« Un silence de plomb a longtemps prévalu, à l’École comme dans la quasi-totalité des familles » écrit l’historien Claude Lelièvre au sujet de l’éducation à la sexualité. Dans cette chronique, il apporte un éclairage historique sur un sujet d’actualité. Il relève « des constantes historiques » dans l’opposition de la direction de l’enseignement catholique.
Un silence de plomb a longtemps prévalu, à l’École comme dans la quasi-totalité des familles. Mais dans les années qui suivent mai 1968, cela ne devient plus vraiment tenable, d’autant que certaines affaires sensibles en la matière défrayent alors la chronique.
Mais l’opposition à une éducation sexuelle dans et par l’École peut rester vive pour certaines organisations, en particulier parmi celles dans la mouvance de l’enseignement catholique. La Fédération de Paris des APEL (associations de parents d’élève de l’enseignement libre) dénonce dans un communiqué « un processus inéluctable qui transforme le projet de l’Éducation nationale en une vaste entreprise dite de libération sexuelle, en fait d’initiation à la débauche ». L’UNAPEL (l’Union nationale des associations de parents d’élèves de l’enseignement libre) indique qu’elle est d’accord pour qu’« une ‘information’ anatomique et physiologique soit faite en 6° et 5°, à la condition qu’elle soit préparée par les parents dans un climat chrétien et dans le cadre de la communauté éducative qui prend là toute sa valeur ».
Finalement la circulaire du 27 juillet 1973 signée par le ministre de l’Éducation nationale Joseph Fontanet (un « démocrate-chrétien ») opère un clivage fondamental entre l’« information » (scientifique, intégrée aux programmes, pour tous les élèves) et l’« éducation » (facultative, en dehors de l’emploi du temps obligatoire, avec ou sans autorisation des parents selon qu’il s’agit du premier cycle ou du second cycle de l’enseignement secondaire). Ce compromis foncièrement boiteux durera une trentaine d’années.
Changement radical de principe au début du XXI° siècle. Les dispositions de l’article 22 de la nouvelle loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception complètent le Code de l’éducation par un nouvel article (et il est remarquable que ce soit à l’occasion de cette loi) : « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles ». La circulaire d’application préparée sous le gouvernement Jospin paraît le 17 février 2003 sous le gouvernement Raffarin, sans modification sensible (ce qui est non moins significatif de ce tournant majeur). La circulaire insiste sur le fait que la loi (du 4 juillet 2001) a désormais « confié à l’École une mission éducative dans le champ bien spécifique de l’éducation à la sexualité ».
« Cette démarche est d’autant plus importante qu’elle est à la fois constitutive d’une politique nationale de prévention et de réduction des risques (grossesses précoces non désirées, infections sexuellement transmissibles, VIH/sida) et légitimée par la protection des jeunes vis-à-vis des violences ou de l’exploitation sexuelles, de la pornographie ou encore par la lutte contre les préjugés sexistes […]. Ces pratiques éducatives impliquent une nécessaire cohérence entre les adultes participant au respect des lois et des règles de vie en commun qui s’exercent aussi bien dans le cadre de la mixité, que de la lutte contre les violences sexistes et homophobes contraires aux droits de l’homme ». La dernière partie de ce texte va susciter à terme une forte réaction du « Secrétariat à l’enseignement catholique ».
Au printemps 2010, un « Guide pour l’éducation sexuelle » va en effet être édité sous l’autorité du « Secrétariat à l’enseignement catholique ». Pour ce qui concerne l’homosexualité, même s’il est dit qu’il ne s’agit pas de « conduire à poser un jugement sur les personnes homosexuelles », toute la direction éducative est tendue dans ce texte vers l’« affirmation structurante de la différence sexuelle » : « l’anthropologie a toujours reconnu l’importance structurante de la différence sexuelle. Un courant récent, néanmoins, conteste ce modèle. La « gender theory » privilégie le « genre », considéré comme une pure construction sociale, et diversifié selon les orientations sexuelles, aux dépens du « sexe ». Elle manifeste un déni de la différence corporelle et psychologique qui préexiste aux rôles culturels […]. Le but de la « gender theory » est de « libérer » l’individu de tout cadre normatif donné par la nature, la société, la religion et de permettre à chacun de choisir librement son identité, son orientation sexuelle et sa forme de famille ». Il s’agirait donc, en définitive, pour l’enseignement catholique, de libérer les jeunes d’influences « contre-nature ».
Le 30 septembre 2010, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale (dirigé alors par l’UMP Luc Chatel) indique que les programmes de sciences de première doivent comporter un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme » qui doit « affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ».
Les maisons d’édition ayant évoqué ce chapitre selon des modalités variées, la direction de l’Enseignement catholique écrit aux directeurs diocésains pour attirer leur attention sur « le discernement à apporter dans le choix des manuels pour cette discipline » et critique le chapitre incriminé car il fait « implicitement référence à la théorie du genre ».
Plusieurs associations catholiques, relayées par Christine Boutin présidente du « Parti chrétien-démocrate » demandent à Luc Chatel, d’apporter des « correctifs » ou d’ « interdire l’usage des manuels incriminés ». En vain.
Par ailleurs différentes études montrent que si l’on veut rompre avec des logiques antérieures qui ont montré leurs limites, il convient d’aller résolument dans le sens d’un changement de paradigme qui concernerait – en même temps et d’un même mouvement – les garçons comme les filles, notamment dans le domaine fondamental de la lutte contre les stéréotypes, en la menant par ailleurs de façon résolue beaucoup plus tôt. Certaines des orientations de la convention interministérielle (signée en février 2013 entre le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon et la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem) vont dans ce sens. Cette convention annonçait en effet « la création d’un programme »ABCD de l’égalité » qui s’adresse à l’ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, et vise à déconstruire des stéréotypes de genre »
Mais face à la mobilisation dans la rue contre notamment le « mariage pour tous » et ses corollaires, et face aux appels en janvier 2014 à des journées de « retrait de l’école », le gouvernement nommé en avril 2014 avec à sa tête le Premier ministre Manuel Valls met « la pédale douce ». Et le ministre de l’Éducation nationale Benoît Hamon (qui a succédé à Vincent Peillon) met en musique cette nouvelle orientation.
Depuis cet épisode, l’extrême droite d’Eric Zemmour a fait de la « théorie du genre » un cheval de bataille à l’École. Sans surprise, « Parents vigilants », association créée par des partisans zemmouristes, dénonce aujourd’hui le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Vendredi dernier, l’enseignement catholique s’est officiellement rallié à ce type d’opposition avec sa « justification » (l’invocation d’une « théorie du genre » à l’oeuvre) appelant à remanier le texte en cours. Dans un communiqué commun, le secrétariat général de l’Enseignement catholique et l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre estiment que le programme doit rester « imperméable à toute influence idéologique » et ne pas se « substituer » à la responsabilité éducative des parents. Une constante historique dans la mouvance du cadre dirigeant de l’enseignement catholique.
Claude Lelièvre