Depuis 1982, les directeurs d’école parisiens sont déchargés de classe pour se consacrer à la gestion des écoles, des élèves, des familles. En janvier 2025 le recteur de l’académie de Paris a annoncé qu’il souhaitait revenir sur cette organisation. Stupeur et incompréhension pour les directions d’école. Cette directrice en colère analyse et dénonce cette décision : « L’académie de Paris souhaite s’aligner sur le régime aberrant de décharge partielle subi par la plupart des directeurs hors de Paris. Avec ce régime, même les plus valeureux d’entre eux sont dans l’impossibilité de répondre au cahier des charges défini par la loi, faute de temps ».
Toujours plus de missions pour l’Ecole
Depuis 43 ans les missions de l’école se sont alourdies : il ne s’agit plus seulement de transmettre des savoirs et des connaissances. L’école doit permettre l’inclusion des élèves porteurs de handicap, elle doit former des citoyens capables de discernement dans un monde de fake news, elle doit développer le sens de la solidarité et de la bienveillance, elle doit construire une conscience écologique, lutter contre le racisme ou l’homophobie, agir pour réduire les inégalités, transmettre une mémoire collective, faire comprendre et appliquer les concepts de laïcité, de démocratie, permettre aux enfants les plus jeunes de se projeter dans une sexualité épanouissante et non violente… La liste des missions dévolues à l’école est sans cesse rallongée et son importance cruciale rappelée par nos gouvernants de tous les bords politiques. Ceux qui font l’école regardent avec une fierté mêlée d’inquiétude la charge croissante qui leur incombe.
Dans ce contexte, on pourrait penser que l’Ecole, ce bien commun précieux, est une priorité que chacun contribue à renforcer, à préserver. Mais non, « la mère des batailles » n’est pas menée. Seuls des discours condescendants de surface sur l’amour prétendu de la Nation pour ses profs sont affichés par un défilé grotesque de ministres maladroits et impuissants. A la défection alarmante aux concours de recrutement des profs ou aux vagues de démissions inédites, les gouvernements successifs persistent et signent : salaires maintenus bas menant au déclassement social, formations initiales ou continues insuffisantes et inadaptées, gestion des ressources humaines quasi-inexistante, conditions d’exercice en détérioration galopante.
La décharge des directions : « un privilège injustifié » ?
L’annonce du 21 janvier peut sembler un micro-évènement au regard des préoccupations du moment, elle illustre pourtant une tournure inquiétante dans la politique éducative menée. L’intention de l’académie de Paris est de revenir dès la rentrée 2025 sur ce qu’elle considère comme un « privilège » injustifié : la décharge d’enseignement des directeurs parisiens doit être remise en cause d’urgence, elle coûte trop cher.
Les plus avertis auront noté que le débat sur la fonction de direction d’école a fait l’objet de discussions intenses à l’Assemblée nationale ayant mené à la loi Rilhac, dont le décret d’application est paru le 14 août 2023. Cette loi imparfaite a au moins une vertu essentielle : définir la mission de direction et en préciser le cadre. En voici un extrait : « Le directeur d’école veille à la bonne marche de l’école maternelle, élémentaire ou primaire dont il a la charge et au respect de la réglementation qui lui est applicable. Il prend toute disposition utile concernant l’organisation et le bon fonctionnement de l’école pour que celle-ci assure sa fonction de service public. » Plus loin, il s’agit plus précisément de « piloter le projet pédagogique de l’école », de « veiller à la qualité des relations avec les familles et les partenaires », de « répartir les moyens », de « contribuer à la protection de l’enfance », de « veiller à la sécurité des personnes et des biens », …
Cette loi soulignant l’étendue des missions, il semblait aller de soi que l’ensemble des directeurs sur le territoire national seraient déchargés de leur mission d’enseignement pour se consacrer entièrement à l’immensité de leur tâche nouvellement clarifiée par la loi. Au lieu de cela, et même totalement à rebours de cela, l’académie de Paris souhaite s’aligner sur le régime aberrant de décharge partielle subi par la plupart des directeurs hors de Paris. Avec ce régime, même les plus valeureux d’entre eux sont dans l’impossibilité de répondre au cahier des charges défini par la loi, faute de temps. Il suffit de les interroger.
Comment comprendre alors cette nouvelle annonce qui plonge les écoles parisiennes dans l’inquiétude d’une organisation chaotique garantie ?
Cette mesure, prônée par la Cour des Comptes pour des raisons financières, au nom d’une prétendue justice de traitement territorial, démontre s’il en était besoin que non, l’Ecole n’est pas la préoccupation centrale du gouvernement. Notre nouvelle ministre Elisabeth Borne, dans ses fonctions précédentes de Première Ministre a signé de sa main le décret Rilhac du 14 août 2023. Comment celle qui fait dans les media la promotion de l’école publique pour en avoir « profité » à titre personnel peut-elle aujourd’hui valider une telle mesure délétère ?
L’Ecole est-elle uniquement devenue le terrain de jeux de politiques cyniques, lieu des injonctions contradictoires permanentes et successives qui aggravent inexorablement le malaise de l’Ecole ?
Nous refusons de nous y résoudre, parce que nous croyons sincèrement en notre mission, pour nos élèves.
Une directrice d’école parisienne en colère
