L’historien Claude Lelièvre raconte la réunion inédite de huit anciens ministres de l’Education nationale organisée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem après les attentats terroristes du 7 janvier 2015. A l’issue de cette réunion, elle annonce deux axes : « la laïcité » avec de « nouveaux contenus liés à l’enseignement moral et civique » (EMC) qui entrera en vigueur à la rentrée 2015 du primaire à la terminale ; « mais aussi l’enseignement laïque des faits religieux » et « la réduction des inégalités scolaires pour renforcer le sentiment d’appartenance à la République ». 10 ans après, ces axes restent criants et brûlants d’actualité.
A la suite des agressions meurtrières islamistes du 7 janvier 2015 (à Charlie Hebdo), et des 8 et 9 janvier, la ministre Najat Vallaud -Belkacem invite les anciens ministres de l’Education nationale à se réunir au ministère durant la journée du 15 janvier. Une invitation tout à fait extra-ordinaire (elle n’a pas de précédent, et il n’y en aura pas d’autres ensuite). Comme j’ai été moi-même invité à ces réunions par Najat Vallaud-Belkacem, j’ai été en mesure de rédiger des résumés succincts des interventions des uns et des autres à partir de mes notes.
Après les attentats qui ont touché la France, la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche consulte l’ensemble de la communauté éducative et universitaire. Najat Vallaud-Belkacem reçoit ce jeudi 15 janvier les anciens ministres de l’Éducation nationale. Au-delà des actions immédiates menées et de l’exceptionnelle mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative et universitaire, la ministre souhaite, avec les services du ministère, amplifier cette mobilisation à moyen et long terme car l’École de la République a parmi ses principales missions de faire vivre les valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité.
Une première rencontre s’est tenue ce matin avec les anciens ministres Benoit Hamon, Xavier Darcos, Jean-Pierre Chevènement , Gilles de Robien, Claude Allègre et François Bayrou..
Quelques échos de ces deux réunions par le truchement (le »biais » aussi…) des notes que j’ai prises alors.
Jean-Pierre Chevènement. Charlie Hebdo a le droit de faire ce qu’il veut, c’est la liberté d’expression ; mais dans l’école, un professeur de dessin n’aurait pas le droit de faire la caricature de Mahomet (cf ce que disait Jules Ferry dans sa célèbre lettre aux instituteurs : « demandez-vous s’il se trouve un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire ; ayez la plus grande réserve dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge » . L’essentiel, c’est la transmission du savoir, des valeurs républicaines. Il faut faire aimer la France à travers ses grandes luttes, ses grandes œuvres. Le récit national a été brisé au XXIème siècle. Il faut le reconstituer, le rétablir. L’Ecole n’a pas à refléter le miroitement de la société au jour le jour.
Claude Allègre. Les relations avec les parents, le suivi des élèves peuvent être de bons moyens pour repérer les fondamentalistes, les sujets à risque. Le rôle de l’Ecole dans les préoccupations sécuritaires ne doit pas être négligé.
François Bayrou. Le problème est extrêmement difficile à traiter. Il s’agit pour l’essentiel de l’éducation civique, mais pas au sens institutionnel. Le point le plus brûlant : un choc frontal entre un système de valeurs sur lequel est fondée la République d’une part ; et des valeurs, voire des »doctrines » transmises par des familles d’autre part. L’Islam est intrinsèquement une doctrine théocratique. Or il faut bien voir que la laïcité n’est pas une doctrine en face d’une autre doctrine. La laïcité n’est pas un dogme. Cela ne s’enseigne pas à proprement parler et ne se décrète pas. On peut certes transmettre des attitudes et des repères, mais essentiellement par l’exemple (par ce que l’on est avant tout) et par des échanges d’expériences.
