Par François Jarraud
En première ligne, les CPE doivent affronter le harcèlement. CPE au Lycée Professionnel Vercingétorix de Romagnat (63), Bertrand Gardette a une longueur d’avance.
Peut-on dire que les CPE sont bien formés pour affronter le harcèlement ?
Le harcèlement entre élèves est une violence particulière tant dans sa dynamique que dans le mode de réponse à apporter. La répétition de petites agressions anodines, en apparence, l’installation d’une routine de l’embêtement et le silence de la victime font qu’il est très difficile de détecter ce processus. Il n’est pas rare que plusieurs mois s’écoulent avant d’un adulte, généralement alerté par un évènement spectaculaire (acte de violence majeur, décrochage scolaire, effondrement des résultats, fugue, tentative de suicide), ne se rende compte de la situation. Pour le CPE, une seule solution s’impose : rétablir la victime dans sa dignité et sanctionner le harceleur. Or, la sanction de l’agresseur, absolument indispensable à ce stade du harcèlement, ne fera que renforcer le processus. Elle semblera disproportionnée aux yeux des élèves de la classe qui, en réaction à cette « injustice », vont afficher leur solidarité avec l’agresseur, culpabiliser la victime (ce qui se passe est de sa faute) et l’exclure définitivement du groupe. Le changement de classe, voire d’établissement, seule alternative possible, consacre alors l’échec éducatif de l’établissement.
C’est après avoir subi, en tant que CPE, un revers de la sorte que j’ai commencé à m’intéresser à la question avec Jean Pierre Bellon, professeur de philosophie, dont les premières investigations en la matière ont servir de support à notre travail.
Le contenu de la formation initiale des CPE est largement pluridisciplinaire et le thème de la violence à l’école est, bien entendu, abordé à plusieurs reprises. C’est le lien qu’il existe entre la culture générale éducative du CPE, sa maîtrise de la problématique de la violence et sa connaissance des élèves dans leur globalité qui en font un personnage référent dans ce domaine. Malheureusement, en matière de harcèlement, cette compétence professionnelle est inopérante. La lutte contre ce phénomène requiert un mode opératoire particulier et donc une formation spécifique. Or, mises à part des expérimentations menées dans le cadre de l’IUFM de l’académie de Clermont-Ferrand, il n’existe, à ma connaissance, aucun dispositif de formation ou d’information officiel sur le harcèlement entre élève. Pas plus pour les CPE que pour les enseignants.
Comment reconnaître les victimes et globalement avoir une idée de l’ampleur du phénomène quand on est CPE ?
La première erreur consisterait à penser qu’il existe un profil de victime clairement identifiable. L’attention du CPE se porterait naturellement vers le premier de la classe, celui affiche un léger embonpoint, vers le boutonneux ou le myope, le gothique ou le danseur sur glace. En fait, il n’en est rien. Si ces types de personnalités peuvent, effectivement, devenir des victimes, les autres élèves peuvent être concernés dans des proportions à peu près similaires. Nous avons rencontrés des victimes ceintures noires de judo, d’autres qui ne se distinguaient pas, à première vue, de cette norme adolescente qui constitue généralement une protection efficace. Si le grand peut se faire harceler, le petit aussi, le premier de la classe comme le dernier, l’adolescente « habillée en femme » comme la « camionneuse » (propos d’élève). Finalement, ce qui attire les foudres de l’agresseur, c’est l’isolement de l’élève, le fait de ne pas avoir d’ami. La sociabilité constitue une protection efficace. Le second facteur discriminant est un mal être provisoire, un complexe ou une blessure, bref une de ces fragilités passagères dont l’adolescence regorge.
Combien d’élèves sont victimes de harceleur durant leur scolarité ? Nous avons réalisé une enquête auprès de 2500 collégiens au terme de laquelle 9% d’entre eux disent avoir été harcelé. Ces chiffres confirment les proportions des quelques enquêtes disponibles en Europe.
Comment reconnaître un élève harceleur ?
