Depuis 2020, Louis Feghlou, étudiant en médecine, raconte au quotidien, à travers son compte @loulouparfois sur Instagram et Tiktok, son parcours de vie d’homme transgenre et en particulier les différentes étapes qui jalonnent sa transition, entamée à l’âge de 18 ans. La bande dessinée Petite fille deviendra grand, illustrée par Marie-Lou Lesage, est l’occasion pour lui, devenu auteur, de partager désormais avec un plus large public son histoire, et d’apporter sans détour, mais avec délicatesse, des réponses justes et éclairantes à des questions qu’il est parfois difficile de se poser, et de poser.
Autobiographie d’un parcours
Dans la première partie de l’album, l’auteur, né Alia, raconte ses origines, sa famille, son éducation, et la sensation diffuse, très tôt, d’être en décalage avec les codes féminins. Le coming out lesbien qui arrive à l’adolescence, apporte, un temps, une réponse. Mais n’empêche pas « la sensation de vide », de perdurer, et avec elle l’impression de ne pas s’être « vraiment trouvée »…
Jusqu’à ce qu’un reportage documentaire mette enfin les mots « dysphorie de genre » et « transidentité » sur ce qui était là, mais sans pouvoir, ou savoir, se dire. C’est alors un intense et renversant moment de bascule, placé exactement au centre du livre, évoqué dans une sorte de tourbillon graphique bouleversant. Un avant, et un après. La seconde partie de l’album est consacrée aux différentes étapes de la transition sociale, puis de la transition physique de réassignation, qui vont prendre plusieurs années, et confronter l’auteur, et son entourage, à de nombreuses interrogations et discussions.
Le récit prend donc son temps, et le rythme de narration fait ici particulièrement sens. Il rappelle en effet combien un parcours de transition vient de loin, et combien il se construit, étape après étape. On est bien loin des représentations qu’en font parfois certain·es, qui veulent y voir une lubie adolescente et un effet de mode. L’auteur ne cache d’ailleurs rien des difficultés rencontrées, des échecs et des rejets, de ce parcours vécu « comme un train en marche » au cours duquel, parmi ses proches, « des personnes descendraient à certains arrêts et ne remonteraient jamais ». Mais il raconte aussi les réussites, la libération et le bonheur de ne plus être, enfin, « incomplet » …
Un album nécessaire
Depuis 2021, une circulaire de l’Éducation nationale encadre l’accueil des élèves transgenres, ou en interrogation sur leur identité de genre, afin de les protéger de toute discrimination expliquant que : « La transidentité est un fait qui concerne l’institution scolaire. Celle-ci est en effet confrontée, à l’instar de leur famille, à des situations d’enfants – parfois dès l’école primaire – ou d’adolescents qui se questionnent sur leur identité de genre ». Le texte a ses limites, mais il aussi le mérite d’exister, et de rappeler qu’il est de la responsabilité de tous et de toutes, au sein de l’Ecole, de se mobiliser « pour créer des environnements scolaires qui garantissent à ces élèves le droit à l’intégrité, au bien-être, à la santé et à la sécurité. »
Pour autant, une circulaire ne peut mettre fin à elle seule aux menaces et agissements discriminatoires. Comme le rappelait le sociologue Arnaud Alessandrin, dans un entretien donné au Café pédagogique en octobre 2023, « plus de 80% des jeunes trans ou non binaires disent avoir vécu une scolarité dégradée ou très dégradée du fait des violences transphobes ou d’une peur qu’elles s’abattent sur eux ». A leur façon les « manuels scolaires parfois très stigmatisants » ou encore les « cours d’éducation à la sexualité (…) qui oublient littéralement l’existence de ces mineurs », participent de cette violence, et témoignent de l’écart important entre les préconisations officielles et ce qui se joue concrètement sur le terrain.
Pour combattre cette violence, et faire de l’Ecole un véritable lieu d’accueil, il faut s’attaquer aux idées reçues qui font le terreau de la transphobie, mais aussi permettre aux élèves trans de ne plus se sentir invisibilisé·es et empêché·es d’exister. Le très bel album Petite fille devient grand, particulièrement adapté par son langage, à la fois pudique et sans tabou, à un lectorat adolescent, peut, à coup sûr, contribuer efficacement à l’un et à l’autre…
Claire Berest
Cet article vous a plu ? En soutenant le Café pédagogique, vous accompagnez un média indépendant. Votre soutien à notre média indépendant est indispensable pour poursuivre notre travail à court terme. Toute souscription à un abonnement de soutien est aussi un geste pour renforcer Le Café pédagogique et dire votre attachement à la presse indépendante. Vous pouvez nous soutenir par un abonnement à 5 euros par mois.
Pour recevoir notre newsletter chaque jour, gratuitement, cliquez ici.