« Je suis la ministre des 12,3 millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens. Je serai tout particulièrement celle, aux côtés des équipes pédagogiques et éducatives, des 20% d’élèves en grande difficulté dès la fin de l’école élémentaire et de tous ceux qui subissent le poids des déterminismes sociaux ». Les propos de N. Vallaud-Belkacem, le 28 novembre, sont particulièrement forts. Depuis, la crise des « sorties de Zep », le devenir des écoles, collèges et lycées qui ne sont pas intégrés à la nouvelle carte de l’éducation prioritaire, a rendu plus urgentes des précisions sur ce point. La ministre devrait communiquer sur ce point mercredi. Elle parle le 16 au soir sur TF1.
« Je veux mobiliser la Nation autour d’une priorité : plus d’égalité pour la jeunesse. Je veux faire de la politique éducative une politique publique au service de l’égalité et de la solidarité ». S’exprimant au Salon de l’éducation, le 28 novembre, N Vallaud-Belkacem a affirmé avec force des choix éducatifs clairs et volontaires. » En réformant notre système d’allocation des moyens, nous prendrons désormais en compte les réalités de chaque établissement et mettrons fin aux effets de seuil qui les inquiètent. L’alternative ne sera plus être ou ne pas être en éducation prioritaire. A côté de ces réseaux où nous concentrons 350 millions d’euros supplémentaires, nous veillerons à ce que chaque établissement se voie doté le plus finement et le plus justement possible des moyens adaptés aux freins sociaux constatés ».
Le précédent Peillon
N. Vallaud-Belkacem travaille sur cette idée depuis son arrivée rue de Grenelle. Mais l’idée a été portée déjà par Vincent Peillon. Le 4 décembre 2013, lors d’un débat avec Philippe Meirieu sur France Inter, le ministre annonce les choses. » Je vais affecter les moyens aux établissements en fonction de leur indice de mixité sociale et scolaire », annonce V. Peillon. Il confirme lier la refonte de l’éducation prioritaire à la mise en place d’un nouvel indice qui permettrait d’affecter les moyens autrement. La question de la labellisation de l’éducation prioritaire avait fait débat lors ce la concertation nationale. La nouvelle mesure laisse déjà entendre que les sorties de l’éducation prioritaire pourraient être adoucies et graduelles.
V. Peillon ne s’en tient pas aux mots. Il tente de mettre en oeuvre cette politique en s’attaquant d’abord là où les écarts de moyens sont les plus forts : les classes préparatoires. On connait la suite. Une énorme mobilisation médiatique et politique se fait au bénéfice du maintien des privilèges des classes préparatoires et de leurs élèves déjà privilégiés. On connait la suite : V. Peillon est obligé de céder. Cette nouvelle politique conduit finalement à son remplacement. Quant au groupe de travail spécial chargé de la réforme de l’enseignement en classe préparatoire, il meurt en douceur et en silence. Le projet est enterré. Voilà qui devrait faire réfléchir la ministre.
Les propositions de N Vallaud-Belkacem
« J’ai décidé, à peine arrivée au ministère, de réformer le système de répartition des moyens d’enseignement entre les écoles et établissements scolaires », affirme la ministre le 28 novembre. Et le Café pédagogique sait qu’effectivement la question est en l’air déjà en septembre. La ministre a demandé à la Depp, la direction des études du ministère, de travailler à un indice permettant de jouer sur l’affectation des moyens.
Interrogée par le Café pédagogique fin novembre sur les inégalités entre établissements scolaires, la ministre confirme sa volonté de lutter contre les privilèges. « Vous constatez qu’en effet il y a des établissements où les avantages et les privilèges y compris non calculés comme l’expérience des enseignants se cumule. Et d’autres où les handicaps se cumulent. Il faut que nous rééquilibrions un peu mieux notre dotation aux établissements en fonction de cette réalité. On est en train de la mesurer et de la prendre en considération pas seulement dans el cadre de l’Education prioritaire mais plus généralement dans notre politique publique générale de répartition des moyens. Ca mettra fin aux effets de seuil que craignent els établissements qui sortent de la carte de l’éducation prioritaire ».
La crise des sorties de Zep accélère les choses
En décembre, la mise en place de la nouvelle carte de l’éducation prioritaire manifeste que le budget n’est plus extensible. Le nombre de réseaux d’éducation prioritaire reste stable à 1082 alors que deux nouveaux départements entrent dans les calculs. La nouvelle carte entraine donc des sorties importantes que les recteurs et le ministère doivent gérer. C’est sous cette pression que la ministre doit accélérer ses annonces. Au lieu de janvier, date initialement prévue, elle avance au 17 décembre la présentation des la nouvelle carte du prioritaire et des mesures d’affectation des moyens. Le 16 à 20 heures la ministre parle sur Tf1. Le 17 elle réunit un Comité technique ministériel exceptionnel pour exposer sa politique.
Un véritable défi lancé aux plus favorisés
S’attaquer ainsi aux inégalités à l’intérieur du système éducatif est un véritable défi. Les inégalités sont historiquement ancrées dans le système éducatif depuis es origines où coexistaient une double Ecole, celle des lycées pour les classes favorisées et du primaire et primaire supérieur pour les classes populaires. Le collège unique est encore contesté. L’idée de transférer des moyens des uns aux autres risque de mobiliser à coté des établissements sorties de zep les établissements les plus privilégiés.
Alors N Vallaud-Belkacem a pris les devants dès la fin novembre. « L’excellence et la justice ne sont en rien contradictoires. Bien au contraire. Plus la base de ceux qui réussissent est large et diverse, meilleure est l’élite. Encore faut-il que l’accès à cette élite ne soit pas verrouillé par des considérations sociales », dit-elle. Et elle rappelle l’enjeu républicain de sa réforme d’allocation des moyens. « Les chances de réussite pour les élèves défavorisés sont moins grandes en France qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE « , affirme-t-elle. « 96% des enfants issus d’un milieu très favorisé réussissent l’examen du diplôme national du brevet quant 75% des enfants issus d’un milieu défavorisé obtiennent ce diplôme. Un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’obtenir un baccalauréat général. Un enfant d’ouvrier et d’employé a deux fois moins de chances qu’un enfant de cadre d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Seul un redoublant de CP sur dix aura la chance d’obtenir un baccalauréat général ou technologique, comme si le destin scolaire s’écrivait à l’âge de six ans ». Mais, pour cruels que soient ces chiffres, pour s’attaquer vraiment cette situation là, il faudra à la ministre plus que du courage et de l’habileté. Elle aura aussi besoin de soutiens politiques puissants et constants.
François Jarraud
Peillon en 2013