Je me faisais la réflexion que désormais, quand j’arrive dans une école pour rendre visite à un collègue démarrant dans le métier ou pour assurer un atelier de formation, dans la grande majorité des cas, on me propose un café fabriqué par une machine à dosette individuelle, que ce soit une Nespresso, une Tassimo, une Senséo ou une quelconque autre marque. Et bien que fleurissent les solutions pour minimiser l’impact écologique de ces petits machins en aluminium, des dosettes compostables à celles réutilisables en passant par le recyclage, par exemple en les impliquant dans les activités de création plastiques des classes, on ne peut que regretter la disparition progressive de la machine à café collective que j’ai connue au début de ma carrière d’enseignant et de musicien intervenant et pas seulement pour des raisons d’écologie.
J’avoue, j’y ai moi-même cédé dans mon bureau, le fait que je puisse avoir un café rapidement à toute heure de la journée étant quand même drôlement pratique.
Avec la cafetière collective, il y avait tout un rituel : celui ou celle qui sortait le premier en récréation, souvent l’enseignant ayant la classe proche de la salle des maitres et maitresses, en allant appuyer sur le bouton de la sonnerie lançait la machine. Parfois même, dans un éclair d’anticipation et de prévoyance, des personnes bien organisées avaient déjà versé le café et l’eau dans le percolateur avant de monter en classe à 8h30 et le même collègue envoyait un élève pour « lancer la cafetière » quelques minutes avant la récréation de 10 heures. Cela donnait lieu à des blagues selon qui l’avait fait : du jus de chaussettes à un élixir qui ressusciterait les morts, on savait qui avait préparé le café ce jour-là.
Quand c’était mon jour de décharge de direction, c’était moi qui étais chargé à 9h55 de mettre en route une cafetière pour que les collègues de service puissent se servir en passant avant d’assurer la surveillance de la cour. J’étais responsable du café, puis de la sécurité des locaux et des personnes, par ordre d’importance.
Dans les grosses écoles, il y avait régulièrement des petites collectes pour que l’un de nous puisse aller faire les courses et prendre les paquets du commerce équitable, les sucres et les dosettes. Certains calculaient même leur participation selon leur consommation quotidienne, petit acte collectif de partage des richesses en fonction de ses besoins.
Mais désormais, chacun a son petit tas, sa réserve personnelle, dans un tiroir, dans une armoire, et le visiteur est invité à consommer la dosette au goût de celui ou celle qui lui propose de partager, au lieu de consommer à une source commune de caféine. Pas de réflexion sur le goût du café, étant donné que tout est désormais sous contrôle selon le numéro écrit sur la boite. Le collègue consciencieux propose parfois un « force 5, 7 ou 9 ? » comme si le rituel était devenu une chasse au Pokémon. Nous sommes ensemble mais seul à siroter notre jus, comme les buveurs de thé (ne le prenez pas mal, on vous aime bien quand même…).
Le temps où l’on partageait notre saint breuvage dans des mugs « la meilleure maitresse du monde » ébréchés (ou dans mon cas, le mug à l’effigie de Grincheux de Blanche Neige) profitant d’un liquide à peine coloré ou tellement épais qu’on pouvait le mâcher est révolu et a été remplacé par l’injection quasi médicale d’une dose quelques centilitres au goût régulier, uniforme, individualisé et où certains se surprennent peut-être à rêvasser à ce que Georges Clooney viennent les sauver du vent qui soulève les feuilles mortes dans la cour et des cris des enfants surexcités lors des veilles de vacances.
Et si la construction du collectif de nos équipes enseignantes passait par le retour des cafetières d’antan ? L’avantage d’une boisson uniforme, qui correspond à mon goût, à chaque fois, n’est-elle pas un prix trop haut à payer pour pouvoir faire équipe autour de la machine à café ? Buveurs de café, ré-unissons nous !!
Hervé Allesant