Les Assises de la santé scolaire : le grand rabais de printemps ?
Le ministère a annoncé la tenue des Assises de la santé scolaire en avril 2025. Cette initiative intervient dans un contexte où la santé scolaire est dans un état préoccupant. Inflation des problématiques liées à la santé mentale des élèves, carence en personnels spécialisés, suivi insuffisant des élèves les plus vulnérables : l’école peine à assurer son rôle de prévention et d’accompagnement. Edmond Porra, secrétaire adjoint du syndicat des personnels du direction Snupden-FSU, demande si ces Assises de la santé scolaire ne sont pas un « grand rabais de printemps ».
Initialement prévues pour décembre 2024 dans un tempo opportun pour donner un semblant de sens au parcours para-médical d’une Anne Genetet égarée rue de Grenelle, ces Assises ont été reportées en raison de la censure gouvernementale, ce qui a conduit à une suspension temporaire des discussions. D’abord préparées dans la précipitation pour des impératifs de communication, il n’est pas certain pour autant que leur report ait été mis à profit pour un dimensionnement à la hauteur des enjeux.
Un parti pris désastreux: opposer moyens et transformations organisationnelles
Un infirmier scolaire pour 1 600 élèves, un psychologue EN pour 1 500 élèves, un assistant de service social pour 4000 élèves, un médecin scolaire pour 13 000 élèves : telle est la situation des ressources en personnels pour assurer la santé scolaire dans les établissements publics. A cette carence du système s’ajoute un déficit d’attractivité de ces métiers, avec la perspective d’une quasi-disparition des médecins scolaires.
Le gouvernement entend y répondre par une logique de « simplification » avec la création d’un « service de santé des élèves » regroupant médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues de l’Éducation nationale. Cette restructuration suscite des inquiétudes quant à une possible redéfinition des missions de ces professionnels, voire une modification de leur statut, ce qui pourrait impacter leur autonomie et l’efficacité de leur action sur le terrain. Un service fonctionnant à la « sollicitation » sur des secteurs d’établissements pourrait amener à sortir ces professionnels des établissements, et remplacer le suivi au long cours des élèves par un système d’interventions au ticket auprès d’un guichet de services à la demande : s’il était mis en œuvre, le projet serait donc d’institutionnaliser et de généraliser un état de fait de gestion de la pénurie. La départementalisation serait ainsi à l’ordre du jour : les personnels de ce service de santé des élèves se trouveraient soumis à l’autorité du médecin scolaire alors que la droite, majoritaire au Sénat, pousse au transfert de la médecine scolaire aux départements.
La Cour des comptes enfonce le clou de cette utopie managériale en préconisant un fusionnement des missions : les infirmières devraient ainsi pouvoir, par la vertu « d’une formation complémentaire » se traduisant par « un élargissement de leurs compétences », s’engager dans « des parcours plus diversifiés ». On suppose que ce modèle de flexibilité est voué à s’élargir aux autres intervenants de la santé scolaire. Fustigeant un prétendu cloisonnement des missions, ignorant apparemment que la collaboration est une réalité de terrain et que ce fonctionnement collectif est mis à mal par une politique désastreuse de non-remplacement et de suppression des postes, l’injonction à « travailler ensemble de manière coordonnée » défigure le travail collaboratif en interchangeabilité des acteurs.
Santé mentale des élèves : réparer par le bricolage
Il faut sans doute trouver habile ce déplacement de la question des moyens de l’organisation vers celle de l’organisation des moyens… Mais dès lors, comment combler le vide créé dans les établissements ?
Le protocole pour la santé mentale des élèves, « du repérage à la prise en charge » se présente assez bien comme la pièce complémentaire (ou la rustine) nécessaire à cette évolution vers un pilotage en mode décroissant.
Pour répondre aux besoins de suivi et de prise en charge dans les établissements, la solution envisagée par le ministère est en effet de promouvoir dans les établissements des équipes de « secouristes » en santé mentale. Imité du protocole pHARe, le dispositif consiste à former à cette fin deux personnels (enseignants et CPE). Lanceurs d’alertes, ces secouristes relaient ensuite les situations aux « équipes ressources » constituées par la service de santé scolaire.
La sensibilisation et la formation de tous sur le sujet sont importantes. La construction d’une synergie d’équipe au sein de l’établissement également. Mais un plan d’action à la hauteur ne peut pas se satisfaire d’une suppléance des ressources manquantes et d’un ersatz de collectif. La meilleure garantie pour la sécurité psychique des enfants que nous accueillons, c’est d’abord de renforcer les équipes éducatives par la présence des professionnels spécialisés et qualifiés, plus que de faire peser ces missions sur d’autres personnels. Cette substitution par glissement des compétences trahit l’absence d’une volonté politique de renforcement du service public de la santé scolaire. S’il se limite à apporter une solution « organisationnelle » au déficit des moyens, ce protocole ne répond qu’à la logique grossière du cache-misère.
