Dans quelle mesure le service public d’éducation peut-il promouvoir un cadre éducatif serein qui permettra la réussite de tous ? Pour répondre à cette question, si fondamentale pour ce département, le Conseil général de Seine-Saint-Denis et son président, Claude Bartolone, réunissaient le 28 novembre les Premières Rencontres des acteurs de l’éducation en Seine-Saint-Denis. Une journée d’échanges entre experts et acteurs de terrain pour construire un projet éducatif qui réponde à la forte volonté politique de Claude Bartolone.
Au départ un constat difficile
Les Rencontres sont l’occasion pour le Conseil général de publier les résultats d’un sondage CSA sur l’Ecole dans le département. Si les habitants et les parents sont majoritairement satisfaits des écoles, collèges et lycées, les trouvent « ouverts sur le monde » (67%), dynamiques (66%) et les enseignants « disponibles » (57%), des difficultés apparaissent. Seulement 47% des parents les trouvent « sûrs », 46% « adaptés à tous les élèves », 37% « disposant d’assez de moyens ». 82% des habitants jugent qu’il y a trop de violence dans les établissements, 81% trop d’élèves dans les classes. 78% estiment qu’il faut progresser sur le suivi des élèves en difficulté. 64% des parents sont confiants dans l’avenir, 49% des élèves stressés à l’école, 31% régulièrement confrontés à la violence.
Claude Bartolone : un engagement pour un renouveau de l’Ecole
« L’éducation n’est plus aujourd’hui une priorité de la nation » affirme Claude Bartolone en ouverture des Rencontres. « Jamais l’Etat n’a manifesté une telle volonté de se désengager ». Le président socialiste du conseil général du 93 était venu avec des chiffres à l’appui de ses propos, citant les suppressions de postes (près de 100 000 depuis 2002) et le recul de l’Etat dans la dépense éducative nationale. Mais, pour lui, il ne faut pas s’en tenir aux chiffres. « Les quartiers populaires n’ont pas besoin d’un plan Marshall mais d’un plan Malraux ». Il s’agit de renforcer l’accès des élèves aux nouveaux savoirs, à la culture.
Pour cela le Conseil général agit dans trois directions : la sécurité (57 collèges ont bénéficié d’un dispositif de sécurisation conçu à leur demande, la culture, avec un programme d’introduction des arts et des pratiques culturelles dans la quasi-totalité des établissements (programme excellemment baptisé « CAC 93 ») et la lutte contre le décrochage, avec le soutien à des projets pédagogiques et l’objectif de 0 collégien à la rue en 2010.
L’éducation menacée par la « République low cost »
Ce qui peut briser tous ces efforts c’est le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Il prévoit dans son article 35 que les conseils généraux et régionaux sont désormais dotés de « compétences exclusives ». Ils perdraient donc, si le projet de loi est adopté, la clause de compétence générale. Or c’est celle-ci qui permet au Conseil général de suppléer le retrait de l’Etat. Le Conseil général perdrait le droit d’intervenir à l’Ecole en dehors de la construction et de l’entretien des collèges. Dans ce cas adieu sécurisation, adieu ordinateurs, adieu projets pédagogiques, adieu carte de transports, adieu cantines. Pour Claude Bartolone c’est un quart du budget du département qui disparaît, près de 120 millions. Il refuse cette « république low cost » qui se ferait au détriment des plus défavorisés.
Violence scolaire et politique ZEP
« On n’a pas d’augmentation globale de la violence scolaire » affirme Benjamin Moignard, membre de l’Observatoire international de la violence scolaire. « Par contre on a plus de discrimination dans la violence ». La violence reste celle de l’exclusion sociale et la France est e pays où cette discrimination est la plus sensible. Tous les travaux montrent que les solutions sont dans la constitution d’équipes pédagogiques stables. Les établissements qui inversent les déterminismes sociaux, car il y en a, sont ceux qui ont cette stabilité.
