Par Jeanne-Claire Fumet
Gageure impossible ou saine adaptation ? La réforme de l’enseignement de la philosophie scolaire, compte tenu de la réalité des publics scolaires, est l’objet de toutes les attentes et de toutes les appréhensions. Démocratiser veut-il dire aplanir jusqu’à la dénaturation ce singulier apanage du patrimoine scolaire français ? Mais qu’en advient-il quand la réduction des horaires et le décalage culturel conduisent à louvoyer entre bachotage et simplification outrée ? Un article d’Hervé Boillot, sur le site du GRDS-démocratisation scolaire, fait le point sur l’histoire des blocages et des empêchements qui jalonnent l’histoire de la philosophie scolaire.
On ôte ses sandales, quand on approche le buisson ardent de la réforme de l’enseignement de la philosophie scolaire. En témoigne l’historique de la discipline, telle que l’évoque Hervé Boillot : les brûlots se succèdent, les anathèmes flambent mais rien ne se consume. Et la sacralité du lieu maintient les acteurs de terrain dans une difficulté accrue. Il est presque insoutenable, culturellement, de prôner une modification du programme et des pratiques. L’ACIREPH (Association pour la création des Instituts de recherche sur l’enseignement de la philosophie) s’y emploie depuis plusieurs années, mais la réticence du corps des professeurs reste marquée et s’appuie, paradoxalement, sur de fortes raisons fondées dans la nature même de la discipline.
Nature… ou histoire ? Comme un bon vieux sujet de dissertation, la question se pose comme devant toute affirmation naturaliste, d’une historicité des normes et des principes qui déterminent ces résistances. Car l’idéal de former des sujets « capables de penser par eux-mêmes », pour noble et philosophique qu’il soit, ne peut se dédouaner à bon compte de son inscription dans un cadre social et institutionnel donné, qui évolue et s’adapte au fil du temps, ce qu’oublie volontiers le corps des professeurs, comme le rappelle Hervé Boillot. Les qualités requises pour exceller traditionnellement dans la discipline ne sont plus aussi pertinentes quand l’objectif de l’institution est d’augmenter le niveau général de scolarisation plutôt que de sélectionner une mince élite sociale. Les enseignants de philosophie doivent se résoudre à faire le deuil de l’élève « doué » et concéder un effort de pédagogie, pour répondre à la demande sociale de formation de tous.
Il n’en demeure pas moins que les réunions des correcteurs du bac, chaque année, voient s’exprimer un réel désarroi et une incertitude accrue dans le souci d’évaluer les élèves avec justesse, tant les attendus des exercices (élaboration conceptuelle, continuité logique, analyse critique, maîtrise élémentaire des références étudiées en cours) semblent éloignés de beaucoup de copies réalisées. Il n’est pourtant guère plausible de condamner tout uniment le travail des professeurs et celui des élèves : force est de convenir qu’une grande part des efforts consentis de part et d’autre ne parvient pas à porter ses fruits. La plupart des enseignants reconnaît volontiers l’urgence de modifier un cadre de travail inadapté au contexte actuel. Le hiatus maintenu entre le programme officiel, la définition des missions scolaires du secondaire et le type de compétences développé par les élèves, devient plus ingérable au gré des réformes générales du système scolaire – sans que rien ne bouge.
Des propositions simples sont pourtant évoquées, de manière régulière, sans être suivies d’effet : un programme de questions, qui délimiterait de manière réalisable le champ d’étude prévu pour l’année, au lieu d’un programme de notions ouvert sur l’infini ; une modification des épreuves, en particulier pour les sections technologiques, qui pourraient comporter des questions plus précises et délimitées ; un renouvellement annuel ou pluriannuel des thèmes, pour engager à réfléchir sur les mutations du monde actuel. Mais le spectre du QCM (questionnaire à choix multiples), de l’endoctrinement ou du débat d’opinions ont tôt fait, à chaque tentative, de ruiner ces propositions à peine formulées. Hervé Boillot rappelle ainsi les objections et les oppositions violentes qui ont scandé les tentatives de réforme.
Il faudra bien pourtant en venir un jour à résoudre cette scission qui malmène élèves et enseignants dans le quotidien de leurs classes. Les avancées de formes alternatives de pratiques philosophiques, pas toujours très heureuses, mais qui ont le mérite de chercher à vivifier le partage de l’activité de réflexion, le développement des lieux de discussions hors cadre (cafés, universités populaires, associations philosophiques), engagent la philosophie scolaire à redéfinir son domaine propre de discipline rigoureuse et exigeante, mais cependant accessible aux populations scolaires.
Lire l’article d’Hervé Boillot sur le site Démocratisation scolaire :
http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article182
Voir aussi notre article sur ce thème :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/lettres/philosophie/Pages/2013/140_1.aspx
Sur le site du Café
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