Par François Jarraud
Les Sages ont rendu leur projet. Ils le justifient par le désir de rééquilibrer les institutions, de renforcer le Parlement et d’augmenter les droits des citoyens. Mais si le projet ne visait en fait qu’à renforcer ceux du président ? A vous de juger…
La réforme de la constitution constitue un thème intéressant pour l’éducation civique. « La constitution est déséquilibrée dans la mesure où les attributions du Président de la République s’exercent sans contrepouvoirs suffisants et sans que la responsabilité politique de celui que les Français ont élu pour décider de la politique de la nation puisse être engagée. Il s’en déduit que le rééquilibrage des institutions passe d’abord, dans le cadre du régime tel qu’il fonctionne aujourd’hui, par un accroissement des attributions et du rôle du Parlement… Telle a été la première constatation du Comité. La deuxième est relative à la nécessité, apparue du fait de la survenance des expériences dites de « cohabitation », de clarifier les attributions respectives du Président de la République et du Premier ministre… Troisième constatation du Comité : les institutions de la Ve République ne reconnaissent pas aux citoyens des droits suffisants ni suffisamment garantis ». Selon le « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions », qui a remis son rapport le 30 octobre, ces trois objectifs orientent le projet de réforme de la constitution. Qui ne serait d’ailleurs d’accord avec ce constat ?
Ces objectifs se retrouvent-ils dans le projet ? S’agissant du président de la République, l’article 16, unique parmi les démocraties, qui autorise le président, quand il le souhaite, à se comporter en dictateur resterait en place, il serait simplement soumis à un contrôle parlementaire au bout de 30 jours (si le parlement existe encore au bout de 30 jours de dictature incontrôlée…). L’état de siège ferait également l’objet d’un vote au bout de 12 jours. Les autres articles projetés renforcent considérablement les pouvoirs du président de la République. Celui-ci « définit la politique de la nation », ce qui est le rôle actuel du premier ministre, tout en restant, à la différence de celui-ci, irresponsable. Le président s’exprimerait comme il le veut devant l’Assemblée dans les mêmes conditions d’irresponsabilité. Le calendrier électoral resterait soumis à l’objectif d’obtenir une majorité présidentielle (élections législatives au moment du second tour des présidentielles). Ajoutons que la Commission a aussi pensé à augmenter très concrètement les moyens d’action matériels de l’Elysée en le dotant d’un véritable budget.
Les pouvoirs du parlement seraient-ils réellement renforcés ? Certes l’article 49.3 qui permet d’adopter une loi sans qu’elle soit votée serait limité aux lois de finances, ce qui constitue un recul sensible pour le pouvoir exécutif. Certes les assemblées auraient davantage de liberté dans la fixation de leur ordre du jour. Mais parallèlement elles verraient leur droit de débattre limité : réduction automatique du droit d’amendement, limitation de la durée des débats, et même, cela ne s’est pas vu depuis Napoléon III, vote sans débats, ceux-ci étant réservés aux commissions.
Le troisième objectif, renforcer les droits des citoyens, occupe 26 pages dans un rapport de 96 pages. La Commission prévoit l’amorce d’un référendum d’initiative populaire sous contrôle parlementaire mais augmente aussi les pouvoirs référendaires du président en cas de désaccord entre les assemblées. Le Conseil supérieur de la magistrature ne serait plus présidé par le chef de l’Etat mais par une personnalité nommée par lui. Le projet prévoit la création d’un « Défenseur des droits fondamentaux » à rôle strictement consultatif. Enfin l’article 34 serait modifié pour permettre une application rétroactive de la loi, une mesure curieuse qui n’a comme précédent que Vichy.
Dans Le Monde, Didier Maus demande un renforcement des pouvoirs du gouvernement. » Une extension démesurée, de droit ou de fait, du rôle du président de la République débouche sur un véritable enjeu de démocratie. Le Parlement ne peut remplir son office de représentant de la volonté générale que s’il rencontre en face de lui un gouvernement disposant d’une réelle liberté d’action…Le renforcement de l’influence de l’Assemblée nationale et du Sénat exige un renforcement simultané de l’autonomie politique du gouvernement, donc une mise en retrait, au moins, par les affaires ordinaires, du président de la République… Que le président de la République, compte tenu de son mode d’élection et de la brièveté de son mandat, éprouve le besoin d’exposer devant le Parlement, c’est-à-dire les deux assemblées réunies, son « Rapport sur l’état de la France » peut se justifier, à condition toutefois que cette descente du président dans l’arène parlementaire permette aux députés et aux sénateurs de réagir et d’exprimer leurs opinions. Une déclaration unilatérale sans débat déboucherait, un jour ou l’autre, sur une formule inspirée de l' »Adresse en réponse au discours du Trône ».
La constitution a souvent été réformée : 15 fois durant les 12 dernières années. C’est que souvent les modifications envisagées ne touchaient pas à l’équilibre démocratique. Le projet de la Commission accentue nettement la présidentialisation du régime. On peut se demander si le projet ne revient pas à tailler une constitution sur mesure et sur l’instant au nouveau président. De Gaulle avait attendu 4 ans après 1958 pour proposer par référendum une modification de la loi fondamentale. Il n’avait pas pensé à solliciter une augmentation de 140% de son salaire…
Le rapport
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/07[…]
Tribune de D. Maus
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-972716,0.html