Par François Jarraud
Sommaire :
En apparence rien de plus traditionnel qu’une circulaire de rentrée. Combien de « progressivement », de « s’attacher à », de « maintenu » ? Même en pleine refondation, le texte reflète la continuité de l’administration française. On y lit un texte mièvre, des phrases prudentes, une retenue constante, un vrai exercice de rédacteur officiel qui tourne cent fois son stylo avant d’écrire un mot. La circulaire de rentrée qui sera publiée au Bulletin officiel de ce 11 avril ressemble aux précédentes. Pourtant c’est la première circulaire de rentrée de Vincent Peillon. Et elle amorce la refondation mais au rythme du quinquennat. Les changements sont donc modestes : l’arrivée du plus de maîtres que de classes, des conseils école collège et d’un nouveau LPC. Pour le reste il faudra attendre 2015…
Priorité au primaire
Dès la rentrée, une partie des 3 000 équivalents temps plein crées à la rentrée au primaire, vont aller au « plus de maitres que de classes ». Ce dispositif doit permettre de nouvelles approches pédagogiques pour faire reculer l’échec scolaire. Une autre partie des nouveaux postes ira à l’accueil des enfants de moins de 3 ans dans les zones socialement défavorisées. Les enseignants du primaire devront mettre en place l’APC à la place de l’aide actuelle. Ils visent soit à aider des enfants en difficulté soit à les accompagner dans leur travail soit encore à proposer « toute activité en rapport avec le projet d’école ». De nouvelles évaluations sont annoncées en lieu et place des évaluations nationales actuelles. Elles seront déterminées par le futur Conseil supérieur des programmes. Les enseignants bénéficieront de 9 heures de formation continue, en très grande partie à distance en libre service. Voilà pour les nouveautés de ce secteur prioritaire. Par contre il faudra probablement attendre 2015 pour voir les nouveaux programmes du primaire. Le futur Conseil supérieur des programmes réécrira de nouveaux textes. Jusque là les enseignants utiliseront les programmes actuels.
Collège : Dans l’attente de la réforme
Le ministère veut faire fin 2013 le bilan du collège actuel avant toute réforme. Par conséquent rien ne pourra bouger en profondeur avant 2015. L’année prochaine les changements sont donc minimes. Le principal c’est l’arrivée de 3 770 emplois supplémentaires dans le secondaire, partagés avec les lycées. L’autre réforme structurelle importante c’est la suppression des DIMA pour les élèves âgés de moins de 15 ans. Le collège sera marqué par la mise en place des conseils école collège, « à vocation pédagogique ». Elle se fera « progressivement » : autant dire que le ministère anticipe sur des résistances locales. De même, l’évaluation de 5ème sera poursuivie « pour les collèges qui le souhaitent ». La circulaire annonce pour la rentrée un livret personnel de compétences simplifié. Le parcours d’information, d’orientation et de découverte du monde contemporain et professionnel sera « progressivement construit » dès la rentrée 2013. Le diplôme du brevet reste inchangé.
Lycée : Pour le changement il faudra attendre
La circulaire dit peu de choses du lycée. On sait juste qu’un bilan sera fait de la réforme Chatel fin 2013. Il ne faut donc pas s’attendre à des changements importants avant 2015. Le ministère va continuer la mise en place de la réforme en STMG et ST2S. Les lycées professionnels pourront s’appuyer sur une carte des formations négociée avec la région qui va donc s’affirmer davantage. Enfin la circulaire prévoit des quotas d’accès pour les bacheliers professionnels et technologiques en STS et IUT. Mais ce sera des quotas académiques. Par conséquent il faut s’attendre à une très grande prudence dans son application… En attendant un pas supplémentaire, la circulaire invite les enseignants à utiliser l’horaire d’accompagnement personnalisé pour préparer les élèves au supérieur. Elle demande aussi l’ouverture d’un « campus des métiers » dans chaque académie regroupant tous les acteurs dans un « partenariat renforcé ».
Prioritaire : Comment étranger les internats d’excellence ?
