« Cafouilleux », « décevants », les nouveaux projets de programmes d’EMC présentés par le Conseil Supérieur des Programmes ne suscitent aucun enthousiasme chez les professeurs d’histoire-géographie. Jugés plus directifs et descendants, ils se situent dans la continuité des programmes actuels. Alors qu’Emmanuel Macron a promis en janvier la « refondation » de « l’instruction civique » avec un horaire doublé, le CSP accouche d’une réformette. Il y a loin de l’annonce politique à sa réalisation.
Une commande politique
« Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République« . L’article 111-1 du Code de l’éducation marque l’importance accordée en France à l’éducation civique. Une place tout à fait à part en Europe. La France est le seul pays en Europe à faire de la formation citoyenne à la fois une discipline et un objectif transdisciplinaire. C’est aussi le seul pays à imposer cet enseignement à tous les niveaux et à l’évaluer aux examens nationaux.
D’où la pression politique sur cet enseignement. En janvier 2022, la présidente du CSP annonçait la révision du programme et le retour à l’instruction civique. « Je crois qu’il est urgent de revenir à une instruction civique classique où on n’est pas en lutte contre tous les maux de la société« , expliquait S Ayada. Ce glissement est appuyé par la droite, notamment Les Républicains, qui fait adopter au Sénat une proposition de loi en ce sens en novembre 2023. En juin 2023, Pap Ndiaye saisit officiellement le Conseil supérieur des programmes (CSP) pour de nouveaux programmes du CP à la terminale qui devront entrer en vigueur à la rentrée 2024. Le 16 janvier 2024, Emmanuel Macron annonce que « l’instruction civique sera refondée… avec, en appui, les grands textes fondateurs de la Nation » et un horaire dédoublé. « L’école sera le fer de lance du réarmement civique« , confirme, le 30 janvier, Gabriel Attal. « Réarmer notre école, c’est réaffirmer nos valeurs… Le nombre d’heures d’instruction civique sera doublé au collège« , ajoute-il. Le même jour, le CSP publie le projet de programmes du CP à la fin des lycées.
Des programmes dans la continuité
Alors que le gouvernement promettait un big bang et le retour de l’instruction civique de grand papa, les nouveaux programmes sont d’abord dans la continuité. Leurs intitulés reprennent ceux des programmes précédents. Ainsi, en 2de « la liberté, les libertés » (programme de 2019) devient « droits , libertés et responsabilités ». En première « le lien social » devient « cohésion et diversité dans une société démocratique« . « Rien ne change fondamentalement. C’est surprenant quant on songe aux déclarations publiques tonitruantes sur l’incapacité des programmes à traiter les grands enjeux contemporains, de la laïcité aux risques du numérique, en passant par le harcèlement… Ces programmes sont une réédition des précédents, dans leur ordre de traitement », explique Déborah Caquet, présidente des Clionautes, une association de professeurs d’histoire-géographie. « On reste sur les fondamentaux déjà enseignés, ce qui peut rassurer des collègues« , confirme Joelle Alazard, présidente de l’APHG, la principale association des professeurs d’histoire-géographie. « On s’attendait à du plus offensif politiquement« . J. Alazard marque des points positifs. « Il y a des points mieux connectés aux programmes d’histoire comme la laïcité en seconde, l’étude des partis politiques en terminale ou la réflexion sur les usages du numérique ».
Apologie du 49-3…
Mais l’APHG souligne aussi des points critiques. « Il y a des points qui posent problème comme l’étude du 49-3 « pour éviter les blocages parlementaires » alors qu’on explique en classe qu’il réduit l’espace du débat parlementaire. C’est un affrontement entre les légitimités du législatif et de l’exécutif« . Cette présentation du 49-3 est-elle un hommage à E. Borne ? L’obsession du SNU, largement évoqué en seconde, horripile aussi l’APHG. Les Clionautes relèvent des « situations d’apprentissage aberrantes » comme la prescription de « mettre en rapport la loi du 15 mars 2004… en faisant référence à l’article 10 de la DDHC« , article fixant comme règle de ne pas être inquiété pour ses opinions « même religieuses« .