Une conception réductrice de la santé scolaire
Ces solutions témoignent d’une représentation réductrice de la santé scolaire. La prégnance d’un schéma médico-centré conduit à une médicalisation a priori des problématiques et appauvrit la mission des acteurs de la santé scolaire, limités aux tâches d’auxiliaires ou de supplétifs de l’autorité médicale.
Mais la santé scolaire engage une perspective plus large et plus ambitieuse. Elle dépasse le modèle hygiéniste qui en réduit l’approche au traitement des pathologies. C’est sa visée éducative qu’il importe de reposer comme centrale. Porteuse d’une dimension émancipatrice et de construction de la personne dans le rapport à soi et aux autres, elle est un élément de plein droit du projet éducatif de l’école.
Comme telle, la santé scolaire repose sur un engagement collectif intégrant pleinement les professionnels de santé dans l’équipe pédagogique et éducative. Leur rôle, qui mériterait d’être renforcé et soutenu par une formation initiale et continue commune avec les autres acteurs éducatifs, s’inscrit dans une politique globale pour la réussite scolaire et la réduction des inégalités en santé.
L’éducation à la santé, la prévention et la protection des élèves doivent ainsi être pensées en lien avec leur environnement et leurs temps de vie, ce qui exige de maintenir ces professionnels au plus près des élèves. Cette approche, qui favorise la construction d’un genre professionnel partagé et d’une culture commune adaptée au milieu éducatif, est à l’opposé du modèle du « service de santé scolaire », incarnation technocratique d’une expertise hors sol qui vient dicter les « bonnes pratiques ».
L’absence d’une perspective politique globale
Le périmètre des discussions engagées par ces Assises risque bien de ne pas être pertinent, s’il s’attache à isoler une priorité de la santé scolaire, et à la séparer des questions de politique sociale, éducative et de santé publique.
Ainsi, peut-on séparer la question de la santé et du bien-être à l’école de la problématique des conditions et des environnements d’apprentissage ? Les questions proprement éducatives brillent par leur absence dans la réflexion sur le diagnostic et sur les solutions. Or une politique éducative qui génère une anxiété de la performance et qui renforce la pression scolaire ne peut que produire un terrain favorable à la phobie scolaire. La santé mentale des élèves ne peut que se dégrader avec un discours qui martèle les thèmes du niveau et du mérite et promeut une idéologie de la compétition et de la sélection dont le « choc des savoirs », le DNB réformé et Parcoursup sont les emblèmes.
De même, peut-on également faire abstraction des effets de la brutalité du climat social sur la santé mentale des élèves ? Il est clair que c’est en premier lieu l’insécurité des familles en difficulté sociale qui affecte négativement la santé mentale et la réussite scolaire. Que penser dans ces conditions d’une politique qui se complaît dans la dénonciation de l’assistanat et de la fraude aux prestations sociales, et qui creuse les vulnérabilités en dégradant les protections sociales et sanitaires ?
Il est certes bien plus commode de réduire la problématique dans les termes d’une perspective médico-centrée, abstraction faite des contextes sociaux, éducatifs et systémiques dans lesquels elles s’inscrivent. Mais on peut prévoir ce qu’a de contre-productif cette réduction de perspective qui vise en définitive à adapter aux conditions dégradées de l’expérience scolaire plus qu’à les transformer.
Peut-on enfin prétendre se préoccuper de la santé mentale des élèves avec un politique de santé publique qui laisse à l’abandon les structures de soin ? Tout ceci se réduit à un affichage de façade lorsqu’on détériore les conditions du service public de santé, quand on délaisse l’investissement dans les centres médico-psychologiques (CMP), médico-psycho-pédagogiques (CMPP), les Maisons des adolescents… pour se contenter de renvoyer vers les aléas du marché de la médecine et de la santé en libéral.
Défendre une autre ambition
Il est à craindre que ces Assises ne servent qu’à la promotion de projets délétères qui sont déjà dans les tiroirs par la fiction d’une émergence dans un consensus démocratique. La sur-représentation du politique au détriment des usagers et des personnels n’y est pas bon signe.
Construites sur des éléments de diagnostic biaisés qui sont l’expression du manque d’ampleur des ambitions, des perspectives réductrices et à courte vue, d’un parti-pris idéologique qui déconsidère les acteurs du service public, il est bien probable qu’il y ait en définitive plus à craindre qu’à espérer de leurs effets.
Si leur conception se limite à produire un train de mesures facilement médiatisables et à faire passer en force une politique au rabais sous les apparences tapageuses d’une concertation en forme de vain barnum de foire, nous risquons fort de manquer, au détriment de l’école, l’occasion d’une refonte ambitieuse.
Edmond Porra
(modifié 18/03/25, 14h41)
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