« On joue la comédie tous les jours » lancent les professeurs des écoles. Et s’ils ont marché sur le tapis rouge de Cannes, ils arpentent davantage les couloirs et leur salle de classe à Ivry-sur -Seine. Mercredi 29 janvier 2025, le film de la réalisatrice Claire Simon « Apprendre » sort dans les salles de cinéma. Claire Simon a posé sa caméra dans l’école REP pour filmer à hauteur d’enfant durant deux mois. Le Café pédagogique a été à la rencontre des professeurs de l’école publique Anton Makarenko d’Ivry-sur-Seine. L’esprit militant et le sens du métier était au cœur des échanges avec des professeurs combatifs et généreux : « Enseigner, c’est concevoir, réfléchir. Si un enseignant ne réfléchit pas, ne conçoit pas, alors l’élève ne réfléchit pas et ne conçoit pas ». Une leçon d’humanité et un message : « Qu’on remette l’humain au cœur de tout, que ce soit l’hôpital ou l’école »
A l’école, « on joue la comédie tous les jours »
Sophie, Morgane, Elodie, Estelle, Vincent, Mohamed et Halima enseignent à l’école Anton Makarenko d’Ivry-sur-Seine. Ces professeurs que l’on voit à l’écran dans le film de Claire Simon ne jouent pas d’autres rôles que le leur. Pour eux, le métier de professeur est déjà un rôle : « On joue la comédie tous les jours, on joue un rôle de profs tous les jours » dit Morgane. « On théâtralise, on n’est pas exactement dans la vraie vie comme on est avec les élèves » poursuit Sophie, « ce rôle existe quand on enfile notre veste de comédien le matin, on fait attention à ce qu’on dit, à comment on parle, on sait qu’on est hyper modélisant pour les enfants, on fait particulièrement attention à la façon dont on s’exprime, les mots qu’on emploie, on explique ce qu’on dit et c’est particulièrement vrai ici ». Enseigner, c’est théâtraliser expliquent-ils, « pour capter l’attention, être sûr qu’ils soient attentifs », les professeurs jouent avec l’intonation, le vocabulaire complète Mohamed.
« Une vision de notre quotidien » : « ce métier plein de petites choses »
« Au début quand Claire Simon filmait en classe, je me demandais ce qu’elle filmait. Pour moi, c’était tellement banal, il n’y avait rien d’exceptionnel » dit l’un. Pour ces professeurs, voir le film a été une bonne surprise. Lors du tournage, ils étaient un peu sceptiques, avouent-ils, ne voyant pas toutes les petites choses du quotidien qu’a pu saisir Claire Simon dans son film. « Il met en relief des choses très simples de l’enseignement qu’on ne voit pas toujours quand on est en classe » expliquent-ils. L’école, « c’est aussi comme ça, avec de beaux moments, heureusement, on a des moments plaisants, heureusement pour nous », « le film donne une vision de notre quotidien » avec ce métier plein de « petites choses ». « Elle a perçu des choses qu’on ne voit parfois plus dans notre quotidien ». Les professeurs décrivent des journées si bien remplies qu’à la fin de la journée, les choses marquantes sont parfois pas les plus sympas. Ils déclarent leur amour du métier. « J’aime ce que je fais » déclare Sophie, illustrant son propos avec la magie de l’apprentissage de la lecture : « au CP, on voit des choses, au début les élèves ne sont pas lecteurs et en quelques mois ils le deviennent ». Un collègue surenchérit : « tu vois ton utilité, et encore plus ici ».