Xavier Darcos. Ne pas perdre de vue que, dans la loi de 1905 dite de »séparation de l’Eglise et de l’Etat », l’affirmation première, c’est celle de la liberté religieuse. Par ailleurs, et c’est fondamental aussi, la loi civile l’emporte sur la loi religieuse. C’est enfin le moment de rappeler l’une des formules frappantes d’un représentant éminent des Lumières, Voltaire : « Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Il y a de fortes tensions dans la société qui ont des effets dans le domaine politique, et finalement à l’Ecole. Ces tensions à l’Ecole ne sont pas des tensions de l’Ecole. Il n’en reste pas moins que les difficultés pour qu’il y ait des règles de l’Ecole, assumées et assurées à l’Ecole, posent la question de rites scolaires (traditionnels ou nouveaux) à rétablir ou à inventer.
Gilles de Robien. Une précaution à ne pas perdre de vue : ce qui va être préconisé et mis en place ne doit, en aucun cas, pouvoir être perçu comme de l’anti-religion. Ce qui est essentiel dans la réalité du fonctionnement ordinaire de l’institution scolaire, c’est la place des adultes, et d’abord des enseignants. Ils doivent retrouver fierté et respect pour asseoir l’autorité qui doit être la leur et qui est centrale en l’occurrence. Il faut qu’ils soient mieux reconnus, et d’abord dans leurs rémunérations (même si – contraintes budgétaires obligent – cela doit se traduire par une réduction symétrique du nombre de postes). Les professeurs doivent être plus présents (à tous égards) dans leurs établissements (5 à 10 heures en plus par semaine).
Benoît Hamon. Attention ! Il ne faut pas que ce que nous voulons transmettre apparaisse comme des croyances imposées par une autorité à laquelle on doit se soumettre (en ayant le sentiment d’appartenir à une culture dominée ou d’être confiné à une place non reconnue). Il ne s’agit pas de mettre l’accent sur ce qui peut sembler unifier ( »roman national » ou » rites » – Marseillaise ou blouses) mais sur ce qui peut rassembler, en veillant à ce que chacun puisse avoir sa place, une place. Ce qui est central en réalité, là comme ailleurs, c’est la question de la réduction des inégalités sociales et culturelles.
Jack Lang. Il faut traiter le problème qui nous est posé dans un esprit d’échange, dans une dialectique de l’Un et du multiple, où l’obscurantisme et la lumière ne sont pas dévolus à telle ou telle partie en cause. L’Islam est une religion de paix et de lumière, qui a compté parmi ses penseurs des hommes d’ouverture ; et c’est ce qu’il faut enseigner. Là comme ailleurs, la formation initiale et continue des enseignants est une question essentielle. Il est inimaginable que la France ait été récemment le seul pays d’Europe où l’on a supprimé pendant cinq ans la formation des enseignants. Il faut une formation des maîtres par des écoles professionnelles, et non par des universités qui n’ont aucune compétence pour cela.
Vincent Peillon. Nous sommes en pleine refondation de l’Ecole républicaine. Et c’est précisément la mise en œuvre de cette refondation et son approfondissement qui doivent nous permettre de mieux faire face aux problèmes posés. L’Ecole de la République doit faire en sorte que l’origine socio-culturelle cesse de peser aussi lourd en France (comme cela a été montré encore de façon accablante par les derniers résultats de PISA). Plus fondamentalement, il s’agit de refonder l’Ecole républicaine. Pour refonder la République. A cet égard, il doit être clair que la laïcité républicaine ne saurait être de l’ordre de la »neutralisation » : elle porte des valeurs qui demandent des engagements. Il avait été prévu qu’il y ait une formation ad hoc dans le cadre du tronc commun en formation initiale des enseignants. Cela n’a généralement pas été le cas dans les ESPE, et des mesures à ce sujet s’imposent.
En cette même »journée particulière » du 15 janvier 2015, la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud Belkacem annonce finalement deux axes principaux de réflexion et de travail. Première priorité : « la laïcité » avec de « nouveaux contenus liés à l’enseignement moral et civique » (EMC) qui entrera en vigueur à la rentrée 2015 du primaire à la terminale ; « mais aussi l’enseignement laïque des faits religieux ». Deuxième axe : « la réduction des inégalités scolaires pour renforcer le sentiment d’appartenance à la République ».
Claude Lelièvre