Le Projet de Loi n’était même pas encore voté (1) que début mars le Ministère sortait — diffusait à l’interne — une nouvelle maquette de concours PE qui réduisait à la portion congrue, voire à néant pour certains champs disciplinaires, les volets didactique et pédagogique des épreuves, lesquels avaient été déjà largement réduits par la précédente réforme … qui ne date pourtant que de la session 2002-03. L’on se demande d’ailleurs ce qui peut bien nécessiter déjà une réforme de la réforme de ce concours.
En l’espace d’un mois, un certain nombre de modifications de ce futur texte officiel sont déjà apparues(2), on peut penser suite aux efforts de tel ou tel groupe de pression, heureusement de nature à rendre l’ensemble un peu plus cohérent(3).
On notera au passage que l’EPS a obtenu, elle, le rétablissement de quelque chose qui ressemble à un volet didactique et pédagogique.
Mais – car il y a un mais – pas les langues vivantes.
Pour elles, c’est « En arrière toute », pour reprendre le titre d’un édito du CRAP (19 nov 2004, à propos du Projet de Loi, par Pierre MADIOT)
Seule épreuve désormais à ne relever que de la seule performance individuelle dans son domaine (et pas n’importe lequel, une langue étrangère), de surcroît affectée du coefficient 1 seulement – autant dire qu’il sera tout à fait possible de réussir le concours PE avec un résultat navrant à cette épreuve, et de se retrouver directement sur le terrain (par le biais de la liste complémentaire) l’année suivante à devoir assurer cet enseignement.
D’autant plus « en arrière toute » que l’épreuve représente un revirement total par rapport à l’actuelle (qui ne date que de 2002-03, et basée, elle, sur « un document sonore ou audiovisuel authentique »), et un retour en arrière à même avant le début des IUFM – une épreuve digne des années 70, au mieux : à partir d’ « un texte d’une vingtaine de lignes », dont le candidat devra lire une partie à haute voix, en rendre compte à l’oral au jury avec lequel s’engagera ensuite un échange. Un « texte » ! Même pas un document iconographique. Plus de document audio ou audio-visuel – incohérence majeure avec les nouveaux programmes de langue pour les lycées et ceux, actuellement en consultation, pour le collège – incohérence surtout avec les pratiques pédagogiques que ces PE devront mettre en oeuvre dans les classes de primaire.
Et bien sûr, c’est la seule épreuve désormais qui ne présente pas de partie didactique …! Elle vient à nouveau renforcer l’idée, toujours si difficile à éradiquer, qu’il suffit de parler une langue pour l’enseigner : « Quel est le présupposé théorique qui justifie que la maîtrise d’une langue soit suffisante pour l’enseigner ? » (4)
Le Ministère n’en est visiblement plus à une contradiction près, pour aller vite, pour afficher une politique volontariste en matière de langues : « Orientation de l’enseignement vers la pratique de l’oral (compréhension et expression) en mobilisant les plans de formation et l’accompagnement pédagogique des corps d’inspection, et en utilisant les équipements multimédias existant dans les établissements » (Lettre Flash du 22 avril, rubrique Langues Vivantes)
Enfin, cette épreuve révèle la piètre idée que se font nos gouvernants de ce dont peuvent être capables en langue tous les étudiants licenciés de France – n’est-ce pas là une reconnaissance des effets désastreux d’une très longue absence de pratiques audio-orales, dans le supérieur, et aussi en lycée(5) ?
Seule une volonté de massification rapide, un effet d’affichage, peut avoir présidé à une telle définition d’épreuve.
L’épreuve (d’admission) obligatoire de langue (dans le projet d’arrêté du 11 avril (6)), c’est l’entretien d’embauche d’un employeur qui ne vérifie pas exactement les compétences de l’employé qu’il s’apprête à recruter par rapport au travail qu’il va lui donner à faire.
Ce que fait l’épreuve actuelle – laquelle s’inscrit tout à fait dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. Pourquoi en changer ?
Certes, désormais, une langue vivante est obligatoire au concours …
Mais ce n’est pas en recrutant sur cette base les PE français, pour plus de 40 ans et massivement ces années-ci pour cause de départs à la retraite, comme on le sait, qu’on va relever le niveau des élèves français en langues pour la prochaine enquête PISA … Quant aux professeurs de langue de collège, rien là qui puisse les obliger à intégrer les premiers apprentissages réalisés en cycle 3 – au contraire, ils auront enfin de vrais arguments pour dire qu’il ne se fait rien de bien en langues en primaire, et qu’il leur faut tout reprendre à zéro …
Jeanny Prat
1 cf la Lettre Flash du 22 avril 2005
2 vote = 24 mars
3 nouvelle mouture du 11 avril
4 il n’y aura plus à choisir par exemple entre musique, arts visuels, philo, socio, et littérature de jeunesse … au grand soulagement des enseignants-chercheurs et formateurs en sciences humaines et sociales en IUFM
5 « à des adolescents des degrés secondaires », terminait Pierre DOMINICE en 1992 – mais il n’est pas d’âge cible pour ce genre de présupposé (« Savoir comment faire », in Vers une nouvelle culture pédagogique. Chemins de praticiens, sous la direction de Jean HASSENFORDER, INRP/L’Harmattan)
6 épreuves massivement à l’écrit au Bac depuis 1995, soit 10 ans – or c’était l’inverse dans les 10 années précédentes, de 1984-85 à 1995, justement …
7 qui vient hélas, de paraître tel quel au JO du 14 mai en dépit des réactions d’alerte des formateurs IUFM en langues en direction qui de Recteurs, qui d’IA-IPR de langues …