Enseignant, un métier militant
« Y a des jours plus durs que d’autres, y a des jours où on est fatigués » lance un professeur. Pour l’une, une des priorités est que les enfants se sentent bien à l’école qu’elle compare à « un cocon sécurisant » pour des enfants qui rencontrent des situations difficiles. Pour une autre, enseigner « c’est vraiment les pousser le plus loin possible, leur faire comprendre qu’ils peuvent exploser ce plafond de verre qu’ils peuvent se mettre et que la société veut parfois leur imposer ». Elle veut leur montrer « qu’ils sont capables de faire des choses formidables ». A force d’échanges, elle aimerait leur faire comprendre qu’ils ne doivent pas s’arrêter au premier échec, « comme les inventeurs qu’on est en train d’étudier ». Pour une autre, être enseignante, c’est « développer le bon en eux », « ça passe par le savoir, les compétences mais pas que ». Un autre professeur complète, « oui, donner le meilleur d’eux-mêmes, c’est pas la compét’, mais apprendre à faire mieux que ce que tu as déjà fait et qu’à plusieurs on va plus loin, la solidarité, est une valeur importante qui les emmènera loin ».
« C’est génial d’être enseignants, mais c’est aussi ça, difficile »
Ils insistent sur le sens du métier : « enseigner, c’est concevoir, réfléchir. Si un enseignant ne réfléchit pas, ne conçoit pas, alors l’élève ne réfléchit pas et conçoit pas ». Ces professeurs de l’école Makarenko partagent une vision du métier dont ils parlent avec passion et amour. Ils se disent « attachés aux services publics » et disent « aimer le métier ». Morgane défend ardemment son « esprit militant pour faire avancer les choses, et que ça change ». Pour elle, c’est un « métier utile pour la société et il faut se battre pour que ça change, on a de plus en plus d’exigence et d’attente, de pression, et on adore dire que le privé est mieux » glisse-t-elle agacée contre le discours ambiant. « La multiple casquette est aussi difficile dans le métier », « on attend de nous qu’on fasse tout » dit une autre.
Les professeurs sont unanimes lors de cet échange : « C’est difficile, on est quand même des catégories professionnelles, bac +4 ou 5, une profession intellectuelle, et on n’est pas considéré comme tel ». Pour eux, le niveau de l’examen doit être élevé, la formation être exigeante : « Ce qu’on transmet aux élèves va les marquer toute leur vie », « si c’est pour transmettre n’importe quoi ou n’importe comment, c’est une catastrophe ».
Une enseignante ajoute « dans le primaire, on a zéro prime, on ne veut pas travailler plus pour gagner plus, on veut une formation digne de ce nom, un vrai métier, on a de vraies responsabilités, c’est une responsabilité immense de former les futurs citoyens ». Un de ses collègues ajoute : « il y a des années où on est surchargé en classe, et parfois on se sent démuni, délaissé et maltraité ». Pour une autre, « il manque des moyens humains et matériels », une autre lance « trop de paperasses », un autre évoque la difficulté de l’inclusion, le désespoir des familles, la torture des élèves.
« Qu’on remette l’humain au cœur de tout, que ce soit l’hôpital ou l’école » leur semble essentiel. « Faire plein de choses avec rien et le rafistolage, c’est épuisant, ou alors on doit se limiter à cause de la fatigue, et du manque d’argent. »
A l’origine, Claire Simon voulait voir et filmer … des conflits, mais il n’y avait pas de quoi faire un film sur les conflits à l’école Makarenko. Le directeur de l’école a notamment présenté le travail de médiation qui est fait dans l’école depuis quelques années : « les élèves doivent être capables de dire ce qui va ou pas, de nommer les émotions, on donne des mots, des nuances sur les humeurs, message clairs : chaque enfant dit ce qui ne va pas. Il suffit qu’on s’explique et en être capable, il faut mettre des mots. Claire Simon a choisi d’attaquer avec un angle différent et de montrer ce que faisaient les enseignants pour accompagner les enfants du CP à la 6e ». Les professeurs notent – et ils lui en sont reconnaissants – que la réalisatrice « a voulu porter les valeurs de l’école publique ; c’est vrai que c’est ce qu’on fait tous les jours, ce qu’on essaye d’apporter aux élèves, le vivre ensemble, d’être dans le positif ».
Djéhanne Gani
Cinéma : Claire Simon retourne à l’école pour « Apprendre »