrutement des instituteurs puis des professeurs des écoles.
Certes l’élévation graduelle des niveaux de recrutement a eu un impact sur l’attractivité du métier. Rappelons les étapes. Le concours en fin de 3e est abandonné dans toutes les académies en 1977 au profit du bac. Puis en 1985 on demande le Deug et en 1992 la licence. Avec la masterisation, en 2011, puis la création des Espe en 2013, la formation échappe aux Espe puisqu’une partie des candidats arrive avec un master 1 dans une discipline ou passent le concours avec un autre master.
Chaque changement de niveau de recrutement génère une crise du recrutement qui est vite résorbée. Ainsi dans les années 1970 au moment du passage au niveau bac, puis dans les années 1980 avec l’exigence du Deug. Idem pour la licence. Mais à chaque fois la crise dure peu de temps et la courbe des candidatures remonte au bout de quelques années.
À la crise finale
Une autre évolution apparait nettement : la féminisation de la profession. De 1955 à 2017, le taux de féminisation passe de 65 à 83% au point que le métier passe pour « une activité réservée aux femmes« .
Une crise grave du recrutement se profile à partir de 2005. On passe de 61 000 candidats à 35 000 en 2010 avant la masterisation. La masterisation entraine une chute à 18 000 en 2012. Puis on assiste à une remontée en dessous de 30 000 candidats en 2014-2018. Mais on ne retrouve pas le niveau d’avant 2005. « L’élévation du niveau de recrutement au master 2 puis au master 1 contribuera à mettre hors jeu un nombre considérable de candidats« , écrivent les auteurs.
Qui manque à l’appel ?
Mais ce qu’ils montrent c’est que la nature des candidats change. Le nombre de candidats inscrits en IUFM finit par se redresser. C’est celui des candidats non inscrits en IUFM ou ESPE qui chute sans arriver à remonter. La masterisation a asséché ce vivier là de candidats, celui des personnes en reconversion professionnelle.
Pour les auteurs, la crise du recrutement est donc liée à une évolution globale du marché du travail. « L’éventail des choix professionnels pour les femmes titulaires d’une licence ou d’un master 2 s’est considérablement ouvert au cours des 20 dernières années« , disent les auteurs. « Aussi le professorat des écoles a t-il perdu de son attractivité au cours de cette période au profit d’autres emplois plus rémunérateurs ou tout autant, voire mieux considérés socialement. C’est la centralité de l’enseignement « débouché féminin » qui se trouverait remise en cause« .
« L’armée de réserve » des femmes a disparu…
Les auteurs n’ont aucun mal à prouver cette évolution de la place des femmes dans des filières d’étude jusque là très masculines. Ainsi on trouve deux fois plus de femmes en sciences économiques ou en médecine en 2015-2016 qu’en 1973-1974. Le taux d’emploi des femmes s’est envolé durant cette période en même temps que s’ouvrait le choix des possibles pour les femmes dans de nouveaux métiers.
A cette ouverture de la société aux femmes s’ajoute une dégradation de l’image du métier. « Le métier d’enseignante apparait de moins en moins à celles qui côtoient des professeurs comme un métier qui laisse du temps libre pour la sphère privée et de plus en plus comme une activité qui crée des tensions et génère une charge de travail importante« , écrivent les auteurs. Pour eux, les femmes n’ont pas déserté la profession mais elles ne constituent plus « l’armée de réserve » qu’elles ont été pendant longtemps et où l’Education nationale pêchait son recrutement.
Face à cette évolution globale de la société française, l’Education nationale doit adapter son offre. » Seule une réelle revalorisation de la profession… ainsi que des conditions de travail… sera à même de répondre à cette situation problématique« . Une analyse qui va à rebours de ce que prépare l’Education nationale en voulant ressusciter avec de nouvelles écoles normales une demande sociale qui n’existe plus depuis un demi-siècle.
François Jarraud
F. Charles, S Katz, M. Cocouault, F Legendre, A Rigaudière, PY Connan, La perte d’attractivité du professorat des écoles en France au début du XXIème siècle, in En quête d’enseignants. Regards croisés sur l’attractivité d’un métier, PUR, 2024, ISBN 978-2-7535-9404-3, 20€