« A l’école néolibérale, enseigner n’est plus un métier ». C’est le propos que défendent 4 enseignant.es dans leur conférence gesticulée. Encore faut-il savoir ce qu’est une conférence gesticulée.
Un travail des contradictions
Mélangeant « savoirs chauds et savoirs froids », la conférence gesticulée s’inscrit dans la volonté de transformer l’expérience personnelle de la domination en un objet politique partageable. On doit à Franck Lepage d’avoir posé les bases de ces dispositifs d’éducation populaire. Avec Katia Lang entre autres, ils animent l’Ardeur, une « association d’éducation populaire et politique ». Les conférences gesticulées, notamment celle sur l’école, c’est d’abord eux qui en parlent le mieux : « Une conférence gesticulée, ce n’est d’abord pas un tract syndical. On vient y faire un travail des contradictions. C’est la fabrication d’un objet politique à partir des questions qu’on vit dans le système capitaliste, car même lorsque l’on combat ce système, on est pris dedans. D’où les contradictions. Les profs par exemple sont sans cesse en contradiction entre l’émancipation qu’ils voudraient pour leurs élèves et une structure qui reproduit l’idéologie capitaliste. On leur demande de faire de l’égalité avec des outils qui produisent des inégalités et de la hiérarchie… ils sont dans une impasse. La conférence gesticulée arrive alors comme un moment de prise de parole publique où l’on peut construire un propos politique à partir de sa propre expérience. C’est du chaud mélangé avec du froid. Mais attention, ça ne fait pas du tiède : ça fait de l’orage ! »
Une conférence gesticulée sur l’école lors de la biennale
Et l’orage est fécond. Depuis des années des conférences gesticulées fleurissent, sur des sujets aussi divers que l’histoire du sport, l’inclusion ou les soins hospitaliers. Lors de la biennale de l’éducation nouvelle à Nantes (voir article), l’Ardeur a choisi de bâtir sa nouvelle conférence gesticulée sur le métier d’enseignant, et plus exactement sur les logiques managériales qui tendent à confisquer aux professeur.es leur expertise professionnelle. Loïc et Mariangela enseignent respectivement les mathématiques et l’italien dans le secondaire. Le professeur de maths met en scène, à travers l’exemple de sa fille, la confiance qu’il porte en une école où les enseignant.es n’exécuteraient pas des tâches tels des robots soumis à des protocoles. Il faut dire que Loïc est aussi syndicaliste et qu’il entend bien défendre son statut et son expertise par l’action collective. Sa collègue d’Italien explique dans des saynètes hilarantes son désarroi de voir son groupe classe éclaté par la réforme Blanquer ou sa perplexité devant le déploiement d’outils numériques aux noms très imagés tels que Santorin, Adage, Imag’in, Gaïa … masquant leurs intentions de contrôle de son activité.
Parler de l’école, des réformes, du métier
Les professeurs des écoles Fred et Reno montrent que dans le primaire, si les réformes ne sont pas exactement les mêmes, on retrouve cette logique de dépossession de l’histoire et de la culture du métier. Une histoire que Reno revisite à travers des récits de son quotidien de classe Freinet, où la parole de l’enfant est encouragée, sa créativité mobilisée et ses erreurs acceptées. Les « gesticulant.es » tentent de définir alors les critères de ce qui pourrait être un « bon travail », ce que Fred appellera, à l’instar du psychologue Yves Clot, un fil à plomb. Les profs « gesticulants » resituent alors ce fil à plomb dans l’histoire de la lutte des classes, où les dominants n’ont jamais eu de cesse que de vouloir maitriser le contenu du travail, pour ne pas céder trop de pouvoirs aux travailleuses et aux travailleurs. Ils inviteront alors le public à trouver le chemin de la résistance à ce véritable vol de leur métier. Dans cette conférence gesticulée, les anecdotes personnelles, les petits sketches et les savoirs théoriques se mélangent pendant plus de 2h30 pour faire partager au public les réflexions sur ce qui ressemble à une véritable prolétarisation du travail enseignant et proposer des pistes pour y résister. L’intégralité de cette conférence gesticulée se trouve ici : https://youtu.be/jAEeNq286Mg?si=Mq4REDET1xyohz-T
L’Ardeur quant à elle, entend bien continuer à initier partout en France des conférences gesticulées qui parlent des métiers : https://www.ardeur.net/
Frédéric Grimaud