Mais la lecture des nouveaux programmes nous interroge sur d’autres points. D’abord pour le respect de la commande envoyée par Pap Ndiaye au CSP. Celui-ci insistait sur la lutte « contre toutes les formes de discrimination ». Le terme se retrouve bien dans les programmes mais moins fréquemment que la laïcité… Pire peut-être, l’ancien ministre voulait des programmes traitant de « l’éco-citoyenneté » et de « la démocratie environnementale ». Ces deux notions sont totalement absentes des nouveaux programmes. On y parle beaucoup « d’éducation au développement durable« . Mais ce n’est pas la même chose.
Des programmes descendants
Les nouveaux programmes sont annuels et affichent des prescriptions fortes en terme de démarches pédagogiques. « La liberté pédagogique est réduite« , confirme J. Alazard. « Alors que les précédents programmes offraient une large liberté de manœuvre, la version 2024 amorce un virage à 180° en matière d’injonctions. Désormais, non seulement il y a des textes à lire obligatoirement, mais aussi toute une démarche pédagogique à suivre, avec même des propositions de mise en œuvre« , explique D. Caquet qui parle de « corsetage ». » Il est frappant de constater la nette prédominance de situations de face-à-face pédagogique, de type descendante ». Un des acquis de ces dernières années était l’appel au débat régulé pour alimenter le cours d’EMC. C’est d’ailleurs ce que prescrit le Code de l’éducation qui demande au service public d’éducation de « favoriser la coopération entre les élèves« . A la place du débat, conformément à la commande présidentielle, les nouveaux programmes affichent des textes au statut encore flou mais qui devraient devenir des incontournables.
« Ces textes limitent la liberté pédagogique car toutes les classes n’ont pas les mêmes besoins », explique J. Alazard. « Tous ne sont pas en adéquation avec le niveau des élèves. On nous dit qu’il faut partir du réel mais en même temps on donne en référence un texte de Platon aux élèves de 2de« . L’APHG relève aussi la présence d’Alain dans les auteurs recommandés. « On sait qu’il était antisémite. Est-ce le moment d’en faire une autorité morale ?« , interroge J. Alazard. On compte aussi peu d’autrices dans le choix du groupe d’experts.
Le primaire méprisé
Les programmes du primaire sont aussi affectés par le choix des textes. Outre Esope et La Fontaine, le programme demande l’étude de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il n’y a aucune mention en littérature jeunesse alors que celle-ci est très riche pour l’enseignement de l’EMC. En 2015, le groupe d’experts comprenait plusieurs enseignants du premier degré. Dans le groupe de 2024, une seule personne (un IEN) représentait l’enseignement primaire. Et cela se voit. Les nouveaux programmes ont été rédigés par un groupe d’experts où historiens et philosophes sont presque à égalité. Les SES sont représentés par une seule personne. C’est sans doute conforme aux orientations politiques du gouvernement. Mais cet appauvrissement n’est pas sans conséquences.
Des programmes sans moyens
Finalement , Joëlle Alazard juge ces nouveaux programmes « cafouilleux » là ou Déborah Caquet parle de programmes « décevants« . Reste maintenant à les appliquer. Et là l’adjectif « cafouilleux » s’applique bien. Conformément à l’annonce présidentielle, l’horaire d’EMC doit être doublé dès la rentrée 2024. Mais comment faire ? Au ministère on nous promet qu’on ne touchera pas aux horaires d’histoire-géographie. Dans ce cas où trouver la demi-heure hebdomadaire supplémentaire ? L’entourage de la ministre nous dit qu’elle pourrait être prise sur « les 18 heures de projets pédagogiques complémentaires« . Mais ces heures n’existent que dans le premier degré. Et elles sont destinées à de l’aide pédagogique pour les élèves les plus en difficulté. Dans le second degré à quelques mois de l’application de la mesure on ne sait toujours pas comment sera financée l’horaire d’EMC. Les dotations horaires des établissements sont arrivées et elles ne prévoient pas de nouvelles heures pour l’EMC.
« C’est le problème des annonces politiques et des promesses non tenues« , nous dit J. Alazard. « Il faudrait des classes moins chargées. Or les dotations horaires sont généralement en baisse. L’horaire n’est pas budgeté. Comment effectuer le dédoublement ? Au détriment de qui ? ». Le Pacte a déjà créé des tensions dans les établissements. Le nouveau programme d’EMC pourrait les raviver. Dans son glissement à droite, le gouvernement s’est emparé d’un thème qu’il juge, comme bien d’autres avant lui, porteur politiquement. Mais qu’il n’assume pas.
François Jarraud
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