Y a-t-il encore de la place pour l’écriture créative au lycée ? Comme on le sait, la réforme Blanquer des programmes a supprimé « l’écriture d’invention » pour faire du français une discipline essentiellement patrimoniale et normative. Et pourtant des enseignant.es ne désarment pas. Au lycée Saint-Exupéry à Mantes-la-Jolie, Marie Rouzin a ainsi lancé une « brigade poétique » : chaque semaine, des élèves volontaires se retrouvent pour des ateliers d’écriture de textes variés, partagés ensuite par affichage et sur un blog. Pour une belle leçon : « Les enfants et les adolescents sont des inventeurs en puissance, il suffit parfois d’ouvrir une toute petite porte, comme celle de l’atelier d’écriture, et de les inviter à participer, pour les voir prendre plaisir à écrire, à inventer, à jouer avec les mots et les idées, bref, pour les voir s’épanouir à l’École. »
Vous avez lancé dans votre lycée un atelier d’écriture : d’où vous est venue l’idée de ce projet, original dans un établissement scolaire ?
L’idée m’est venue lorsque les écrits d’invention ont disparu des programmes de français en 2nde et en 1ère. Cette forme d’écriture permettait aux élèves d’expérimenter une écriture créative qui mette en lien la lecture et la pensée, les émotions et l’écriture. Par ailleurs, j’ai souvent remarqué que les élèves se « réveillaient » lorsqu’en cours de français on proposait des séances d’écriture créative : la création met la pensée en ébullition, chercher ses mots devient un plaisir, utiliser le brouillon une évidence, relire un texte pour imiter un procédé une nécessité. J’ai donc pensé que l’on pouvait proposer un temps dédié à l’écriture au lycée, dans un cadre moins formel que celui de la classe.
Comment fonctionne le dispositif ? avec quel succès ?
Nous nous retrouvons une fois par semaine, avec un petit groupe (2 ou 3 élèves), sur le temps du déjeuner. L’an dernier le dispositif a rencontré du succès auprès des élèves de terminale et étudiants de classe préparatoire. Cette année ce sont plutôt des élèves de seconde. Le groupe est plus restreint, les temps communs disponibles entre les élèves et moi sont plutôt rares.
Que créent les élèves dans un tel atelier d’écriture ?
Certain.e.s viennent avec un travail d’écriture en cours, des récits le plus souvent, qu’ils ou elles publient sur Wattpad. Nous les lisons et les travaillons, je leur propose par exemple d’insérer une description, de caractériser un personnage. Mais je propose également des inducteurs d’écriture, des consignes : écrire à partir d’un objet, d’une photo, d’une liste de mots, d’une phrase de fin ou de début, d’une petite annonce, d’un événement, d’une couleur. Chacun s’empare ou non de la consigne, en toute liberté. Je peux aussi proposer des exercices à contrainte à la manière de l’Oulipo, ce sont des jeux qui permettent d’expérimenter des formes, ce que les élèves aiment bien aussi.
En quoi consiste votre accompagnement de ce travail de création ?
Je ne fais que « lancer » l’écriture, ensuite j’écris en même temps que les élèves, j’expérimente les formes. Puis j’invite chacun.e à lire son texte, en essayant d’accompagner les élèves dans l’analyse de leurs intentions, de ce qu’ils ont voulu dire, des choix qu’ils ont fait. Je pose des questions en évitant autant que possible de proposer un jugement personnel, même valorisant, afin de rester dans l’expérimentation, sans passer par la recherche d’une réussite ou dans la peur de l’échec.
Comment les créations sont-elles partagées ?
Lorsque les élèves se sentent assez sûrs d’eux, nous partageons le travail d’abord par des affichages anonymes dans le lycée, c’est l’activité de la « Brigade poétique » à laquelle n’importe quel élève ou classe du lycée peut participer : qui veut partager un texte peut l’afficher dans des endroits insolites de l’établissement. Ainsi, au fur et à mesure de l’années, des textes d’élèves ou des extraits de poèmes, de romans, apparaissent sur les murs. Les élèves du lycée apprécient beaucoup cet affichage. Lorsque les élèves se sentent plus sûrs d’eux, les écrits produits lors de l’atelier d’écriture sont également publiés sur un blog.
L’écriture créative est rarement déployée dans le système scolaire français, en particulier au lycée : quels vous en semblent les intérêts et les plaisirs ?
L’écriture créative est importante, elle manque dans le cadre du cours de français (même si nous pouvons encore la pratiquer en seconde ou en HLP), car elle permet aux élèves de déployer leur rapport à la langue, aux formes textuelles, à la poésie, d’entrer dans une recherche qui n’est pas seulement celle de l’argument, mais aussi une recherche du mot juste, de son effet, des images, de tout ce qui ouvre la pensée, lui permet de se déplacer, d’enrichir l’imaginaire et d’approfondir notre regard sur le monde.
Vous semblerait-il pertinent de déployer à plus grande échelle l’écriture créative à l’Ecole ?
Toute pratique artistique est à déployer à plus grande échelle à l’École selon moi. On voit souvent des élèves se métamorphoser dans les cours de pratique artistique au lycée (option ou spécialité), se révéler, à eux-mêmes et à nous. Il me semble que l’apprentissage ne peut être dissocié de la recherche artistique et de la création, même à une toute petite échelle. Les enfants et les adolescents sont des Inventeurs en puissance, il suffit parfois d’ouvrir une toute petite porte, comme celle de l’atelier d’écriture, et de les inviter à participer, pour les voir prendre plaisir à écrire, à inventer, à jouer avec les mots et les idées, bref, pour les voir s’épanouir à l’École.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Ouvrage sur l’écriture créative
Une fabrique littéraire au lycée