La circulaire fixe la lutte contre le décrochage comme un objectif principal dès 2013. Elle annonce la mise en place de réseaux FOQUALE chargés de fédérer l’offre éducation nationale que l’on peut proposer aux décrocheurs. Un référent décrochage sera désigné dans chaque établissement connaissant un fort taux d’absentéisme.
La circulaire annonce une énième « relance de l’éducation prioritaire » avec des « assises » à l’automne 2013. Mais il y a peu de décisions concrètes par exemple sur la carte scolaire. Le point le plus important c’est finalement la façon dont le ministère s’y prend pour faire disparaître les internats d’excellence. Ces couteux joyaux sarkoziens perdurent mais dans le cadre d’une réforme globale des internats ils devront rédiger un nouveau projet pédagogique et intégrer les normes communes graduellement. C’est une véritable « digestion » de ces dispositifs qui s’annonce. La circulaire annonce aussi la création « d’internats relais » chargés d’accueillir des élèves en froid avec l’école à l’image des classes relais.
Du côté des parents
Nous voilà donc sur les questions d’orientation. Si les parents des bacheliers professionnels ont peu de chance de voir leur enfant acquérir un droit d’entrée en STS, tous les parents voient-ils leurs droits avancer ? Le texte de la loi de refondation issu de la commission accordait le dernier mot en matière d’orientation aux parents. Cet article a été totalement réécrit en séance et ce droit s’est envolé au terme d’un magnifique consensus droite – gauche. La circulaire de rentrée promet juste une expérimentation dans quelques académies. Alors la circulaire a beau souhaiter « renforcer le lien entre l’Ecole et les familles », on a du mal à la croire. Elle annonce l’ouverture « d’espaces parents » dans les établissements/ Mais à condition que les collectivités locales disposent des locaux nécessaires.
De son côté, le ministère ne se prive pas pour modifier les critères d’orientation là où la concurrence s’est installée. La circulaire annonce que les demandes de dérogation « pour parcours scolaire particulier » seront traitées en dernier, sans affecter les parcours pédagogiques déjà entamés. Le ministère pense ainsi diminuer les dérogations qui ne sont motivées que par la recherche de la performance ou de l’entre soi.
De nouvelles logiques de gestion ?
Vincent Peillon va-t-il mettre à mal la gestion mise en place par Chatel ? Non. Le système des contrats académiques et de la gestion décentralisée est validé dans la circulaire. Il y a deux modifications importantes. D’une part au niveau des établissements des contrats tripartites rectorat- établissement – région pourront être signés ce qui ouvre un boulevard aux régions. D’autre part on a vu des quotas académiques intervenir dans l’orientation. Alternance politique ou pas, cette circulaire de rentrée témoigne de la continuité administrative plus que de la rupture.
Pour une fois, une rentrée sans vagues ? La perspective de la rentrée, définie par la circulaire publiée au B.O. du 11 avril, suscite quelques déceptions mais, exceptionnellement, peu de réactions négatives. On n’y était plus habitué…
« Après des années de réduction des emplois, la refondation de l’École consiste d’abord à réinvestir significativement dans les ressources humaines », affirme le ministère dans un communiqué. Les 6 770 créations de postes d’enseignants (en équivalents temps plein) rompent en effet avec les années de suppressions de moyens. Rappelons que 3 000 postes sont attribués au primaire et 3 770 au secondaire, en priorité pour le collège. Ces postes ne compensent pas les 80 000 suppressions des 10 dernières années. Mais ils ajoutent de la chair là où on était arrivé à l’os.
Une nouvelle géographie de l’école vue par le Se-Unsa
» Les personnels, qui sont impatients de redonner du sens à leur action et de travailler dans de meilleures conditions, risquent de rester sur leur faim », estime le Se-Unsa dans une analyse fouillée de la circulaire de rentrée. « Même si le mot « confiance » est présent, même si la pédagogie est présentée comme au cœur de la refondation, cette circulaire ne propose pas un nouveau modèle de gouvernance susceptible de libérer les énergies et les initiatives dans les écoles et les établissements. Elle n’affirme pas suffisamment le changement de paradigme indispensable pour que notre système éducatif, champion des inégalités, tienne enfin sa promesse républicaine ».
