L’événement de ce mois c’est bien sûr la publication des deux enquêtes internationales Pirls et Pisa. Toutes deux, on le sait, aboutissent à des résultats qui ne sont pas flatteur pour le système éducatif français. Pirls, qui mesure les compétences en lecture des enfants en fin de primaire, montre que la France piétine en ce domaine. Elle a à peu près gardé son rang depuis la précédente enquête de 2001 : elle est 19ème (18ème en 2001) sur 35 pays. Pas de quoi pavoiser puisque ses résultats sont inférieurs à ceux de la Russie, du Canada, des Etats-Unis, de l’Italie, l’Allemagne ou l’Angleterre. En Europe ils sont supérieurs à ceux de l’Espagne, la Pologne ou la Roumanie
Les résultats de Pisa sont plus inquiétants puisque les jeunes français se situent un peu en-dessous de la moyenne avec 495 points. La France qui était 10ème en 2003 descend au 17ème rang, si l’on compare les mêmes pays en 2003 et 2006. Sept pays passent devant la France : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Hongrie, la Suède, la Pologne et le Danemark. C’est dire que la France a des résultats globalement inférieurs à ceux des autres pays européens. C’est la troisième baisse depuis 2000 et cela devrait légitimement alarmer sérieusement les responsables du système éducatif et tout simplement les citoyens. Or, pour le moment, le bruit fait autour de ces résultats, s’il est supérieur à l’omerta de 2003, n’est certainement pas à la hauteur de l’événement. Depuis la publication des résultats, on a pu observer la gamme des postures habituelles.
Certains ont décidé de minimiser Pisa. Il est vrai que cette enquête internationale prétend comparer avec les mêmes items des systèmes éducatifs qui ont une histoire et des fonctionnements différents, et certainement des façons d’étudier les sciences différentes. Pisa est un outil normatif puissant. Pisa a encore deux défauts aux yeux de certains. Pisa compare systématiquement les résultats aux investissements. Dans le climat de réduction budgétaire, tout résultat insuffisant peut être utilisé pour accélérer le désengagement public et cela fait évidemment peur. Mais, pire encore, ces résultats sont publiés et font pénétrer l’usager et ses exigences au cœur des problèmes de l’Ecole ce qu’il est très difficile d’accepter dans l’école française.
D’autres n’ont pas attendu les résultats pour dénoncer le pédagogisme et le laxisme généralisé et proposer de revenir aux vieilles méthodes. Cette attitude ne s’appuie sur aucune analyse des résultats de l’enquête. Bien au contraire Pisa démontre, par exemple, qu’il n’y a pas de lien automatique entre le volume d’heures d’enseignement en sciences ou en langue nationale et les résultats. On voit mal comment le retour à des méthodes qui donnaient des résultats pires encore pourrait améliorer les choses. Tout au plus » nous ferait(-il) oublier les progrès que nos équipes éducatives font réaliser chaque jour à des millions d’enfants » comme le remarque X. Darcos. En fait on a là une des déclinaisons (ce n’est pas la seule !) du célèbre jeu de la patate chaude. Le Café ne jouera pas ce jeu non plus.
La position du ministre est singulière. Alors qu’en 2003 l’éducation nationale avait minimisé la portée de Pisa, les services de la Depp (Division des enquêtes et de la prospective) sont assez inquiétants sur les résultats. Le ministre lui-même, dans sa conférence de presse du 11 décembre a tiré un excellent diagnostic, réaliste et sérieux, de l’événement. Evoquant un » un constat alarmant sur l’état de notre système scolaire », il a parlé d’un « tournant de son histoire… L’école a réussi le pari de la massification, elle doit désormais relever le défi de la qualification des publics scolaires ». On pourrait donc s’attendre à l’annonce d’une étude plus approfondie suivie d’un plan pour améliorer nos résultats (ce que l’Allemagne par exemple a réussi à faire de 2003 à 2006). Or le ministre n’a rien annoncé de nouveau. Il a rappelé ce qu’il avait lancé avant la publication de Pisa et Pirls et qui est sensé remédier au problème. On a du mal à croire que les PPRE ou les deux heures libérées du samedi matin au primaire (dont personne ne sait trop que faire) sont des mesures adaptées. Le ministre a insisté sur le fait que les meilleurs systèmes sont les plus équitables. C’est dans les pays où l’écart entre faibles et forts est le plus étroit qu’il y a le plus d’élites produites et inversement les systèmes élitistes sont les moins « rentables » y compris pour les élites. Or le ministre défend la suppression de la carte scolaire sans que le filet social annoncé (la priorité aux boursiers) apparaisse comme efficace. On sait que les familles populaires, quand elles ont une liberté de choix d’établissement, l’utilisent beaucoup moins efficacement que les autres groupes sociaux car elles décryptent moins bien l’univers scolaire. La suppression de la carte scolaire devrait donc aggraver la ségrégation sociale dans l’Ecole. Si X. Darcos ne nie pas les enquêtes, il refuse, au moins pour le moment, d’aller y voir de plus près et d’agir.
Pourtant on sait d’où viennent les mauvais résultats français. Ils sont dus à l’augmentation du nombre d’élèves vraiment faibles. Et on sait aussi qu’ils concernent les enfants des familles défavorisés et particulièrement les jeunes issus de l’immigration. Si l’on veut que les résultats français s’améliorent et soient à la hauteur des efforts consentis, il faut mener une politique délibérée qui lutte contre la ségrégation. Cela passe sans doute par des politiques scolaires et particulièrement en faveur de l’enseignement prioritaire. Mais ces mauvais résultats sont sans doute aussi le résultat de la dégradation de la situation sociale générale dans le pays. Là, pas besoin d’enquêtes, les émeutes à répétition ont suffisamment démontré l’urgence du problème.
On ne s’en tirera certainement pas en ne menant qu’une meilleure politique scolaire. On n’améliorera pas la situation par la seule stigmatisation des voyous et le rappel de l’autorité. Ce que nous rappelle Pisa c’est la nécessité, pour l’avenir de ce pays, d’une politique sociale d’envergure et l’urgence d’une politique d’intégration capable de gommer les ghettos ethniques en construction. Le gouvernement œuvre-t-il en ce sens ?
Par François Jarraud