S’il n’existe pas de profil avéré de victime, le harceleur a des caractéristiques plus identifiables. Il entretient un rapport aux autres très ambigu car il est à la fois un personnage doté d’un certain charisme et un individu qui suscite la méfiance de ses camarades. Certains peuvent avoir des bons résultats scolaires, mais, en règle générale, le profil scolaire est terne, il passe facilement inaperçu. Le harceleur possède une sensibilité psychologique empirique qui lui permet d’évaluer rapidement les forces en présence. Il sera un élève perturbateur dans le cours d’un enseignant en difficulté, mais sympathique et attentif avec le professeur à l’autorité incontestable. De la même manière, il se montrera convivial avec des camarades à la personnalité affirmée, et exécrable avec les plus fragiles. Il sait faire rire et se sert d’ailleurs de cette qualité pour harceler sa victime (surnoms, moqueries, ironies).
Une fois pris, il éprouve de grosses difficultés à assumer son rôle de harceleur. Sa défense va consister à minimiser ses nuisances et à faire porter sur la victime la responsabilité du harcèlement.
Peut-on y remédier seul ? Sinon sur qui s’appuyer ?
Le harcèlement à l’école prospère tant que la réponse apportée n’émane pas de l’équipe éducative toute entière. Pour lutter contre ce phénomène, il faut parvenir à briser cette loi du silence qui constitue le carburant du harcèlement. La réponse est la parole, parole obligatoirement collective et concertée. Pour cette raison, la sensibilisation au harcèlement ne pas peut toucher que les seuls CPE. Les enseignants et les personnels de santé et les Assistants d’Education doivent être associés. L’objectif d’une formation est moins la neutralisation efficace des situations de harcèlement que leur détection précoce. Plus un cas est détecté tôt, plus les chances qu’il s’arrête définitivement sont fortes. Pour cela, d’autres interlocuteurs ont besoin d’être formés, ce sont les délégués de classe.
Peut-on citer quelques exemples de projets efficaces réalisés par des établissements ?
En matière de lutte contre le harcèlement, des établissements de l’académie de Clermont-Ferrand ont tenté des expériences efficaces. Le Lycée d’enseignement Général et Technologique La Fayette à Clermont-Ferrand a inscrit la lutte contre le harcèlement dans son projet d’établissement. Concrètement, toutes les classes de secondes sont sensibilisées à cette question, durant les heures de vie de classe, par des enseignants. Des professeurs de français et d’histoire-géographie abordent le thème pendant les heures d’ECJS. D’autres enseignants (anglais) utilisent ce thème dans leur discipline. Enfin, les délégués de classe sont formés. Résultats : en trois ans, le nombre de cas de harcèlement a été divisé par quatre, aucun élève ne quitte plus le lycée pour ce motif.
Le collège d’Aubière a expérimenté un autre dispositif sur une année scolaire. Tous les élèves d’un niveau de classe (5ème) ont reçu une formation de deux heures. Une classe pilote a particulièrement approfondi le thème en le travaillant de façon transdisciplinaire. La professeure d’anglais a travaillé sur le school bullying, l’enseignante d’histoire-géographie sur la rédaction d’une charte et la professeure d’arts plastiques a organisé un concours de dessin, dont les œuvres sont visibles sur notre site internet. Les enseignants volontaires ont eu la possibilité d’assister à une formation. Enfin, à l’initiative du chef d’établissement, une soirée d’information a été proposée aux parents d’élèves. Ces derniers semblent avoir particulièrement apprécié cette action.
Ces expériences positives prouvent qu’il est possible d’élaborer, collectivement, des dispositifs efficaces de lutte contre le harcèlement entre élèves. Cependant, la question des outils pédagogiques, supports indispensables de ces formations, se pose. Travaillant avec nos propres ressources (témoignages écrits et vidéo, fiches d’animations et articles théoriques), non publiées, nous proposons un accès documentaire libre sur le site harcelement-entre-eleves.com. Faute de mieux !
Bertrand Gardette
Entretien : François Jarraud
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