L’historien Claude Lelièvre retrace ici l’histoire – récente – des subventions de l’Etat aux écoles privées sous contrat. « La loi ‘’Debré’’ de décembre 1959 a pour principe le ‘’contrat d’établissement’’ (qui implique par principe – et plus qu’’’en principe’’) des financements publics sous condition de contreparties et contrôles ad hoc. A ne pas oublier, en particulier en ce moment » écrit-il.
28 mars 1945, il y a 80 ans
Après un certain nombre d’entorses durant le régime de Vichy, on revient à ce qui avait été la règle en ce domaine sous la troisième République. La loi du 15 octobre 1940 et le décret du 22 février 1941 avaient étendu aux élèves des écoles privées le bénéfice de la caisse des écoles et celui des bourses. La loi du 6 janvier 1941 avait permis ensuite aux communes de participer aux frais d’équipement et de fonctionnement des écoles privées. L’épiscopat avait soutenu un projet de bon scolaire que chaque père de famille remettrait à l’école de son choix. Il fut accordé 400 millions, la loi du 2 novembre 1941 précisant qu’il s’agissait d’une « aide exceptionnelle adaptée aux circonstances », les préfets étant chargés de les répartir.
Tous ces dispositifs ont été supprimés le 28 mars 1945, il y a tout juste 80 ans. Et l’on revient à ce qui avait prévalu tout au long de la troisième République, même lors des périodes où il pouvait y avoir une majorité de parlementaires d’obédience catholique.
1921 : des financements publics refusés
On peut citer à cet égard le moment tout à fait significatif où une Chambre de députés à majorité ‘’bleu horizon’’ a refusé en 1921 un amendement permettant à des boursiers (pupilles de la Nation, nombreux après la guerre 14-18 ) de faire leurs études dans des écoles privées (cela étant considéré comme un soutien financier indirect des dits établissements privés).
L’abbé Lemire, l’un des députés vent debout contre cet amendement, a tenu alors des propos qui peuvent résonner encore maintenant : « Je n’admets pas que l’on mendie, sous une forme quelconque, l’argent de l’Etat, quand, librement, spontanément, on s’est placé en dehors de lui.|…]. Quand on veut être libre, il faut savoir être pauvre|…] Je suis de ceux qui sont tellement soucieux de la liberté qu’ils veulent la conserver complète, intacte. Je ne puis pas supporter sur ma liberté un contrôle quelconque. Or, si je demande de l’argent à l’Etat, demain il pourra me faire subir ce contrôle » (J.O. Débats parlementaires, Chambre des députés, séance du 11 décembre 1921).
Avant que l’on en vienne à la mise en place de la formule d’établissements privés sous contrat (par la loi Debré de décembre 1959) qui implique justement par principe (et en principe…) des financements publics avec contreparties et contrôles, il s’est développé à l’initiative de certaines organisations catholiques, la revendication de subventions publiques aux écoles privées sans autre forme de procès et avec quelques succès sous la Quatrième République (à l’instar de ce qui avait pu se passer sous le régime de Pétain).
1951 : la loi Marie et la loi Barangé, des aides pour les élèves des établissements privés
En mai 1945 se fonde à Angers le « Comité d’action pour la liberté scolaire » qui rayonne dans le département de l’Ouest. En 1948, Edouard Lizop fonde un « Secrétariat d’études pour la liberté de l’enseignement ». En 1951, une « Association parlementaire pour la liberté de l’enseignement » est créée. La Chambre des députés élue en juin 1951 comprend une large majorité favorable aux écoles libres : 315 députés ont adhéré à l’Association.
En septembre 1951, la loi Marie (du nom du ministre de l’Éducation nationale André Marie) admet les élèves des établissements privés au bénéfice des bourses de l’État ; et la loi Barangé octroie une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l’école primaire publique ou privée. L’importance historique de ces deux lois tient plus à la reconnaissance du principe de subventionner les écoles privées par des fonds publics qu’elles impliquent (sans contreparties) qu’aux effets financiers des dispositions prises.
Une opposition laïque
La protestation laïque est sans effet sur ces mesures. Mais elle aboutit au regroupement de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale), du SNI (Syndicat national des instituteurs), de la Ligue de l’enseignement et de la Fédération des parents d’élèves « Cornec » dans un comité permanent qui devient, dès 1953, le CNAL (Comité national d’action laïque) appelé à structurer tous les mouvements de « défense laïque ».
Il y a lieu de remarquer aussi un certain basculement de l’opinion à ce moment-là si l’on en croit les sondages. Alors qu’en 1946, 23% seulement des Français se déclaraient favorables à des subventions publiques aux établissements privés, en 1951, 45% d’entre eux se prononcent pour cette solution (42 % étant contre).
Lors des discussions précédant la loi ‘’Debré’’ de décembre 1959, le Premier ministre Michel Debré tient à préciser que « ni l’Eglise en tant que telle ni aucune association nationale ne peut être le partenaire du ministère de l’Education nationale ; la coopération des deux enseignements se fera à l’intérieur d’un service public pluraliste grâce à des contrats qui seront passés par l’Education nationale avec les établissements » (Michel Debré , « Mémoires III-Gouverner- 1958-1962 », Albin Michel, 1988, p. 112)
Mais il est caractéristique que nombre des dirigeants catholiques ne s’inscrivent pas dans cette ligne des « contrats », tant s’en faut. Et ils le font savoir. Edouard Lizop, qui anime le « Secrétariat d’études pour la liberté de l’enseignement » fait part au Premier ministre Michel Debré de l’objectif clair et instant de la plupart des responsables de l’enseignement privé : que l’État verse chaque année une somme à l’enseignement catholique considéré comme une entité, dont les dirigeants répartiront l’argent selon des critères qu’ils choisiront eux-mêmes.
Mais c’est précisément ce qui est refusé par Michel Debré, pleinement soutenu par le Président de la République Charles de Gaulle. La loi ‘’Debré’’ de décembre 1959 a pour principe le ‘’contrat d’établissement’’ (qui implique par principe – et plus qu’’’en principe’’) des financements publics sous condition de contreparties et contrôles ad hoc. A ne pas oublier, en particulier en ce moment.
Claude Lelièvre
Pour recevoir notre newsletter chaque jour, gratuitement, cliquez ici.