Autre problème scolaire, B. Moignard souligne la transformation profonde de la politique d’éducation prioritaire en France. On est passé de la réussite soclaire pour tous en 1981, à la gestion des problèmes sociaux par l’école puis, avec les RAR en 2006 à une autre logique : les meilleurs élèves des RAR peuvent déroger à la carte scolaire. On démantèle en fait la culture de l’école.
Rupture
« Il y a bien une rupture » affirme Pierre Frackowiak. Ancien inspecteur, auteur avec Philippe Meirieu d’un ouvrage sur l’Ecole, P Frackowiak pense « qu’on va vers la catastrophe ». Alors que jusqu’en 2002 il y avait une mobilisation collective, une volonté de transformation de l’Ecole, il y a eu une rupture amorcée en 2002 et élargie avec Robien. « L’espoir disparaît davantage. On inscrit l’Ecole dans une société que la majorité des enseignants ne partage pas ». En témoignent l’autoritarisme dans le premier degré, de « nouveaux vieux programmes » l’absence de concertation sur les rythmes scolaires, l’aide personnalisée, du coup la montée des « résistants ». « On n’a jamais vu cela. Les équipes sont démotivées et déstabilisées ». Au malaise des profs, répond celui des collectivités locales qui ont investi beaucoup dans les établissements mais ne voient pas les pratiques changer. « On n’a pas de grand projet mobilisateur pour l’Ecole. On a besoin de rêver une autre Ecole ».
Un rêve pour le 93 ?
Il revenait aux ateliers d’alimenter un projet pour l’Ecole. Animés par des experts (Daniel Verba, sociologue; Jean-Pierre Marty, principal de Clisthène; Patrick Gonthier, Unsa Education; Christian Baudelot, Pascal Binzack, Paris 8, Clara Paul Zamour, UNL, Thierry Cadart, Sgen, Eric Favey, Ligue de l’enseignement, Pierre-Louis Ghavam, CG des Landes, etc.), ils ont ouverts des pistes. Pour la « réussite de tous », trois projets : lutter contre le redoublement, mieux accueillir l’élève, favoriser le travail en équipe des enseignants. Pour « pousser les murs de la classe », mieux coordonner les PEL, proscrire le travail à la maison, faire des collèges des « maisons des savoirs » ouvertes sur leur environnement. Former les enseignants, les élèves et les parents aux TICE et à l’ENT développé par le Conseil général.
Les inconnues dans la maison
Mais la route du rêve est semée d’embûches. La première étape difficile semble être celle de la loi sur les collectivités territoriales. Diminuer leurs compétences irait dans le sens d’un amoindrissement de la fiscalité. Mais ça porterait un coup fatal au système éducatif qui est aujourd’hui porté à bout de bras par les collectivités locales. Sur ce point le Conseil général doit pouvoir se faire entendre. La question semble technique mais les conséquences concrètes pour les familles sont facilement visibles.
Dans la salle, les réactions aux projets montraient qu’il fallait s’attendre à d’autres résistances. Du coté des militants syndicaux où certains semblaient figés dans l’immobilisme et le refus de toute évolution de l’Ecole. Comment faire entrer l’ENT, qui suppose une école ouverte aux parents et au monde, dans des collèges où les partisans de la sanctuarisation s’affichent ? Comment former les élèves à la société de l’information quand dominent les peurs et les réticences du coté des parents ?
Enfin, reste l’Etat. C’était le grand absent de ces Rencontres. Ni le recteur, ni l’inspecteur d’académie ne participaient à cette journée qui interpellait nettement l’action gouvernementale. A coup sûr, Claude Bartolone et son équipe, particulièrement Mathieu Hanotin, vice-président du conseil général chargé de l’éducation, sont déterminés. Ils ont des ambitions et un projet pour leur département. On leur souhaite bon courage.
François Jarraud
Sur la réforme de la loi sur les collectivités territoriales :
La Gazette des communes
http://infos.lagazettedescommunes.com/1689/regions-et-departements[…]
Le site gouvernemental
http://www.reformedescollectiviteslocales.fr/les_travaux/?lang=fr&mode[…]
L’avis de l’Assemblée des départements de France