« Le travail des professeurs ne se limite pas au temps devant élèves. Il faut définir ces tâches pour sortir du blabla des 30 dernières années ». Vincent Peillon a présenté le 18 novembre ses propositions pour la réforme des métiers de l’enseignement. Mais comment mieux reconnaître ces métiers en période de basses eaux budgétaires ? C’est la difficulté que rencontre Vincent Peillon. Les premiers échos des discussions avec les syndicats parlent de décharge d’une heure accordée aux professeurs de l’éducation prioritaire et d’une modification des heures de première chaire et des majorations de BTS et CPGE. Mais le ministre touchera-t-il vraiment au système établi de pondération et de primes ?
Pourquoi réformer les métiers maintenant ?
Pour Vincent Peillon, le moment est venu de travailler sur la refonte du métier enseignant. Dans un entretien accordé au Café pédagogique, le ministre déclare que « la refondation suppose que les professeurs soient confortés dans leur mission ». Aussi la concertation tenue l’été dernier a déjà travaillé sur ce sujet. Et elle a déjà abouti à un protocole d’accord créant une prime de 400 € par an pour les professeurs des écoles, l’ISAE, ainsi qu’une amélioration de leur accès à la hors classe. Maintenant il s’agit d’aller plus loin que la revalorisation indiciaire. Dans les documents de travail que le Café s’est procuré, le ministère souligne que » les élèves ne sont plus les mêmes… Les enseignants et tous les personnels de l’éducation nationale intègrent depuis longtemps des pratiques professionnelles qui sont essentielles à la réussite éducative mais qui ne figurent pas dans les textes réglementaires : le travail en équipe, le lien avec les familles, la prise d’initiatives pédagogiques, le soutien aux projets éducatifs, le suivi personnalisé des élèves… L’un des objectifs des discussions qui s’ouvrent aujourd’hui est une meilleure identification des missions pour une meilleure reconnaissance des métiers. »
Quelles catégories sont concernées ?
La première catégorie d’enseignants visée par la réflexion ministérielle ce sont les directeurs d’école. Le ministre veut reconnaître leur rôle dans l’animation de l’équipe pédagogique. Il propose de dispenser les directeurs des ACP (activités pédagogiques complémentaires) à partir de 4 classes. Ils bénéficieraient également d’avantages pour leur mutation et leur avancement, d’une aide administrative renforcée et d’un guide juridique (une demande récurrente des directeurs).
Pour les Rased, une catégorie de personnel que la droite avait mise en extinction, le ministère s’engage à rétablir les formation à un niveau permettant leur renouvellement. Les maitres E seraient affectés près des écoles et les G en circonscription.
Les formateurs du primaire (PEMF) verraient leurs indemnités et décharges varier selon les activités : formation en Espe, tutorat, accueil de stagiaires. Le ministère envisage de créer un corps de formateurs dans le second degré formés et certifiés. Les conseillers pédagogiques seraient recentrés sur l’animation pédagogique et leurs indemnités réévaluées.
Pour les professeurs des écoles, le ministre envisage d’améliorer leur affectation et de prendre en compte la situation des P.E. affectés sur plusieurs écoles. Ces professeurs toucheront fin novembre, un mois avant la date limite fixée par le décret, le premier versement de l’ISAE.
Pour les enseignants du secondaire, le ministère veut distinguer les missions particulières des responsabilités que peuvent prendre certains enseignants. Il envisage « une valorisation particulière (par pondération) de certaines heures d’enseignement » en reprenant l’existant (classes préparatoires aux grandes écoles, sections de techniciens supérieurs, classes de première et de terminale). Il y ajouterait une pondération pour les professeurs de collège exerçant en éducation prioritaire en collège. Enfin une nouvelle rémunération pourrait voir le jour « sous forme indemnitaire pour l’exercice de responsabilités particulières ». Le ministre nous a déclaré que ce pourrait être coordinateur de niveau ou responsable de la liaison école collège par exemple. Enfin, des décharges pourraient être accordées pour « des missions lourdes nécessitant un temps de travail important » comme les formateurs académiques.
Quelle méthode ?
Le ministre va réunir 13 groupes de travail, un par corps : les formateurs du 1er et du 2nd degré et les enseignants du second degré le 22 novembre; les directeurs d’école le 25 novembre; puis les RASED, les conseillers pédagogiques, les professeurs des écoles le 26 novembre. En janvier seraient vu les CPE, chefs de travaux, personnels de direction; d’inspection personnels administratifs, de santé et enfin les contractuels.
Les discussions devraient aboutir en février à des propositions. Il sera alors temps de traduire ce travail en décisions effectives à la rentrée 2014.
Que sort-il des premiers échanges ?
Une première table ronde a eu lieu avec les syndicats avant la mise en place des groupes de travail. Selon certains le ministre aurait proposé une pondération de 10% pour chaque heure de cours en première et terminale avec un maximum de 1 HSA. En éducation prioritaire chaque heure serait majorée de 10% sans plafond. Enfin les heures de STS seraient payées 1,25h et celles de CPGE 1,5 h ce qui est proche du système actuel.
Pou rle Se-Unsa, l’ouverture de cette nouvelle réforme marque l’entrée dans » l’acte 2 de la Refondation. Le temps des personnels ». Pour le syndicat, » la Refondation ne prendra corps que si les personnels peuvent s’inscrire dans de nouvelles logiques où l’autonomie pédagogique, la capacité à innover, le travail en équipe, la transversalité et la continuité des apprentissages sont reconnus et largement encouragés. Il est temps d’en finir avec les rigidités qui sclérosent notre système éducatif depuis trop d’années, laissant de côté toujours trop d’élèves et accentuant la fracture scolaire. » Le Snuipp est plus critique. » Les cinq chantiers mis sur la table pour le premier degré par le ministre doivent déboucher sur des mesures significatives pour des enseignants en quête de reconnaissance et d’amélioration de leurs conditions d’exercice du métier, » écrit le Snuipp. » Le ministre doit donc faire des propositions sérieuses pour prendre en compte et reconnaître la réalité du métier d’enseignant du primaire ». Pour le Sgen Cfdt, cette négociation est » une occasion à ne pas manquer ». » Le Sgen-CFDT veillera à ce que l’on tienne compte, notamment, de la spécificité de l’éducation prioritaire. Il faudra aussi laisser des marges d’initiative aux académies et aux établissements pour valoriser les formes nouvelles de l’engagement professionnel, par exemple en matière de suivi individualisé des élèves, ou de relations avec des partenaires. »
Vincent Peillon soulève le couvercle d’une marmite dangereuse. On identifie de suite plusieurs facteurs de risques. Le premier concerne les pondérations actuelles: la tentation pourrait être forte de récupérer ici des moyens pour les affecter ailleurs. Il est impossible aujourd’hui de dire s’il y aura toilettage ou maintien. Un autre facteur ce sont la force des attentes. Elles sont très fortes dans la reconnaissance du travail en équipe, dans la demande de formation continue et sur les fins de carrière compte tenu des milliers d’enseignants qui finissent leur vie professionnelle dans une grande souffrance. Voilà des domaines où ses prédécesseurs ont échoué à avancer des solutions. A partir de quand les recrutements d’enseignants lui donneront elles des moyens pour y faire face ? Qui arrivera premier de la déception et des solutions ?
François Jarraud