Par François Jarraud
Mercredi 9 février, le ministère de l’éducation nationale organisait une journée « Tablettes numériques et usages pédagogiques ». Près de 200 personnes étaient réunies pour faire le point sur les promesses techniques des tablettes, celles des éditeurs et prendre connaissance des expérimentations lancées en France. Une occasion rare de confronter les points de vue des enseignants et des acteurs économiques et politiques. Une journée aussi pour comprendre la frénésie qui touche l’école dès que ces petits objets techniques apparaissent.
Un vrai frémissement. « On n’avait pas senti cela depuis l’apparition des calculatrice au milieu des années 1970. Il y a une véritable accélération des expérimentations sur le terrain ». Organisateur de la journée, Gilles Braun, expert auprès de la sous-direction du développement numérique du ministère de l’éducation nationale, peut se réjouir de son succès. En quelques jours près de 200 personnes se sont inscrites et ont participé à l’événement. Il s’agit de constructeurs, d’éditeurs, de représentants des collectivités locales et de cadres de l’éducation nationale en proportion à peu près égale. Pour Gilles Braun la journée répond au voeu du ministère de voir ces acteurs dialoguer, échanger sur leurs difficultés et sur les ressources. Les tablettes ont suscité des phénomènes particuliers : outre l’intérêt grandissant, le fait que les expérimentations viennent du terrain et qu’il y ait un véritable « renversement des disciplines ». Alors que les maths et les matières scientifiques ont été motrices de l’intégration des TIC, avec les tablettes ce sont les disciplines littéraires qui sont les plus actives.
Des industriels bien silencieux. De retour du Consumer Electronic Show de Las Vegas, Olivier Ezratty, un expert, a fait le point sur l’évolution récente des tablettes numériques. Le marché a explosé en 2010 où, en 8 mois, les tablettes ont atteint le niveau de vente des netbooks. Plus de 400 000 tablettes ont été vendues en France en 2010 dont 160 000 en décembre dernier ! Si Apple a tenu un moment seul le marché, d’autres constructeurs sont apparus : Samsung, Archos, etc. Aujourd’hui les tablettes sont de bons objets pour consommer et communiquer. Mais elles sont mal équipées pour créer. L’évolution technique tend à les doter de capacités de création, par exemple avec de nouveaux OS, de la connectique permettant de les relier aux objets usuels du monde informatique (clavier, TBI etc.). On attend aussi de gros progrès dans le domaine des écrans. Sur ces évolutions, les constructeurs et opérateurs, représentés par Acer, Toshiba, Tipad, Archos, Samsung, Orange et SFR, avaient peu de choses à partager. Sur l’évolution des systèmes d’exploitation, sur l’adaptation à l’univers scolaire, sur les usages, les constructeurs attendent beaucoup des usagers.
L’explosion des expérimentations. Pas moins de 6 expérimentations, la plupart lancées par des collectivités locales et toutes très récentes, ont été présentées. Dans les Hauts de Seine, Elie Allouche pilote le déploiement dans les CDI de 266 tablettes achetées par le Conseil général. Pour E Allouche, « elles n’ont pas entraîné des usages innovants mais des postures nouvelles : la tablette se prête bien au travail de groupe où les élèves se mettent autour de la tablette et non devant elle ». Dans l’académie de Grenoble, des lycées et collèges sont équipés depuis janvier 2011. Didier Anselm montre que 178 tablettes sont utilisées comme des classes mobiles ou prêtée s aux élèves. Didier Falgon représentait la ville du Puy-en-Velais qui a doté deux groupes scoalires de tablettes Samsung, dont une classe Clis. Elle servent à fabriquer des répertoires orthographiques personnalisés, à réaliser du calcul mental etc. Le département de la Corrèze, représneté par Bernard Roussely, a acheté plus de 3000 tablettes Apple qui équipent depuis la rentrée les collèges. Deux enseignants, Lionel Salvodelli et Jérome Antony, ont témoigné de l’accueil positif des enseignants et des points forts de la machine temps de démarrage ultra rapide, poids du cartable allégé, ergonomie… Par contre la machine discute difficilement avec l’ENT. Ce n’est pas le cas des tablettes et ultra-PC achetés par le Conseil général du Rhône pour doter 5 collèges. Pour Christophe Monnet l’interconnexion avec l’ENT La Classe est un grand point fort. L’équipe de La Classe réfléchit à de nouveaux usages comme la création d’une table intelligente qui encouragera le travail en équipe. A Créteil, François Villemonteix expérimente l’iPad depuis la rentrée 2010 avec une centaine d’élèves. Accueillies avec méfiance, les tablettes sont utilisées de façon très différente selon les établissements, parfois en usage individuel, parfois en collectif.