Le durcissement de la carte scolaire dénoncé par la Peep
A propos de la carte scolaire, la Peep dénonce « une mesure inefficace dans l’accroissement de la mixité sociale dans les établissements ». Le ministère a agi très prudemment et se limite à rétrograder les demandes de dérogation en faveur des options rares. Pour la Peep, l’absence de mixité dans les établissements reflète celle des quartiers.
Rénover la gouvernance pour le Sgen
C’est aux cadres que s’adresse le Sgen. La circulaire « sera d’abord la feuille de route de tous ceux qui, dans les établissements, dans les écoles, seront chargés de mettre en œuvre la politique ministérielle, au premier rang desquels les personnels de direction et les IEN dans les circonscriptions », relève le Sgen. Or « le pilotage autoritaire des années précédentes a meurtri aussi bien les personnels qui le subissaient que ceux qui étaient chargés de l’appliquer. Certes, la circulaire de rentrée ne manque pas d’affirmer que la refondation est aussi « un changement de méthode », mais il aurait fallu l’expliciter et l’enraciner par des écrits, et s’adresser spécifiquement à ceux qui vont devoir incarner ce changement de méthode, avec toute la difficulté que cela implique en cette période difficile ». Le syndicat appelle à un changement de culture. Rappelons qu’en février, V Peillon avait réuni tous les IEN et tenu des propos favorable sà un changement de posture. « Le management ne ressemble pas à ce que nous sommes. Nous sommes des artisans d’un idéal… Il y aura toujours des fermetures de classes. Il faut être capable de le justifier d’un point de vue pédagogique », avait dit le ministre. Le Sgen estime que la rupture n’est pas assez évidente sur ce terrain.
La CGT déçue par la circulaire de rentrée
» Mis à part la référence préalable et positive à l’arrêt des suppressions d’emploi, cette circulaire s’inscrit dans la continuité des précédente, y compris celle des gouvernements antérieurs. Une « refondation », réellement ? » La CGT regrette particulièrement que » le seul aspect évoqué pour les lycées professionnels est le retour des campus des métiers (lycée, CFA, entreprises, labo …), ce qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un retour des plateformes technologiques. »
François Jarraud
La circulaire
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/CIRC[…]
Sur la circulaire de rentrée
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/04/11042013A[…]
Peillon met ses cadres dans la balance
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/02/1102201[…]
François Dubet analyse la situation actuelle de l’Ecole à l’occasion de la sortie de « L’Ecole, une utopie à reconstruire ». Pour lui les pesanteurs l’emportent de loin dans l’Ecole sur la personnalité du ministre. Vincent Peillon fait face aux mêmes difficultés que ses prédécesseurs. La refondation est-elle possible ?
Vous publiez un article décapant dans « L’école une utopie à construire ». Pensez-vous que l’école française ait perdu de vue ses valeurs ?
Ce n’est pas une affaire de valeurs. Les gens ont toujours dans la tête l’école de l’égalité. Ce qui a changé ce sont les pratiques. Parce que l’école joue un rôle central dans le destin social des jeunes. Les parents ont compris cela. Le diplôme devient un facteur essentiel d’intégration sociale. Ce n’était pas le cas auparavant. Cela a des conséquences.
La première c’est que la fonction éducative et libératrice de l’école est loin derrière celle de sélection sociale. La culture devient moins importante. Les parents choisissent la meilleure formation pour que leur enfant s’en sorte le mieux possible. Tout le monde est pour l’école de la fraternité mais veut la réussite de ses enfants avant les autres. Comme la fonction d’intégration a perdu en importance, beaucoup d’élèves n’y croient plus. Ces élèves savent qu’ils vont perdre et décrochent. L’école n’a pas perdu ses valeurs. Elle a changé de nature.
Aujourd’hui un diplôme est plus important qu’un carnet d’adresses ?
Il faut le diplôme. Si, en plus, j’ai le carnet d’adresses c’est mieux. En fait l’inquiétude crée la compétition et à terme la dévaluation relative du diplôme. Pour avoir la même position sociale que ses parents il faut à l’enfant un diplôme plus élevé. Nombreux sont les gens qui ot le sentiment d’être pris dans ce paradoxe : le diplôme est indispensable mais moins rentable.
