Jean-Paul Payet et Aksel Kilic sont universitaires et chercheurs. Leurs travaux, appuyés principalement sur la démarche ethnographique, portent sur l’école, l’enfant, et les parents. On sait combien la question de l’e-parentalité est mise en avant depuis plusieurs années par l’Éducation Nationale comme le montre le projet Territoire Numérique Educatif (TNE) initié en 2020. Les travaux de ces deux chercheurs permettent à chacun de se questionner au-delà des outils et dispositifs observés. En effet, ce qui importe c’est d’abord la question de la relation parents-école, qui, malgré de nombreuses préconisations officielles reste malgré tout très inégale. Elle semble maintenir une distance suffisante pour que les enseignants puissent assurer leur activité dans le cadre prescrit et pour que les parents puissent ressentir une volonté de lien. L’école primaire a ceci de particulier qu’elle est d’abord une école de la proximité géographique. C’est pourquoi les questionnements des deux chercheurs sont particulièrement éclairants.
Au-delà du titre de l’ouvrage
C’est pourtant un mauvais titre « L’école du Like, les nouvelles relation école famille à l’ère du virtuel » pour un ouvrage essentiel, au moins par le thème qu’il aborde. Titre et sous-titres (mais dans une moindre mesure) s’inscrivent dans une logique médiatique qui questionne l’intention des auteurs, à moins que ce ne soit celle de l’éditeur. Les auteurs, universitaires habitués à des études sur le thème de la relation école-parents, ouvrent ici une boite noire et nous donnent à voir le « paysage » de la relation école famille au travers des plateformes choisies ou mises à disposition des écoles et des familles. Ces plateformes, à l’initiative des enseignants, des équipes ou de l’institution (ENT) donnent à voir des éléments particulièrement intéressants de ce qui se passe entre les familles et l’école autour de la scolarité des enfants.
L’e-parentalité, le numérique et le monde scolaire
Menée en partie sur le mode ethnographique, et sous la forme d’entretiens et d’observation de contenus, l’enquête à la base de cet ouvrage permet de mieux comprendre ce qui se passe autour de plusieurs phénomènes qui touchent l’école depuis l’avènement de l’informatique et du numérique : le clientélisme scolaire, l’usage du numérique, la co-éducation, le suivi de la scolarité etc. C’est autour de la relation et d’une tentative d’éclaircissement de celle-ci que les auteurs nous invitent à explorer. Les enseignants de l’école primaire ont de plus en plus souvent mis en place des moyens de communication numérique avec les parents des enfants qu’ils accueillent dans les classes. Si cela n’est pas vraiment nouveau dans le paysage du numérique éducatif, c’est le déploiement de ces plateformes numériques permettant aux enseignants de communiquer sur leur activité scolaire aux familles qui semble se généraliser. Ainsi, dans le cadre de TNE, il a été imposé qu’un ENT soit mis à disposition des écoles membres de ce dispositif. Indépendamment, la multiplication des offres privées et publiques d’outils numériques au service de cette communication est importante et rencontre un certain succès, tant auprès des enseignants que des parents.
Une relation qui reste difficile
Les auteurs distinguent trois degrés de la relation numérique. Le premier est l’information, le second est une communication conviviale, le troisième est la tentative de coéducation. « Informer, partager, coéduquer se conjugue à la forme active pour l’enseignant. Côté parent, la forme est passive : être informé, être destinataire, être ouvert aux propositions de coéducation. » Le constat fait par les chercheurs n’est pas surprenant au regard de ce que l’on peut observer en travaillant auprès des établissements du primaire, mais aussi du secondaire (ce qui n’est pas dans le champ d’analyse de ce travail). C’est le terme « distance » qui prend ici tout son sens. Apparu de manière massive lors de la crise sanitaire de 2020, le mot « distance » y a pris un sens plus large et a été associé à une perte, celle de la présence simultanée en classe. La famille, les parents, se sont trouvés mis en situation de co-éducation forcée. L’enquête des chercheurs réalisée entre 2021 et 2022 ne reprend pas cette question, mais on sent bien qu’au travers des propos recueillis, cette période a été un levier de questionnement important.
Les parents, les enseignants, une méfiance réciproque ?
Les conclusions principales des auteurs peuvent être (imparfaitement) résumées dans ce passage : « Au quotidien, les relations restent méfiantes. Les enseignants construisent toujours une culture professionnelle commune sur la mise à distance des parents (Kilic, 2022). Lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, les parents agissent toujours avec la peur du pouvoir de représailles de l’enseignant. » La question du parent idéal, comme celle de l’enseignant parfait, transparaît clairement dans les témoignages recueillis. « L’imaginaire de l’autre » est au coeur de la relation entre les acteurs du système éducatif et le monde qui l’entoure. Il s’est construit au fil du temps et les possibilités offertes par les moyens numériques ne semblent pas y changer grand-chose. Penser la co-éducation et la mettre en oeuvre est peut-être une utopie face à la forme scolaire. Car ce que l’on peut aussi retirer de ce livre, c’est la permanence de la forme scolaire comme un inconscient partagé dans lequel chacun tient sa place et joue son rôle. La question essentielle qui ressort aussi c’est celle de l’inégalité au coeur de l’école. Les dispositifs communicationnels semblent ne rien y changer. Car la base de cette question est celle du capital culturel, de sa transmission et aussi de sa permanence.
L’élève, angle mort de la relation école famille
Se pose enfin la question de l’espace personnel de l’enfant. Ces plateformes ne sont-elles pas une intrusion du monde adulte dans ce que l’enfant vit au quotidien à l’école ? Ce questionnement qui vient terminer l’ouvrage mériterait sûrement un autre travail, mais fait aussi avec les enfants. « Des enfants constamment sous le regard d’adultes connectés entre eux constituent sans doute le rêve d’une société inquiète » écrivent les auteurs. Ils inscrivent donc ces pratiques dans un cadre sociologique plus large, celui de la place de l’enfant dans les sociétés contemporaines qui mettent en avant l’individualisme et la réussite (scolaire et sociale). Le numérique est aussi un moyen de contrôle et de surveillance. N’oublions pas que l’enseignant cherche à comprendre les élèves dont il a la charge et que parfois cela le pousse à utiliser des moyens qui peuvent poser question. Les auteurs y accordent d’ailleurs un passage quand ils évoquent le suivi éducatif et comportemental des élèves sur les plateformes.
Nous invitons les enseignants à lire cet ouvrage sérieux, accessible et suffisamment éclairant. Il serait aussi pertinent que les responsables politiques, éducatifs et institutionnels s’emparent de cette question de la relation parent école pour mieux comprendre les problèmes posés par la parentalité et ses prolongements dans le lien avec l’école. Malheureusement, les auteurs le signalent, l’institution tient un langage public qui est très éloigné des réalités du quotidien et de la mise en oeuvre de ces incitations à améliorer le lien entre les familles et l’école.
Bruno Devauchelle
Kilic, Aksel; Payet, Jean-Paul. L’école du like, les nouvelles relations école famille à l’ère du virtuel, Humensis. Édition du Kindle. PUF 2024