« Ne pourrait-on pas, par exemple, faire plus et mieux appel à des professeurs retraités volontaires ? » L’objectif de la politique est assumé : la réduction des dépenses publiques. Mardi 1er octobre 2024, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Michel Barnier a rappelé ce cap devant l’Assemblée nationale. Dans une École traversée par les crises, comment faire beaucoup mieux avec rien de plus et la vision macroniste de l’Ecole ? Alors, sans doute, « le gouvernement (…) ne fera pas de miracle tant le chemin est escarpé », comme l’a dit le Premier ministre. Les professeurs devraient-ils, eux, faire des miracles : faire plus, mieux et plus longtemps ? A noter que l’École a été réaffirmée comme une priorité… pendant deux minutes dans un discours fade d’un peu moins d’une heure et demie. Qui ne propose aucune solution aux crises si ce n’est de faire reprendre du service aux retraités pour répondre à la crise de l’attractivité du métier enseignant. Le problème n’est pas l’« absence » ou le remplacement des professeurs, évoqués dans le discours, mais bien la pénurie de personnels formés, le manque de candidats aux concours de recrutement.
A droite, rien de nouveau
Le Premier ministre décrit dans son discours à l’Assemblée nationale une « ligne de crête ». Celui de l’École avait été annoncé par la ministre de l’Éducation nationale lors de la passation du pouvoir : la ministre Anne Genetet s’était déjà inscrite dans la continuité de la politique menée depuis 2017. La déclaration de politique générale de Michel Barnier ne laisse pas de doute. Avec une dette à 3000 milliards d’euros qui représente une « épée de Damoclès » pour lui. Le Premier ministre a précisé que le « le premier remède à la dette, c’est la réduction des dépenses », soit « renoncer à l’argent magique, à l’illusion du tout gratuit, à la volonté de tout subventionner ». Un cap bien à droite. Il martèle son objectif de diminuer le déficit public à 5% en 2025 puis 3% en 2029.
Attractivité du métier … rime avec retraités
Après avoir passé en revue différents chantiers -travail, logement, alimentation, transport- le Premier ministre affirme que « l’école restera la priorité ». Il déclare : « j’ai confiance dans la qualité de l’engagement des enseignantes et des enseignants, de tous les personnels de l’Éducation nationale. Ils doivent être partout protégés et respectés ». Ensuite vient une confusion entre « absence » et « manque » de professeurs quand le Premier ministre Michel Barnier affirme : « Ensemble nous devons trouver des réponses au remplacement des professeurs absents. Au-delà des améliorations en termes d’organisation et de formation, ne pourrait-on pas, par exemple, faire plus et mieux appel à des professeurs retraités volontaires ? » Cette proposition, au passage semble d’une part ignorer le mouvement social contre la réforme des retraites comme l’état de fatigue des professeurs en fin de carrière.
Et ne pas (vouloir) voir le problème de l’attractivité du métier
La question aujourd’hui est-elle « l’absence » des professeurs ou « le manque » de professeurs ? Les mots ont un sens : parler d’absence des professeurs comme l’a fait Amélie Oudéa-Castera récemment, voire d’absentéisme (comme l’avait fait Jean-Michel Blanquer durant la Covid) ne participe-t-il pas à renforcer cette idée fausse d’une forte absence des professeurs ? Or, les professeurs ne sont pas « absentéistes », ils peuvent être absents, malades mais ils sont moins souvent en arrêt maladie que dans d’autres professions comme le souligne le rapport de la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction publique (DGAFP) publiée en 2023. Les clichés ont la vie dure, mais ne passent-ils pas aussi par ce genre de petites phrases ?
Quant au remplacement, s’il est un problème, c’est également lié à la pénurie des enseignants, titulaires, remplaçants. C’est lié à un système asséché de professeurs remplaçants et au manque d’attractivité du métier. Manque d’attractivité lié au décrochage des salaires en 40 ans. Pour rendre le métier attractif, la question du budget est dès lors centrale : les annonces faites de réduction des dépenses, tout comme un budget – même « a priori sanctuarisé » – n’empruntent pas le chemin d’une amélioration nécessaire et urgente des salaires. La revalorisation salariale – très attendue par les personnels – passe par l’augmentation du point d’indice. Et ce rattrapage salarial n’est pas sans lien avec l’attractivité du métier. Ce sont 3000 postes non pourvus à la session 2024 des concours de recrutement. Les salaires des professeurs français restent parmi les plus bas des pays de l’OCDE, comme le soulignait le rapport 2024.
Mais un terrain d’entente : pas d’énième réforme ?
Quand le Premier ministre poursuit : « ils ont moins besoin de grande réforme et d’une refonte des programmes que du bon fonctionnement de leur établissement », il touche là certainement juste. La fatigue et la colère sont grandes sur le terrain, les paroles des manifestants et grévistes lors de cette journée de mobilisation l’ont rappelé. Le bon fonctionnement d’un établissement n’est possible qu’à la condition d’avoir les moyens humains nécessaires pour accompagner tous les élèves, d’avoir les personnels médico-sociaux, les heures pour des dispositifs d’aides à la réussite ou pour dédoubler les classes ou alléger les effectifs.
Parler de la réalité de « nos comptes publics » et ne pas voir la réalité de l’école publique
L’École est « au bord du précipice ». Dans son discours, le Premier ministre invite à penser à l’héritage de la dette pour nos enfants et petits-enfants. Plutôt que de considérer l’avenir du pays, l’école, au prisme de la dette et des dépenses publiques, ne faudrait-il pas voir l’École comme un investissement et considérer l’école publique comme un patrimoine et un héritage à transmettre et non à dilapider ?
Djéhanne Gani
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