Pourtant les travaux d’Agnès Van Zanten dans l’ouest parisien montrent que les membres des classes moyennes supérieures ne cherchent pas que les établissements les plus performants. Ils choisissent aussi en fonction de l’entre soi ou du projet d’établissement.
Cela fait partie du package. Dans un grand lycée parisien on a tout cela ensemble. C’est le cas aussi à Sciences Po par exemple où l’on trouve une bonne formation et le carnet d’adresses. Dans beaucoup de grandes écoles le principal c’est l’association des anciens élèves.
La solution c’est de rendre plus rigide la carte scolaire ?
Je ne crois pas car ce serait vécu comme une injustice épouvantable. La seule solution c’est d’améliorer l’offre scolaire dans les écoles populaires et donc de changer le fonctionnement du système. Que les équipes éducatives n’y soient pas le fruit du hasard et que les enseignants y soient mieux payés. Que ces écoles aient plus de moyens quitte à en retirer ailleurs. Si on veut donner la priorité au primaire et rapprocher l’école et le collège, il faut transférer des moyens des lycées vers les écoles. Mais faire cela c’est porter atteinte aux bénéficiaires du système !
Dans cette école de la sélection sociale, comment voyez-vous les enseignants ?
Je les trouve ambivalents. Ils conservent l’imaginaire de la scolarité équitable avec la compétition par le mérite. Mais ils savent que ce n’est pas vrai, que l’école fait un tri social. Ca les rend malheureux. Ils enseignant pour l’amour de leur discipline. Or les élèves ne partagent pas cet amour. Ils sont là pour être sélectionnés. Regardez par exemple ces classes de série S où la majorité des élèves n’aiment pas les sciences. Mais dès qu’il y a une réforme visant à être moins sélectif, à casser la hiérarchie des filières, ils défendent cette hiérarchie. Leur culture est sélective : c’est la note, le classement, l’évaluation. Les enseignants sont progressistes socialement mais conservateurs scolairement. Leurs enfants sont les premiers bénéficiaires du système. Ils sont un peu coincés.
Durant le débat sur la loi d’orientation, on a vu la droite et la gauche modifier le texte pour retirer l’article donnant le droit de choisir l’orientation des élèves aux parents. Cela vous surprend ?
Le clivage droite-gauche n’est pas profond sur les matières scolaires. On voit plutôt une continuité sur les 30 dernières années. Par exemple, sur le collège unique on voit bien l’ambiguité des politiques. Sur el socle aussi. Il y a quand même eu une rupture sous Sarkozy. Ca a donné l’idée au PS qu’il suffit de défaire ce que Sarkozy avait fait. Mais les problèmes de l’école ne datent pas de Sarkozy. Mais globalement on a aujourd’hui un consensus conservateur qui domine en éducation. On le voit sur la formation des enseignants où on revient aux IUFM. On considère que le niveau académique du futur enseignant est essentiel. Alors que dans les autres pays on recrute les enseignants comme les ingénieurs, à bac +1 ou +2 avec une formation professionnelle jusqu’à bac +5. On le voit aussi dans l’affectation des enseignants quand on met les plus nouveaux dans les postes les plus difficiles. On admet donc qu’on sacrifie les enfants des milieux populaires. Si Vincent Peillon changeait cela, quel torrent d’insultes ! Il y a une certaine désillusion dans la manière dont la refondation est exécutée. Le mot refondation est un peu fort…
Aujourd’hui le climat politique est tel qu’on ne peut pas être optimiste. Le système est verrouillé. Je ne suis pas critique à l’égard de V. Peillon. Il se heurte aux mêmes difficultés que ses prédécesseurs. Ce n’est pas le style du ministre qui explique les difficultés. Tous ses prédécesseurs, fort différents, se sont heurtés aux mêmes oppositions.
Propos recueillis par François Jarraud
L’Ecole, une utopie à reconstruire, Regards croisés sur l’économie, La Découverte, 264 p., 16 €
Le sommaire
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