La tablette va-t-elle sauver l’école ? Certes si la journée a pu réunir autant de participants, c’est bien qu’il se passe quelque chose avec les tablettes. Et ce n’est pas un hasard si c’est une inspectrice générale de Lettres, Catherine Bizot, qui a clos la journée. « La technologie n’améliore rien », devait-elle rappeler. « Les expérimentations visent des objectifs bien différents. Personnaliser l’enseignement ici, utiliser la tablette pour un enseignement frontal avec un manuel numérique là ». Elle invite les expérimenteurs à bien faire la part du support, de l’organisation et de ce qui tient à une conception pédagogique. C’est donc avec prudence qu’il faudra suivre les expérimentations. En effet, la tablette a des avantages étonnants. Elle allège le cartable. Elle tient bien en de petites mains. Elle fonctionne immédiatement. C’est un objet prestigieux et recherché. Mais on pourrait tout aussi bien prétendre que c’est justement le fait que ce soit un outil de consultation, parfaitement réutilisable par l’enseignement traditionnel, qui explique son succès. L’avenir de la tablette et des espoirs pédagogiques mis dans cet instrument se jouera peut-être dans ses capacités à communiquer dans la classe et à encourager le travail de groupe. Deux nouvelles failles dans le monument scolaire qui n’en finit pas de se fissurer à la marge.
François Jarraud
Liens :
Le texte de JM Blanquer
http://www.educnet.education.fr/actualites/trois-questions-tablett[…]
Le blog du CDDP 92
http://www.cddp92.ac-versailles.fr/tablettes-numeriques/
CDDP 92 Guide des usages pédagogiques
http://blog.crdp-versailles.fr/mncddp92/public/guide_usag[…]
Le blog de Corrèze
L’expérimentation de l’académie de Grenoble
http://www.ac-grenoble.fr/tablettes/
Le blog de La Classe
http://classeultramobile.blogs.laclasse.com/
Les tablettes feront-elles table rase ?
Mercredi 9 février, le ministère réussissait à réunir près de 200 personnes, éditeurs, constructeurs, collectivités locales, cadres de l’éducation sur le thème des tablettes numériques dans l’éducation. Une mobilisation qui interroge.
Cette mobilisation est le reflet de la multiplication des initiatives prises sur le terrain. En quelques mois plusieurs départements, Corrèze en tête, ont acheté des tablettes pour leurs collèges. Dans uen académie des lycées ont été également dotés. Enfin des villes, comme Le Puy en Velay, équipent leurs écoles. Le nombre important de représentants des collectivités locales présents le 9 février donne à penser que la liste est loin d’être close. On pourra bien sur évoquer la proximité d’échéances électorales pour expliquer cette frénésie. Il n’empêche qu’elle a pris en quelques mois des proportions qui sont davantage à mettre en lien avec le succès commercial inattendu de ces engins. Un phénomène qui renvoie à des attentes anciennes envers l’Ecole.
D’abord celle de la lecture. Pour la première fois, comme le signale Gilles Braun, organisateur de l’événement, l’usage premier d’un outil informatique est la lecture de la presse ou de livres électronique. Les tablettes sont d’abord des « liseuses » avant d’être des terminaux vidéo. Alors que l’apprentissage de la lecture reste en France déterminant pour les inégalités scolaires, l’idée qu’un appareil prestigieux pourrait améliorer cet apprentissage en mobilisant les élèves peut toucher les municipalités ou les conseils généraux.
La tablette est aussi un outil personnel, un « compagnon » que l’on transporte avec soi partout. En ce sens elle correspond à l’autre tendance du système éducatif, celle de la personnalisation, d’une façon bien plus efficace que l’ordinateur portable. En même temps la tablette est aussi un bel outil social. A la différence de l’ordinateur , manipulé par un ou deux élèves abrités derrière son écran,la tablette devient un outil d etravail d’un groupe. Posé à plat sur la table il entraîne d’autres postures pour les enseignants et les élèves et a un rôle fédérateur.
Mais cet intérêt soudain et rapide est aussi le reflet des impasses éducatives. Sans doute attend-on trop des tablettes. Sans doute a-t-on envie , alors que le système éducatif s’appauvrit et se dégrade, d’inverser symboliquement la tendance et de réparer. Sans doute aussi jette-on dans les système un véritable miroir où se reflètent ses blocages et ses failles. Car la tablette encourage l’équipe qui est niée par l’organisation scolaire. Elle personnalise là où on massifie. Elle invite à communiquer là où il faut se taire. Elle est synonyme de plaisir et d’avenir là où on met en avant l’effort et la tradition. Elle reflète magnifiquement l’état de notre école qui est chaque jour davantage poussée en arrière par une pression politique parfaitement rétrograde et sommée de se moderniser et, pire, de se démocratiser par les nécessités économiques. Cruellement, la tablette numérique est aussi le symbole des promesses non tenues.
L’analyse de Jean-Michel Blanquer
« Il me semble que nous sommes à l’aube d’un mouvement semblable à celui qui, au milieu des années 1970, a vu la généralisation, dans le cartable de l’élève, des calculatrices … mais aujourd’hui on pourrait peut-être parler de « littératrices », si vous me permettez le néologisme ». JM BLanquer salue avec intérêt les expérimentations de tablettes numériques à l’école. Parmi les contraintes repérée spar le patron de la Dgesco, » La connexion à l’internet sur des matériels « personnels » pose aussi des questions : je suis très attentif à la protection de l’anonymat des utilisateurs et à la qualité des sites internet accessibles en milieu scolaire. Les questions de santé seront aussi étudiées très attentivement qu’il s’agisse de l’exposition aux ondes ou des problèmes oculaires et musculo-squelettiques liés à des usages prolongés et réguliers ».
La tribune
http://www.educnet.education.fr/actualites/trois-questions-tablet[…]
Sur le site du Café
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