« Le pire s’est produit ». Le sociologue François Dubet réagit, à la demande du Café, sur l’échec de la réforme du lycée. Un échec définitif ?
A bien y réfléchir, il n’y a pas à se réjouir du fait que Xavier Darcos ait dû battre la retraite de la réforme des lycées. Même si cette réforme n’était pas parfaite, son rejet ne porte guère d’espoirs. Le refus des réformes alliant, aujourd’hui comme hier, les sentiments d’inquiétude profonde de la jeunesse, le conservatisme à courte vue des corporations enseignantes et le radicalisme idéologique de ceux qui ne veulent rien changer aujourd’hui pour tout changer après demain, ne laisse rien espérer de bien positif pour l’école. En revanche, des réformes bien plus discutables sont passées sans trop de difficultés, comme si le pire était toujours certain.
La réforme de l’école élémentaire est une mauvaise réforme vendue au prix fort puisque les professeurs des écoles y gagnent un allégement considérable de leur temps de travail. On enseignera à peine plus de 140 jours par an afin de caler le calendrier scolaire sur le rythme de travail et de loisir des classes moyennes aisées. Les journées des élèves seront encore plus lourdes et la plupart des enfants passeront une partie de leur vie dans les centres aérés et les structures d’accueil municipales pendant que leurs parents travaillent. Il faut être bien ignorant de la chose scolaire pour penser que les élèves étiquetés faibles et qui feront du soutien entre midi et quatorze heures en profiteront vraiment et se débarrasseront un jour de leur étiquette « d’élève en difficulté ». De manière générale, l’école a choisi d’externaliser ses difficultés et de les sous-traiter aux communes et aux associations alors que son « honneur » était de garder les élèves ensemble le plus longtemps possible. Ajoutons que le gouvernement fait peser sur ces politiques un climat détestable en évoquant sans cesse une sorte de criminalisation de l’enfance et, il faut bien le dire, de l’enfance pauvre dont il faudrait dépister précocement les conduites « antisociales » sans d’ailleurs dire ce que l’on en fera. Cette réforme est une régression d’autant plus dangereuse qu’elle opère comme un cliquet : qui osera demain toucher au calendrier scolaire sans mettre en cause « l’avantage acquis » de travailler moins tout en se défaisant des élèves les plus difficiles ? [1]
Personne n’était prêt à mourir pour les IUFM tels qu’ils sont. Mais leur suppression ne réglera pas le problème de la formation des enseignants même si les IUFM l’ont mal résolu. Le transfert de la formation vers les universités renforcera les logiques académiques et disciplinaires parce que c’est cela que l’université sait faire le mieux, pendant que la formation en stage sur le terrain sera nécessairement dominée par la reproduction de ce qui se fait déjà et dont on dit que ce n’est guère efficace. Au fond, chacun a accepté cette disparition en échange d’un recrutement à bac plus cinq, ce qui est une manière de revaloriser les indices, mais pas la profession et moins encore le métier d’enseignant. On peut aussi se demander ce que feront demain les titulaires d’un master d’enseignement et qui auront échoué aux concours. Ils seront mieux définis pas leur échec aux concours que par l’acquisition d’un diplôme.
La réforme des lycées était sans doute la meilleure ou la moins mauvaise des initiatives de Xavier Darcos. Elle s’efforçait de casser les filières qui créent des sections trop rigides et des bacs à plusieurs vitesses. Elle s’efforçait aussi de donner un peu d’autonomie aux lycéens dans la construction de leur cursus. Mais chaque filière et chaque discipline se sont senties menacées. Il ne semblait guère acceptable que les élèves puissent choisir une part de leur formation et, quoi qu’on en dise, on a préféré maintenir un système profondément injuste et guère efficace. Il est vrai qu’il est difficile de convaincre le monde enseignant quand, au même moment, on ne parle que de suppressions de postes et de restriction des moyens.
Au fond, le pire s’est produit. Les réformes les plus conservatrices et les plus autoritaires sont passées au prix de quelques cadeaux et de quelques résistances, pendant que la réforme la plus innovante est tuée dans l’œuf. On pourra toujours accuser le ministre qui aurait pu être plus adroit, plus conciliant ou plus ferme… Mais on sait aussi que ses prédécesseurs n’ont pas toujours fait mieux et que l’éducation nationale est profondément paralysée. Il y a quelque chose de tragique dans cette histoire, c’est de voir un système, bien plus que tel ou tel de ses acteurs, travailler obstinément à son propre affaiblissement.
François Dubet
Dernier ouvrage de F. Dubet :
F. Dubet, Faits d’école, EHESS, 2008.
Analyse dans le Café :
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Derniers articles de François Dubet dans le Café : « Le thème de la culture commune procède d’une volonté d’égalité relative »
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La violence
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[1] IL faut rendre hommage à Jack Lang qui est une des rares hommes politiques à s’être opposé à cette réforme quand les autres se bornaient à dénoncer l’absence de moyens. Ce qui, en général, ne coûte rien.
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