Discours après discours, le ministre de l’éducation précise sa vision sur le téléphone portable. Les arguments sont en cours d’affutage : discernement en juillet, dispersion en octobre, écrans dangereux en décembre et « confinement » possible. Bref un ensemble d’arguments qui visent à justifier l’interdiction du téléphone portable. Cependant quelques nuances doivent être entendues dans le propos. Le ministre évoque explicitement (voir ci-dessous les verbatims) le besoin du téléphone portable pour des usages pédagogiques. En cela il montre bien qu’il différencie, pour l’instant les usages téléphoniques (au sens de l’article 511.5 du code de l’éducation) des autres usages. De plus il évoque le problème de santé des enfants de moins de sept ans face aux écrans, irait-on alors vers une interdiction de tous les écrans avant le CE1 ? Enfin il oublie les raisons initiales de l’interdiction portée dans la loi qui est aussi une raison de santé liée aux ondes radio électriques.
Employer le terme « téléphone portable » est évidemment une erreur, ou au moins une vision tronquée de ces machines. Cela n’a pas aujourd’hui le sens que cela avait lors des échanges qui ont amené à la loi actuelle suite au Grenelle de l’environnement. D’ailleurs les mots ont changé et l’on parle désormais de smartphone (le ministre le sait-il ?). En ne précisant pas cela, mais en parlant d’usages pédagogiques et de confinement, on sent bien que le problème est abordé avec prudence. Les enseignants de collège (voir de primaire) qui utilisent ces appareils et en particulier leurs fonctions informatiques et non pas téléphoniques peuvent envisager une loi plus souple. En effet comment le ministre pourrait-il parler de « confiance » et en même temps interdire une pratique qui prend souvent sens dans les classes. De plus on pressent que le ministre veut aussi rassurer les enseignants qui craindraient la « dispersion » de l’attention des élèves en leur donnant des moyens, à l’échelle de chaque établissement, d’infléchir le règlement intérieur. On imagine déjà les bagarres dans les instances des établissements (comme il y en a actuellement, nous en recevons déjà les témoignages).
Est-ce à dire qu’une loi-cadre amènera les personnels de direction des établissements à devoir prendre position en lieu et place d’une contrainte forte ? Au moment où le ministre parle d’autonomie et de liberté, on peut le penser. Ces personnels sont-ils prêts à affronter de telles tempêtes ? N’est-on pas en train de transférer au local une décision politique délicate et surtout très difficile voire impossible à mettre en œuvre (comme le souligne une fédération de parents) ? Le ministère semble bien en peine face à ces questions. Il n’a toujours pas donné de direction concernant le numérique dans le système éducatif. On le sait, un ministre ne doit pas ouvrir trop de fronts en même temps et il doit rassurer ce qu’il pense être son électorat. C’est pourquoi le propos sur les téléphones portable reste suffisamment flou et il faudra encore attendre les textes pour en mesurer la véritable portée.
Pour ce qui est des écrans, les choses se compliquent. S’il veut une école exemplaire pour les familles, il devra effectivement les interdire totalement à l’école, dès la maternelle. L’étude menée par l’académie des sciences avait été nuancée il y a quatre ans, en particulier sur les écrans des tablettes. Alors quelles autres études sont convoquées ? On connaît quelques chercheurs virulents sur la question qui peuvent être tentés de faire pression. Mais on connait aussi les pratiques éducatives familiales. Or il y a dans le domaine de vrais sujets d’inquiétude. La question n’est pas écran ou pas, la question est celle des « conditions de possibilité d’une éducation » dans nombre de familles, en particulier les plus défavorisées. Le ministre pourra-t-il interdire les écrans à la maison ? Alors s’il le fait à l’école, comment pourra-t-on aider les familles et les enfants à accéder au fameux « discernement » ? Car les enseignants des écoles maternelles et élémentaires nous le rapportent souvent : les familles sont parfois très démunies et l’école est un recours éducatif qui leur permet de mieux comprendre leur responsabilité éducative. Si l’interdiction avant 7 ans se confirme dans les écoles, il est probable qu’on abandonnera les familles à elles-mêmes mais aussi aux marchands qui tous ont préparé leurs plans pour aborder cette population comme le montre les projets KIDS de certain GAFAM.
Finalement c’est un ministre encore bien incertain qui parle. Après les paroles, attendons les écrits, et peut-être une vraie concertation…
Bruno Devauchelle
Rappel sur les prises de paroles du ministre :
– C’est en juillet 2017 qu’il déclare : »Au sujet du numérique, la question de notre temps c’est comment un monde de plus en plus technologique peut être quand même un monde de plus en plus humain. Il faut que nous mettions les enfants en position de se poser cette question, d’avoir du recul par rapport à la technologie et d’en faire le meilleur usage. » Il poursuit plus loin « Apprendre à vivre, c’est en fait avoir du recul, savoir mettre en perspective. Concernant le numérique, le plus important, c’est le discernement. Nous savons aujourd’hui que les écrans provoquent des dégâts cérébraux quand on en abuse de 0 à 6 ans. Pendant les premières années de leur vie, il y a une nécessité à ce que les enfants soient peu en contact avec les écrans. Mais il y peut y avoir des programmes pertinents, pour lutter contre certaines dyspraxies, ou des programmes pour l’entrée dans la lecture, l’écriture ou le calcul. Il ne faut pas interdire tout écran, il faut canaliser les usages. »
– Ensuite il évoque la question en octobre 2017 de cette manière : L’usage des téléphones portables est interdit en classe. Avec les principaux, les professeurs et les parents, nous devons trouver le moyen de protéger nos élèves de la dispersion occasionnée par les écrans et les téléphones ».
– Enfin dans un entretien dans le cadre du grand jury RTL, LCI, Le Figaro du 10 décembre 2017, il déclare « Parfois vous pouvez avoir besoin du téléphone portable pour des usages pédagogiques (…) pour des situations d’urgence, donc il faut qu’ils soient en quelque sorte confinés », il veut faire passer un « message de santé publique qui concerne les familles », il est « bon » que les enfants « ne soient pas devant trop, voire pas du tout, devant les écrans avant l’âge de sept ans ».
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